Discret et solennel à la fois, l'acteur se joue des rôles qu'il campe pour asseoir sa propre touche. Fort d'une belle expérience, il est l'une des incontournables figures des fictions marocaines du moment. Sur un plateau de tournage, il met sa peau en jeu. Au préalable, c'est son esprit qui chauffe, bouillonne, se répand telle une coulée de lave. En amont, il explore les différentes branches sur lesquelles s'assoit son personnage, en les sciant pour mieux les récupérer dans l'effeuillage des intrigues. Un processus que seule la folie a la capacité d'aborder avec sagesse. Amine Ennaji, diplômé en comptabilité d'entreprise et élève très éphémère du conservatoire casablancais, est cet aliéné silencieux prêt à détoner au premier défi qui s'offre à sa pulsion la plus organique. L'artiste est ainsi consommable, sans modération, dès qu'il est lâché dans l'arène du ravissement. Ses apparitions, soigneusement choisies, le hissent au rang du prolifique homéopathique. Pendant le mois d'abstinence, on le voit se goinfrer dans le beau téléfilm «Six mois et un jour» d'Abdeslam Kelai sur 2M, se rassasier dans «Oulad el marsa» de Mourad El Khaoudi sur MBC5 et se servir à volonté sur la SNRT dans la deuxième saison de «Al madi la yamout» (lire plus loin) réalisée par Hicham El Jebbari. Pour cette dernière, il ose «à peine» s'exprimer, avançant son implication dans le projet et son engagement moral qui lui «interdisent» tout avis sur l'oeuvre. Amen, mais encore ? «Le tournage a connu quelques déconvenues. Mais je ne serai ni impartial ni objectif en évoquant mon ressenti. Ce que je sais c'est que j'ai mis dans ce rôle beaucoup de coeur et d'efforts, énormément de respect au personnage que j'ai essayé de faire évoluer psychologiquement. J'étais à fond dedans. J'ai vécu une période de préparation intense et stressante. J'étais tout le temps dans la recherche. J'ai aussi passablement bouquiné. Ce qui a influencé mon quotidien avant même le tournage. Je me surprenais en action, en train de faire des gestes bizarres devant mon entourage qui trouvait cela déplacé.» Ancrage dans le temps Au flegme de l'interprète nourri de bonnes ondes s'ajoute l'appréhension du professionnel : «Il faut savoir qu'une deuxième saison n'est jamais évidente. Elle demande de la prudence et suffisamment de création afin de surprendre et séduire le public qui a adhéré à l'offre initiale. Cette suite était un brin en-deçà de ce dont j'ai rêvé le premier jour en lisant le scénario. Mais les ingrédients d'un bon spectacle étaient là. C'était une réussite jusqu'à un certain point.» Maintenant que des voix psalmodient la possibilité d'un ancrage dans le temps pour un feuilleton qui ne compte pas rendre l'âme de sitôt, Amine Ennaji fait sa prière, mettant en veilleuse le deuxième volet de la série. «'Al madi la yamout' peut s'acheminer vers une saga. Seulement, il faudrait tout revoir : l'écriture, les angles d'attaque, les intrigues... Rénover et amener une vision nouvelle, des idées inédites, du sang nouveau. Sans toutefois perdre les atouts qui ont fait le succès de la première saison.» Il y a, parmi cette troublante faune qui incarne l'art, des crânes qui craquent dès qu'un cervelet se perd en de douteux équilibres. Amine Ennaji tient bon sur des pieds qui ne dansent pas forcément à son propre rythme : «Sachant qu'on allait vers une deuxième saison, je me suis dit qu'il fallait garder en moi le personnage d'Amine Malki, le préserver, le mettre de côté pour pouvoir bâtir dessus une suite.» Personnages qui touchent Par extension, Ennaji garde toujours les stigmates de ce qu'il incarne, ce qu'il étrenne sans préméditation : «Chez moi, il reste toujours les résidus des personnages que j'incarne, notamment lorsqu'ils sont à dominance psychologique. Je n'arrive jamais à me débarrasser des traces des personnages que j'interprète avec sincérité, dévouement et amour. Sauf après consultation d'un psychiatre, ce qui n'est pas mon cas pour l'instant.» Pourtant, il est en observation chez un agrégat d'admirateurs qui aiment en lui sa facette de journal intime à la clé égarée. A creuser, on détecte en lui une fidélité transparente, un laisser-faire déconcertant : «Un personnage, je n'essaie jamais de m'en débarrasser. Je préfère le laisser partir, me quitter tranquillement pour pouvoir ensuite me glisser dans la peau d'un autre.» Aujourd'hui, Amine réfléchit à passer derrière la caméra pour raconter ses propres histoires : «Oui, j'en ai envie», confie celui qui se considère amoureux de tous les rôles qu'il a pu camper, celui de «Al madi la yamout» dans le lot. Diffusée en 2019 sur Al Aoula, la série s'élève jusqu'à plus plafond. Elle enfante en 2021 un successeur pris dans la panique du mieux faire, omettant la continuité fluide. Plus généralement, on s'acharne sur les courbes d'audience dont le qualitatif rend les armes face au quantitatif. On parle plus chiffres que beauté créative, laissant la parole décisive à l'usine au détriment de la fabrique. On est mal et le remède est encore au stade de la recherche. Pensée à toi Amine Ennaji, toi qui portes tes choix sur les personnages qui te touchent, te bouleversent, te provoquent.