Depuis l'annonce officielle de la victoire d'Ebrahim Raisi aux récentes élections iraniennes, les milieux politiques régionaux et internationaux parlent de changements qualitatifs majeurs dans la politique étrangère de l'Iran. Le changement va et vient, président après président. Mais le numéro deux en tête de l'Iran n'a rien à y voir. On le choisit plutôt en fonction des exigences de l'étape. Ça ne se passe pas comme dans les pays occidentaux. En d'autres termes, le président élu laisse peu de traces personnelles dans la fonction présidentielle. Tout ce qui se passe, c'est que le discours politique présidentiel change avec le changement de président du régime des mollahs. Le choix, depuis les balbutiements du « filtrage » ou de la manipulation électorale et au-delà, s'est fait sur la base de conditions et de critères qui répondent à ce que veut l'homme numéro un. La question impérieuse devient : Quelle est la différence entre Rouhani et Raisi ? La réponse ici est qu'il existe des différences dans la personnalité des deux hommes. C'est normal. Mais ces différences ne se situent pas au niveau de la réflexion stratégique. Elles se situent plutôt au niveau des tactiques utilisées pour mettre en œuvre les intérêts du régime. Les deux sont des enfants loyaux du régime, avec des visions et des idées différentes. Rouhani n'était pas dans le camp opposé du Guide suprême Ali Khamenei pour qu'il ait besoin de Raisi avec qui il partage pleinement les opinions. Ce qui s'est passé, c'est que la vision de Rouhani, dans laquelle Khamenei voyait autrefois un intérêt pour le régime, ne s'est pas concrétisée comme le leader et ses compagnons l'espéraient. Il s'agit plus précisément de la question du programme nucléaire iranien. Le guide a donc choisi une stratégie de face-à-face. Le but étant de mettre de nouvelles donnes sur la table des négociations pour satisfaire les faucons du régime. Ceci maximisant ainsi la pression sur les Etats-Unis et l'Occident en général pour accélérer la levée des sanctions américaines contre l'Iran. La différence entre Rouhani et Raisi est peut-être la même qu'entre Khatami et Ahmadinejad. Le régime des mollahs a l'habitude de voir un président qualifié de dur succéder à un président qualifié de réformateur/modéré, et réciproquement. La politique étrangère de l'Iran ressemble à un théâtre de marionnettes, évoluant entre intransigeance et modération. Celui qui détermine le moment de l'apparition de ceci et de ça est celui qui tient le volant, que ce soit dans l'immédiat ou dans l'avenir, c'est le Guide suprême. Ce dernier commande les infléchissements de la politique étrangère de l'Iran. C'est lui qui détermine l'intérêt du système, il trace sa voie et tout le monde doit appliquer ce qu'il juge bon. Résultat, une distribution des rôles soigneusement calculée, tant au niveau de la sélection des personnages que du moment où apparaissent les protagonistes de la scène. Ainsi, les cycles de vie de la présidence iranienne peuvent être compris dans leur ensemble. Le nouveau président Ebrahim Raisi s'est présenté aux élections de 2017 contre le président sortant Hassan Rouhani. Il a obtenu 38 % des voix. C'est-à-dire qu'il est un nom fortement présent dans l'arène politique iranienne. Cependant, il n'a pas bénéficié du même soutien et des mêmes circonstances que lors des dernières élections. Une orchestration des conditions et des normes s'est déroulée. L'environnement parfait pour son accès au pouvoir a été mis en place, pour éviter tout obstacle qui pourrait l'empêcher de gagner, étant donné la sensibilité de la phase actuelle de l'histoire du régime. L'orchestration a été si vivement critiquée par les membres du régime. Le guide suprême Khamenei lui-même a reconnu une « injustice » dont ont été victimes certains exclus des listes de candidats de la part du Conseil des gardiens. Mais il n'est pas passé à l'étape de la correction de cette injustice comme Rouhani et d'autres l'ont appelée. L'aveu a semblé ne pas avoir été coordonné. Ça explique pourquoi il n'y a pas eu de « correction » ou de retour de certains exclus à la course électorale. Le guide a choisi d'ignorer son aveu d'erreur par crainte d'une véritable compétition électorale qui gâcherait une chance majeure de victoire pour Raisi. Voilà : le changement de la politique iranienne est un changement planifié par le guide suprême Khamenei. Celui-ci a apparemment décidé de changer de plan pour traiter avec les Etats-Unis. Le changement nécessite de changer de visage, et d'environnement et de règles de négociations. Ainsi, Raisi est venu mettre en œuvre une vision toute faite. L'Occident doit donc traiter avec le régime dans son ensemble. Ne vous attendez pas à ce que le nouveau président soit porteur d'une vision qui fera table rase. La boussole de la ligne dure et de la modération est entre les mains du guide - personne d'autre. Tout le monde devrait se souvenir de l'expérience de l'ancien président Ahmadinejad. Ce dernier a adopté un discours parmi les plus violents et extrêmes de l'histoire du régime iranien. Mais au final, il n'a pas dévié de la ligne tracée par le Guide suprême.
Salem AlKetbi Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral