Après un long calvaire, les travailleuses saisonnières de Huelva vont enfin renouer avec leurs familles au Maroc. Toutefois, leur sort pour la prochaine saison reste incertain ! La crise diplomatique entre le Maroc et son voisin ibérique semble avoir des effets multidimensionnels. A l'instar de l'année dernière, plus de 12.600 saisonnières marocaines sont restées bloquées en Espagne malgré la fin de leurs missions. Si, aujourd'hui, celles-ci sont confortées par leur retour au bercail, annoncé pour le 15 juin, il n'en demeure pas moins que dans un contexte de crise diplomatique, elles restent incertaines quant à leur retour la saison prochaine dans les champs de Huelva. L'annonce du retour au Maroc de ces travailleuses se profile comme un soulagement pour cette catégorie de professionnels, surtout qu'en étant bloquées dans le territoire espagnole elles se sont retrouvées obligées de dépenser l'argent qu'elles ont durement gagné durant la saison agricole, et qui est supposé répondre à leurs besoins jusqu'à la saison prochaine. Exception pour les travailleuses des champs Bien que le Maroc ait annoncé que les ports de l'Espagne seront exclus de l'Opération Marhaba, qui organise le retour des Marocains résidant à l'étranger, pour la deuxième année consécutive, le retour des travailleuses saisonnières en fera exception, suite à un accord mutuel entre le Royaume et le gouvernement ibérique. Une attitude qui met en exergue l'importance de ces femmes pour les deux pays. En effet, le plan du retour consiste à affréter trois à quatre bateaux par semaine depuis le port d'Algésiras, à destination du port de Tanger Med, précise le gouvernement espagnol. Pour rappel, chaque année, ce sont des milliers de Marocaines qui quittent leurs familles et leurs villages pour s'envoler vers l'Espagne dans le cadre d'un programme de migration circulaire entre Madrid et Rabat. Chadia Arab, chercheuse au CNRS, nous a expliqué que « cette migration a débuté à la fin de l'année 2000, dans le cadre d'un programme européen. Une convention a été signée entre le ministère du Travail au Maroc et la mairie de Cartaya afin de mettre en place un programme de gestion éthique de l'immigration saisonnière marocaine en Espagne ». Cette migration permet à ces travailleuses de gagner plus d'argent qu'elles n'en touchent au Maroc. Pour sa part, l'Espagne compense un manque de main-d'oeuvre. A l'aune de la crise diplomatique, la continuité de cet accord de migration circulaire gagnant-gagnant semble toucher à sa fin vu que l'Espagne a annoncé qu'elle cherchera d'autres alternatives. L'Espagne en quête d'alternatives Vendredi dernier, profitant de la visite à Madrid du secrétaire d'Etat hondurien aux Relations extérieures et à la Coopération internationale, Lisandro Rosales Banegas, le gouvernement espagnol a signé un accord avec la République du Honduras pour réguler et ordonner les flux migratoires entre les deux pays, un accord spécialement conçu pour attirer la main-d'oeuvre agricole et qui intervient en pleine escalade diplomatiques avec le Maroc. Cette décision semble créer un mécontentement à la fois pour les agriculteurs espagnols comme pour les travailleurs marocains. « Tout est encore très naissant, mais nous devons chercher le maximum d'alternatives de main-d'oeuvre », explique une porte-parole de Freshuelva. Piedra, de l'UPA à El Pais. Toutefois, cette option, en aucun cas, assure-t-il, ne viendrait remplacer les intérimaires marocains. «Nous sommes très satisfaits de leur travail et de leur fidélité à leurs employeurs», souligne-t-il. Halima, une quinquagénaire qui travaille aux champs de Cartaya (Huelva) chaque saison, depuis 10 ans, nous a déclaré, par appel téléphonique, que « cette annonce est tragique. Malgré les difficultés qu'on trouve ici, on doit continuer à travailler ici parce que le sort de nos familles en dépend et on n'a pas d'autres alternatives». Pour Mohammed Khachani, économiste, professeur universitaire et chercheur en migration, « l'annonce de l'Espagne qu'elle fera appel au Honduras est déjà un acte violent et inamical à l'égard du Maroc ». A situation exceptionnelle, dégâts collatéraux. Toutefois, l'impact économique que pourrait risquer le Maroc est très minime vis-à-vis du gain diplomatique et de dignité qu'il a eu, ajoute-t-il. « Que représente 12.000 ouvrières qui gagnent 36 euros par jour durant 3 mois pour l'économie nationale ? », se questionne notre interlocuteur. Aujourd'hui, le Maroc est dans l'obligation de penser un programme d'insertion et d'accompagnement pour ces migrantes saisonnières pour leur garantir des sources de revenus stables et continues, dans leur propre pays. Hiba CHAKER L'info...Graphie 3 questions à Chadia Arab « Il faut être vigilant, ces femmes ne doivent pas être victimes de cette crise diplomatique » Chadia Arab, géographe et professeur à l'université d'Angers, chercheuse au CNRS et spécialiste des migrations internationales. Auteure de « Dames de fraises, doigts de fée, les invisibles de la migration saisonnière marocaine en Espagne ». - A la lumière de la crise diplomatique entre l'Espagne et le Maroc, pensez-vous que ces migrants saisonniers peuvent revenir l'année prochaine vu que l'Espagne a annoncé qu'elle fera appel aux travailleurs d'autres nationalités ? - A chaque fois qu'il y a une crise, l'Espagne réduit le flux des travailleurs migrants pour employer d'abord les Espagnols qui sont sur place, comme ce qui est arrivé entre 2012 et 2017 quand la crise économique a touché de plein fouet les pays européens. Pour cette crise diplomatique, on peut percevoir derrière le poids de l'iceberg d'autres impacts qui concernent principalement les femmes qui ont besoin de ce travail mais aussi l'Espagne qui a également besoin de ces travailleurs. On peut dire que ces travailleurs peuvent servir comme ajustement par rapport à une crise qui, elle, les dépasse complètement. - Est-ce que vous pensez que le Maroc prépare un plan d'intégration pour ces travailleurs le cas échéant? - L'accord de migration circulaire entre les deux pays a principalement 3 objectifs : d'abord, répondre au besoin ponctuel de l'Espagne en main d'oeuvre, puis lutter contre la migration irrégulière et finalement le développement du pays d'origine. On peut dire que c'est l'objectif qui a été le moins réalisé. Le Maroc n'a pas accompagné ces femmes dans des projets de développement ou de création de sources génératrices de revenus. La question de choix d'une migration sexuée et de conditions de ces femmes pose également question en termes de droits humains. - La crise de ces travailleurs n'annonce- t-elle pas d'autres crises au niveau d'autres axes de coopération? - Le secteur agricole, celui de la pêche, le commerce international, la circulation migratoire, la diaspora marocaine en Espagne sont tous des axes qui pourraient être touchés du fait de cette crise diplomatique. Des enjeux économiques plus importants peuvent être également appréhendés. Au niveau des migrantes saisonnières, ce qui pourrait être dramatique est de leur fermer la porte la saison prochaine. Il faut être vigilant à ce que ces femmes ne paient pas cette crise diplomatique d'Etat à Etat. Recueillis par H. C