Si la crise entre Paris et Alger dure depuis trois semaines, force est de reconnaitre qu'elle couve depuis fort longtemps, et au fil des jours, on assiste à des éruptions de nouveaux contentieux de différentes importances mais qui aggravent à chaque fois la tension entre les deux pays. La goutte qui a fait déborder le vase a été déclenchée par le président Emmanuel Macron qui a tenu des propos très durs à l'égard du régime algérien, qualifié notamment de « système politico-militaire » vivant de « la rente mémorielle ». Macron a été, dans ses propos devant un groupe de jeunes descendant de la diaspora algérienne en France, jusqu'à remettre en question l'existence de l'Algérie en tant que nation, avant la colonisation française. Ce qui n'a pas été au goût des dirigeants algériens. Mais le bras de fer franco-algérien est dû à plusieurs facteurs de tensions. On peut en citer entre autres la crise malienne et ses ramifications avec l'entrée en lice des mercenaires de Wagner, la question migratoire et la décision de Paris de réduire drastiquement le quota des visas pour les pays maghrébins, il y a aussi le sujet de la coopération pénale et autres sujets qui ne font que jeter de l'huile sur le feu allant jusqu'à pousser Alger à interdire le survol de son territoire aux avions militaires français en route vers le Sahel. Selon un article du monde du samedi 23 octobre 2021, le dossier le plus sensible de cette crise concerne le rôle de l'Algérie au Mali. Un dossier qui apparaît comme « un élément clé ayant exacerbé la crise en raison d'une tentation, côté algérien, de soutenir un scénario noir pour Paris: un renforcement du rôle de la Russie au Mali ». Si du côté algérien on ne montre aucun soutien à la décision malienne de faire appel aux mercenaires russes de Wagner, force est de reconnaitre que, face à la dégradation de la situation sécuritaire au Mali, Alger n'a fait montre d'aucun rejet d'un éventuel renforcement de la présence de la Russie dans ce pays du Sahel, étant donné les affinités entre la Russie et l'Algérie, pays auquel Moscou vend régulièrement du matériel militaire, ce qui n'est pas pour plaire aux dirigeants français qui voient aussi d'un mauvais oeil le penchant algérien pour le soutien implicite au renforcement du dialogue entre Bamako et les islamistes armés, afin d'éviter, de son point de vue, toute partition du territoire malien. Surtout que Paris a déclaré plusieurs fois qu'une négociation avec le sommet de la hiérarchie djihadiste et le contrat de Bamako avec Wagner constitueraient des lignes rouges. L'Allemagne, l'Union européenne ou encore la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ont aussi mis en garde le Mali. Un taux de refus de visas de 50% Cela dit, la liste des casus belli accumulés entre la France et le régime algérien est longue. Certes, elle n'est pas constituée de gros dossiers de heurt, mais la multitude des tensions autour d'affaires ordinaires prend des dimensions kafkaïennes, selon l'article du Monde de samedi. Le dossier migratoire et la question des visas deviennent de plus en plus épineux au fil des ans. Le nombre de visas annuels demandés par les Algériens a ainsi été multiplié par trois en dix ans, passant de quelque 200.000 en 2007 à plus de 600.000 en 2017. Or le taux de visas effectivement délivrés par la France a suivi cette courbe exponentielle (de 100.000 à plus de 400.000 sur la même période). Mais à partir de l'élection d'Emmanuel Macron, Paris a décidé de serrer la vis et le nombre de visas a progressivement été ramené sous la barre des 300.000. Au point d'atteindre un taux de refus autour de 50 %, longtemps considéré comme un palier à ne pas franchir, au risque de mettre en péril la relation bilatérale. Et c'est en connaissance de cause que le chef de l'Etat a annoncé, fin septembre, une nouvelle baisse à venir de 50% du nombre de visas délivrés. Bien que Macron ait assuré que cette mesure visait « le milieu dirigeant qui avait l'habitude de demander des visas » et non les étudiants ou les hommes d'affaires, les familiers du dossier savent qu'il n'en sera rien. Alger distribuant très facilement des passeports diplomatiques, cette réduction n'aura pas d'impact sur la circulation de nombreux cadres du régime, même si le Quai d'Orsay pourrait être tenté de leur imposer une lettre de mission. Des diplomates sédentaires En revanche, la soupape que représentait cette manne de visas pour le régime vis-à-vis d'une certaine frange de sa population risque d'en prendre un coup. Les diplomates algériens en poste en France ont tendance à demeurer sur le territoire une fois leur mission achevée. Aussi, une demande récente formulée par Alger d'accréditer trente nouveaux diplomates dans les consulats algériens en France sans qu'il soit possible de comprendre leurs attributions, a fait sortir Paris de ses gonds. Une entraide pénale cafouillante Les dossiers d'entraide pénale sont un autre sujet de discorde. Si, pour les affaires de terrorisme, les choses se sont toujours relativement bien passées, il n'en va pas de même sur d'autres dossiers, plus politiques, ou liés à des enquêtes de corruption concernant des personnalités influentes de la diaspora algérienne. La justice française a ainsi couru pendant des mois, mais en vain, après l'audition d'un témoin important, réfugié en Algérie, dans le cadre de l'instruction ouverte sur le financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. D'un autre côté, Alger demande régulièrement que Paris lui livre des opposants. En tête de listes les indépendantistes du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK) et leur chef, Ferhat Mehenni, réfugié en France. Contacté par Le Monde, le ministère français de la Justice a indiqué qu'il ne commentait pas les demandes d'entraide pénale. Gérald Pandelon, l'avocat de Ferhat Mehenni, assure, lui, qu'« à ce jour, il ne dispose d'aucune information précise concernant un mandat d'arrêt diffusé par les autorités algériennes ». A l'inverse, en 2018, la France a dû longuement négocier pour parvenir à expulser vers l'Algérie le djihadiste Djamel Beghal, condamné en France à plusieurs reprises, notamment pour des faits d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Le cas du très controversé blogueur et activiste Amir DZ, de son vrai nom Amir Boukhors, s'inscrit dans la même veine. Fort de plus de 800.000 abonnés sur Facebook, soutien assidu du mouvement antigouvernemental du Hirak, il s'en prend régulièrement au pouvoir algérien en publiant des documents à charge et est poursuivi en Algérie dans plusieurs affaires. Amir DZ réside désormais en France, en situation irrégulière, et fait l'objet de plusieurs plaintes pour atteinte à la vie privée, insultes et diffamation, propos violents et outranciers. Malgré tout, les autorités françaises traînent des pieds pour son extradition, redoutant d'être accusées de complaisance avec le régime. Après trois semaines de crise, beaucoup d'observateurs s'inquiètent, et pensent qu'il y aura un avant et un après cette nouvelle crise francoalgérienne. Longtemps « conciliant avec l'Algérie », la France serait gagnée par la lassitude et d'aucuns pensent que cette épisode de crise pourrait pousser la France, déjà très bienveillante à l'endroit du Maroc, à basculer plus franchement encore dans le camp de Rabat. Ali B.