La vie est un amas de rencontres, un agrégat de découvertes. Notre métier de journaliste est le mieux placé pour figurer cette belle aventure qui ne s'éteint que lorsqu'on appuie sur le bouton de l'amnésie ou celui, plus disconvenant, de la légèreté. NOUS avons découvert récemment, avec un mélange de stupéfaction et d'étonnement, la publication d'un ouvrage édité par la vénérable agence Maghreb Arab Press (MAP) sous l'amusant titre «Figures de la presse marocaine» dans lequel parait mon portrait mal documenté et joliment renvoyé à Woodstock – moi qui ne suis pas né en 1961, moi qui n'ai pas démarré ma carrière à la RTM, moi qui n'ai jamais été membre du jury de Studio 2M, moi qui ne «trainais» pas dans toutes les manifestations et festivals de cinéma, moi qui ne me consacre pas à l'écriture journalistique que récemment, moi qui ne traite pas que de musique... Dans le tas de l'exercice du «Berrah à YouTube», se bousculent deux-cent-trente journalistes, morts ou vivants, exerçant ou évoluant derrière la vallée de l'oubli. A leur évocation, il y a malheureusement plus d'approximations que de certitudes. Dommage pour une publication, validée par la MAP, censée servir de référence pour de futures générations amenées à faire des recherches sur le journalisme marocain d'avant et d'hier. Les premières pages (hors introduction) respectent dates et titres de publications, ce qui n'est pas délicat à se procurer. La suite laisse perplexe, vu la légèreté avec laquelle les portraits sont menés. Des problèmes de dates, de parcours, et de cheminements parsèment une approche dénuée de toute vigilance professionnelle ou de respect éditorial. Portraits troublants L'ami Khalil Hachimi Idrissi (directeur général de l'agence MAP) qui qualifie cette belle oeuvre ratée de «travail herculéen» a dû s'arrêter au dénombrement (non exhaustif et parfois insensé) des personnes, pas en fonction de ce qu'ils sont, de ce qu'ils ont donné ou à quoi ressemblait leur parcours. Dommage pour un spécialiste du ton que j'ai connu à Paris, dans une autre vie, comme producteur et manager des Frères Bouchnak. Quant à Driss Ajbali, sociologue, médiateur au sein de la MAP et auteur direct de «Figures de la presse marocaine», il a sans conteste trop abusé de la recherche Internet pour «façonner» ses troublants portraits. Pour les disparus, pas de revendications (quoique) ; pour les vivants à la plume ou l'aura respectée, la piqûre de l'incompétence est administrée ; pour les parvenus, c'est le bonheur inattendu. Finalement, cet ouvrage rédigé en français est un forfait. Pourtant, les occasions de ne pas le penser de la sorte ne manquaient pas, celles de le bannir après rédaction aussi. Et après de tels massacres, on vient nous parler de mémoire. Elle est, pour l'instant, broyée.