Et si le journalisme faisait l'Histoire ? La question est de pure forme mais elle se justifie par une activité éditoriale qui offre un matériau de première main : les articles et chroniques qui se publient en livres. L'aperçu qui suit est certes incomplet mais significatif. C'est en 2001 que Abdeljlil Lahjomri publiait « Pleure Aïcha, tes chroniques égarées », une sorte d'hommage posthume à Aïcha Mekki qui donna ses lettres de noblesse à la chronique judiciaire dans les pages du quotidien L'Opinion. Les rubriques qu'elle animait « Au ban de la Société » et « Société et Justice » étaient des rendez-vous incontournables, fréquentés par des lecteurs aussi exigeants que Abdallah Laroui et Michel Jobert, l'enfant de Oued Romane. L'un comme l'autre y lisaient les pulsations du Maroc, sans fioritures ni contorsions savantes, l'image brute de la société en butte aux difficultés du quotidien. Aïcha Mekki assurait la chronique des tribunaux, certes, mais ses descriptions allaient bien au-delà des prétoires, des drames qui s'y jouaient... le principe de l'antériorité faisait faire des incursions, des déplacements au coeur des quartiers populaires, des cités urbaines, dans des milieux divers qui avaient donnaient substance à ses chroniques. Les chroniques de Aïcha Mekki n'étaient pas des traités de sociologie comme elles n'étaient pas des profils psychologiques au sens rigoureux du terme. Elles pouvaient, néanmoins, en constituer une matière première difficile à contester, à remettre en question car nul ne peut contester la vie quotidienne dans ses diverses et ultimes manifestations. Les nombreux ouvrages de ces 20 dernières années s'inscrivent dans cette logique de témoignage et de matériau brut qui peuvent être exploités aussi bien par les historiens, les sociologues que les économistes. L'ouvrage de Mohamed Jibril « Malaise dans la société » rassemble une sélection d'articles sur la période 1970-2020 et porte en sous-titre « 60 ans d'actualité sociétale marocaine ». Dans le prière d'insérer il est écrit qu'« En filigrane de ce panorama, une question essentielle est posée aussi bien avec les décennies écoulées que pour aujourd'hui et les années à venir : comment faire société ? ». Dans ce contexte la richesse documentaire de Lamalif ne se dément pas. Zakia Daoud en témoigne dans « Les années Lamalif, 1958-1988, trente ans de journalisme au Maroc », une sorte de « Traité de résistance journalistique », comme l'écrit Salah-Eddine Lemaïzi dans « Journalisme in bled ». Sur cette expérience professionnelle, Zakia Daoud établit un lien entre la pratique journalistique et la réalité, ce Maroc dans son environnement économique, politique mais d'abord humain : « J'ai fait un métier passionnant que j'ai passionnément exercé et aimé. J'ai connu des gens remarquables ou qui m'ont semblé tels à un moment ou à un autre de ma vie. Je me suis forgée à leur contact et à celui des évènements. J'ai essayé moi aussi d'y trouver ma place. Ce livre raconte donc cette histoire : la mienne, un peu, celle d'une revue et d'un pays, surtout ». Dalil, dans « Ce Maroc que l'on refuse de voir », entend puiser « dans ses fragilités intérieures pour faire jaillir sa vérité propre qui, souvent, croise celles du plus grand nombre » Dans « Lamalif, partis pris culturels », Zakia Daoud trace le parcours culturel de cette publication qui est largement marqué par celui du Maroc culturel des trente années de vie de Lamalif dont la voix porte encore, haut et fort. Dans cette optique, Khalid Lyamlahy écrira « les sujets traités en 1978 résonnent toujours au présent ». « Le Maroc de Hassan II» de Stephen Ormsby Hughes, responsable du bureau de l'agence Reuters, se présente comme une chronique des événements, dont l'auteur a été témoin, qui retrace l'évolution sur les plans politique, économique et social au Maroc depuis 1952, jusqu'à l'accession au Trône de S.M. le Roi Mohammed VI en 1999 ». Mustapha Alaoui apporte sa pierre à l'édifice du témoignage, nourri à l'expérience professionnelle, faite d'observations d'abord, de réflexions ensuite. Dans « Le journaliste et les 3 rois », comme dans « Le Maroc de Hassan II » de Stephen Hugues, Mustapha Alaoui est dans le livre-mémoire comme a pu l'être Seddik Maaninou dans sa série de témoignages en quatre volumes sur son vécu de journaliste du petit écran et cadre du ministère de l'Information.