Madame la Ministre, faire respecter la loi régissant la profession d'architecte et instituant l'Ordre National des Architectes, c'est aussi garantir notre droit à exercer dignement notre métier en contribuant à l'enrichissement de notre patrimoine architectural national. Madame la Ministre, Les reports successifs des élections du Conseil National de l'Ordre des Architectes, ce dernier étant arrivé en fin de mandat, ont montré à l'évidence la désaffection des Architectes à l'encontre de leur institution ordinale jugée ne plus être légalement représentative de la profession. Ce désintérêt s'est exprimé par deux fois par manque ou absence de candidature à chaque scrutin annoncé.
Cette situation ne peut perdurer suite aux décisions contraignantes, non productives, prises unilatéralement par l'Administration et interférant dans le champ d'exercice de la profession. Ces décisions portent atteinte à la fois à l'image d'une profession déjà sinistrée et au moral des Architectes en état de quasi détresse. Sans omettre les effets de la crise sanitaire que nous subissons et ses conséquences sur l'économie du pays ainsi que son impact sur le marché du travail.
Madame la Ministre,
A ma demande, vous avez bien voulu me recevoir en fin 2020, ce qui m'a permis de vous entretenir sur ce sujet douloureux et m'a offert l'occasion de vous exprimer mon point de vue sur la situation qui prévaut vous proposant, de prendre en main -par l'intermédiaire de votre département- l'initiative de la résoudre.
J'ai saisi également l'opportunité de cette rencontre avec vous, pour attirer votre attention sur une disposition de la loi régissant la profession qui n'a pas été respectée. Il s'agit de l'article relatif au Président du Conseil National. Celui-ci, une fois élu, est de ce fait légitimé par les suffrages des architectes. C'est une condition nécessaire mais pas suffisante tant que ce nouvel élu n'est pas nommé par Sa Majesté Le Roi (art 47 de la loi 16/89).
L'absence de cette nomination ne peut à priori être imputée à l'élu et constitue une anomalie qu'il conviendrait de corriger à moins qu'elle soit invoquée pour d'autres motifs. Dans tous les cas de figures, il appartient à l'autorité compétente, en charge de la gestion de la profession, d'y veiller. Car tant que le Président n'a pas été adoubé, il demeure un simple élu sans autorité pour toute prise de décisions engageant la profession et de ce fait ne peut se consacrer qu'aux affaires courantes. Force reste à la loi. C'est certainement ce qui explique le fond de la crise que traverse la profession. Les pouvoirs publics ne peuvent et ne doivent rester indifférents face à cette situation pour le moins incompréhensible. Sinon, ce serait un déni de la réalité qui ne peut plus être toléré.
Madame La Ministre,
L'étalement de nos problèmes et de nos inquiétudes n'est pas une manie à laquelle nous recourrons aisément et de gaité de cœur. Il nous coûte d'en arriver à cette extrémité... Cependant, nous avons l'intime conviction que l'action que nous menons a toutes les chances de réussir parce qu'elle s'inscrit dans le droit fil de l'esprit et la philosophie des discours royaux adressés au corps des Architectes.
A ce propos, la lettre de Sa Majesté Mohammed VI adressée aux Architectes, recommande la création d'un Prix Mohammed VI de l'Architecture.
La profession s'engage solennellement à instaurer cette prestigieuse récompense aux meilleures œuvres urbanistiques et architecturales, dès qu'elle aura à sa tête une institution ordinale en capacité de la réaliser. Cette initiative sera retenue parce qu'elle bénéficiera sans conteste de l'adhésion de l'ensemble des Architectes et de la confiance dans la démarche entreprise.
Sachez Madame La Ministre, que je serai toujours disponible pour défendre les intérêts matériels et moraux de l'Architecte. Car ce dernier étant le créateur d'une architecture dont il est es qualité le dépositaire, il lui est imposé en quelque sorte d'être, ipso facto, l'un des gardiens du temple abritant le patrimoine architectural auquel il lui est fait devoir de veiller constamment.
L'histoire de l'Architecture au Maroc s'écrira un jour pour rappeler le fil conducteur menant des Ksours aux villes impériales avec leurs médinas et auxquelles est venue s'ajouter l'aventure urbaine et architecturale du 20ème siècle dans une parfaite unité identitaire, creuset des différentes cultures qui ont traversé le Maroc.
Ce continuum a permis entre autre à Fès, la ville spirituelle et à Rabat, la capitale du Royaume, d'accéder toutes les deux au rang de patrimoine mondial par l'UNESCO. Une vigie royale veille au bon développement urbain et alerte quand se produit toute dérive urbanistique et architecturale. L'exemple des façades d'entités urbaines constituant une composante majeure de l'espace public est à prendre en compte, car elles doivent avoir une unité architecturale en harmonie avec leur environnement immédiat.
C'est ce qui explique notre passion pour ce métier qui aspire au niveau de mission et dont nous sommes fiers d'avoir la charge. C'est une lourde responsabilité d'être l'auteur d'une œuvre à laisser en legs aux générations futures. Nous sommes pleinement conscients d'avoir une vocation particulière à assumer, celle de sublimer l'homme en sublimant l'architecture de son habitat. Y parvient-on ? Seule la voie de l'ijtihad, véritable construction intellectuelle, pourrait y accéder.
Le moment est donc venu de rappeler que les architectes ont toujours réclamé que l'architecture soit – à l'instar des pays plus avancés - élevée au rang d'utilité publique en tant que valeur patrimoniale mise au service de nos concitoyens et au premier rang desquels Notre Auguste Souverain Sa Majesté Mohammed VI que Dieu Le Glorifie.
Madame la Ministre,
Cette digression se justifie lorsqu'on évoque les paroles contenues dans le discours prononcé le 14 janvier 1986 à Marrakech par Feu Sa Majesté Hassan II devant le corps des Architectes : « Quand vous dessinez... Vous tracez la philosophie de la vie... Votre mission est bien plus noble que vous ne pensez... ». L'intensité de ce message et son influence sur la pratique professionnelle ne se sont pas fait attendre, puisque des efforts louables ont été entrepris pour améliorer la qualité de certaines unités, venant renforcer la trame urbaine. Il serait malheureux que cet élan créatif soit freiné par la poursuite de mesures inadéquates et inadaptées risquant de rendre obsolète la réglementation en vigueur.
Par ailleurs, la stratégie urbaine adoptée à l'heure actuelle devra être revue et corrigée à l'aune de la dynamique urbaine que connaît notre pays et aux nouvelles donnes environnementales. Cette nouvelle stratégie s'appuiera sur une vision différente en matière d'urbanisme prévisionnel et opérationnel. Elle concernera à un niveau supérieur l'Aménagement du Territoire...
Parallèlement, dans le cadre du ruralisme, les centres ruraux devront bénéficier de plans de développement propres à les dynamiser pour réduire l'exode rural, responsable de la bidonvilisation des centres urbains, et de l'extension de l'habitat précaire dans un tissu urbain formé par une juxtaposition de lotissements privés ou publics ne respectant pas la mixité sociale. Sans parler de la qualité des logements favorisant l'expansion de la pandémie par leur forte densité et leur exigüité.
A quand le logement post Covid ?
Concernant l'aménagement urbain, il est admis aujourd'hui que le vrai développement commence par les villes que ce soit, au niveau des services ou autres secteurs d'activité. C'est donc une politique de la ville menée en corrélation avec le secteur du bâtiment et ses effets induits qui assurera ce développement. Ne dit-on pas que quand le bâtiment va, tout va ? L'Ordre National des Architectes devra- en tant que partenaire incontournable de l'Administration – inciter les architectes à s'engager davantage dans la participation effective à la planification urbaine. Donc, outre ses responsabilités professionnelles assumées, l'Architecte est celui qui se porte responsable devant la collectivité car il inscrit son œuvre dans le temps, voire dans l'esprit de l'époque... Il se doit d'être respectueux de l'éthique professionnelle comme il est tenu de se conformer aux règles déontologiques et à la solidarité intergénérationnelle. Pour que soit renforcée la cohésion du corps des architectes pour davantage d'équité dans la répartition de la commande publique, celle-ci doit être plafonnée car il faut dénoncer l'hypocrisie qui présente les concours d'architecture comme un modèle d'égalité. Seuls les projets structurants et symboliques, devraient faire l'objet de concours d'architecture. En réalité, les concours ne sont actuellement accessibles qu'à des élites faisant appel à des structures étrangères spécialisées non autorisées à exercer au Maroc et possédant donc les clés d'entrée pour les meilleures places dans les concours d'architecture. Seul un Ordre fort de la confiance de tous, sera en mesure d'assurer ce statut quasi charismatique à l'Architecte capable de relever les défis d'un monde de plus en plus complexe, fragilisé, soumis à la transition climatique et aux objectifs environnementaux de la COP22 et de la COP23. Nous allons en marche forcée vers une profession de plus en plus connectée. A cet égard, le système Rokhass révèle sans garde-fou les plans de tout ce qui se construit dans notre pays et l'expose dangereusement.
C'est pourquoi, seul un conseil national s'inspirant des messages royaux, et s'attelant à la reconstruction de l'édifice ordinal qui mettra l'Architecte libéral à l'abri du besoin, sera en capacité d'assurer le travail pour tous, la couverture sociale et sanitaire ainsi que le droit à une caisse de retraite. Vaste programme que ce grand chantier royal pour une équipe inter générationnelle, à la hauteur de sa mission.
Notre seul espoir est que la cause défendue soit particulièrement prégnante chez les jeunes Architectes et puisse le moment venu servir de catalyseur et fournir une dynamique pour revitaliser la pratique professionnelle.
En étant moralement le garant - je m'en fais l'obligation d'intervenir chaque fois que la profession est confrontée à des situations difficiles, et consubstantiellement, en raison de la confiance que m'a manifesté Sa Majesté Feu Hassan II ainsi que celle que me manifeste un grand nombre de mes consœurs et confrères.
Madame la Ministre,
Vous êtes en charge d'un département sensible et vital auquel Sa Majesté Le Roi accorde, auprès des autres ministères, une attention bien particulière : assurer «Soukna wa Sakina » aux citoyens marocains, ce qui n'est pas le cas actuellement. Tous les intervenants dans l'acte de bâtir doivent être mobilisés pour réussir ce défi royal. A leur tête se situe par ordre de création l'Architecte. Au final, cette lettre ouverte, a un double objectif : 1 – Rappeler aux Architectes toutes catégories confondues, l'importance de la mission dont ils sont investis par vocation et par volonté royale, base de l'organisation de leur profession par Dahir.
2 – Etre à l'écoute des Architectes, pour leur permettre de remplir leur mission dans les meilleures conditions. Madame la Ministre,
Je vous affirme ma disponibilité de travailler avec vous sur les sujets évoqués dans cette missive.
Madame La Ministre,
L'initiative prise de relancer pour la troisième fois les élections du Conseil National m'a convaincu de vous saisir, après concertation avec des responsables des associations d'Architectes signataires de la pétition et à titre personnel, cette fois par lettre ouverte parce que la situation ainsi créée exige qu'elle soit rendue publique. En effet, par deux fois, les Architectes ont exprimé haut et fort leur refus de participer à des élections qu'ils jugent entachées d'illégalité puisque organisées par un président ayant perdu toute légitimité et essentiellement se basant sur un règlement intérieur des élections en contradiction avec la loi 16/89. Un président ne bénéficiant pas de la nomination royale prévue par le texte de loi et étant arrivé en fin de mandat depuis plus d'une année écoulée. Comme pour lancer un affront à la communauté des Architectes et contribuer ainsi à faire perdre toute crédibilité à une profession déjà impactée, profession qui a en charge l'architecture et la responsabilité du patrimoine architectural conformément aux vœux de Sa Majesté Le Roi, l'ex-président élu récidive, persiste et signe en organisant à nouveau une troisième tentative de pseudo élection du Conseil National, tentative vouée indubitablement à l'échec mais créant une situation de blocage des institutions. Ce non-respect de la loi doit être dénoncé car les Architectes sont décidés à s'y opposer pour que ce forcing ne passe pas.
Mais les Architectes ont besoin que l'Administration les y aide en intervenant pour mettre un terme à cette mascarade et rétablir l'ordre. A cet effet, une seule solution s'impose : geler le processus électoral jusqu'à nouvel ordre et prévoir la mise en place d'une structure provisoire de gestion ordinal. Cette structure devra jouir de la confiance des Architectes pour être digne de respectabilité représentative. Madame La Ministre, pour mettre un terme à cette situation qui pollue la pratique professionnelle et perturbe la bonne marche des institutions ordinales, je vous prie de vous déclarer en faveur de la désignation, d'une commission composée de nos pairs choisis d'un commun accord, pour organiser les élections du Conseil National, dans le respect de la loi.
Dura lex, sed lex. La loi est dure, mais c'est la loi.
Saïd El Fassi Fihri, Ex-ministre de l'Habitat, Premier Président du Conseil de National élu et Nommé par Sa Majesté le Roi