Alors que le «protectionnisme vaccinal» dans le monde s'accentue, le Maroc demeure optimiste quant à son calendrier vaccinal. Il s'attend à recevoir environ 2 millions de doses dans les jours qui viennent, mais quid de la suite ? Avec plus de 550.000 personnes vaccinées à ce jour, le Maroc épuisera bientôt les 2.500.000 doses de vaccins commandées auprès d'AstraZeneca et Sinopharm, et ce, dans un contexte où la course à la vaccination devient de plus en plus rude. Deux autres livraisons sont attendues dans les jours qui viennent, comptant environ 2 millions d'injections. Toutefois, même avec la réception de ce lot, le Royaume ne sera pas tiré d'affaire de sitôt. D'autant plus que les perspectives d'approvisionnement ne prêtent pas à l'optimisme, suite à la bataille commerciale qui règne aujourd'hui entre les fournisseurs de vaccins et les Etats. Inquiets de la multiplication des variantes du Covid dans plusieurs régions du monde, les pays riches se sont d'ores et déjà accaparés les doses d'espoir. Certains ont même réservé plus du triple de la quantité de vaccin dont ils ont besoin pour leur population, tel que le Canada qui a commandé 400 millions de doses auprès de sept entreprises pharmaceutiques, pour vacciner ses 38 millions de citoyens. Alarmée par cette «fièvre acheteuse», l'Union Européenne a mis en place des contrôles à l'exportation des vaccins fabriqués sur le territoire européen, au milieu d'une querelle sur les insuffisances de livraison. Protectionnisme vaccinal ! Le mécanisme dit de transparence donne aux pays de l'UE le pouvoir de refuser l'autorisation d'exporter des vaccins si l'entreprise qui les fabrique n'a pas honoré les contrats existants avec l'Union. Une décision qui survient au moment où les Vingt-Sept sont plus que jamais désunis et se trouvent dans un conflit très public avec le fabricant de médicaments AstraZeneca (pour le moment premier fournisseur du Maroc) au sujet de l'approvisionnement. Face à la grogne, le britannico-suédois a finalement décidé d'augmenter de 30% au premier trimestre les livraisons de son vaccin, autorisé vendredi 29 janvier sur le marché européen. Outre AstraZeneca, plusieurs laboratoires ont annoncé une augmentation de leurs livraisons en faveur des pays européens, ce qui devrait permettre une accélération de la vaccination dans l'UE, où plus de 12,7 millions de doses de vaccins ont déjà été administrées. Une quantité démesurée, qui, très probablement, serait ponctionnée des stocks dédiés aux pays tiers, dont le Maroc fait partie. Toutefois, ce «protectionnisme vaccinal» qui risquerait de prolonger la pandémie dans le continent mère, ouvre également des opportunités pour le Royaume, qui projette, à terme, de devenir un hub régional de fabrication et de distribution de vaccins (voir repères). Surtout que le scepticisme sur l'approvisionnement vaccinal fait son lit en Afrique, du fait que le mécanisme «Covax», mis en place par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l'Alliance Internationale pour les Vaccins (Gavi), pour garantir un accès équitable de tous les pays au vaccin, prend du retard. Le Maroc demeure confiant Malgré la course mondiale au vaccin, où même de grandes puissances sont casées en liste d'attente, le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, demeure étonnamment optimiste quant au calendrier d'approvisionnement. Les prochaines livraisons au Maroc des vaccins de Sinopharm et d'AstraZeneca auront lieu en février, mars et avril, à des dates précises qui seront fixées par les fabricants, a-t-il indiqué lors du lancement de la campagne de vaccination à Rabat. «Nous avons signé des contrats à ce propos, les livraisons sont donc garanties», a-t-il affirmé, rappelant que le Maroc compte vacciner 30 millions de sa population pour atteindre l'immunité collective, mais cette fois-ci sans préciser la date (voir 3 questions à...). Le prochain lot britannico-suédois sera, cependant, livré via le dispositif «COVAX». Selon les premières prévisions de distribution, publiées mercredi 3 février, il s'agirait de plus de 1.881.600 d'injections. Néanmoins, aucune date précise n'a été communiquée. La livraison exacte après l'attribution dépendra de la séquence des pays dans le plan d'expédition, le temps nécessaire pour passer la commande, les obligations légales et réglementaires, ainsi que le délai de livraison du fournisseur, et logistique connexe. Sur ces points, le Maroc dispose d'un grand pas d'avance, vu que c'est le premier pays en Afrique à avoir lancé une campagne de masse. Toutefois, face à l'échec moral auquel est confronté le monde, en raison des politiques inégales en matière de vaccins, il ne nous reste que l'espoir à entretenir.
Saâd JAFRI 3 questions à Saïd Afif « Le respect des délais de livraison des vaccins par les fournisseurs est crucial pour la campagne de vaccination » Saïd Afif, président de la Société marocaine des sciences médicales et membre du Comité technique de vaccination, nous explique l'importance du respect des délais de livraison. - Les retards de livraison des vaccins en Europe a beaucoup impacté les campagnes de vaccination dans le vieux continent. Faut-il craindre une rupture de l'opération de vaccination au Maroc ? - Pour réussir la campagne de vaccination lancée le 28 janvier par SM le Roi Mohammed VI, il faut absolument que les doses des vaccins commandés par le Maroc soient livrées régulièrement. Ceci dit, il faut que les fournisseurs tiennent leur parole et respectent rigoureusement les délais de livraison. Par ailleurs, le Maroc fait partie des bénéficiaires du dispositif COVAX, ce qui lui permettra de bénéficier très bientôt d'un lot de vaccins important, qui va accélérer la campagne de vaccination. - Peut-on espérer atteindre l'immunité collective au mois de mai, comme l'avait indiqué le ministre de la Santé Khalid Ait Taleb ? - L'atteinte de l'immunité de groupe dans les plus brefs délais est notre objectif, sachant que l'échéance annoncée était calculée. Or, je réaffirme que cela reste dépendant de l'arrivée des doses de façon régulière. J'ajoute que la campagne de vaccination se déroule dans les meilleures conditions, le Maroc a été le premier pays africain à le faire, nous sommes déjà à plus de 460.000 personnes. Ceci laisse augurer que nous irons vite vers l'immunité de groupe d'autant plus que la situation épidémiologique est en constante amélioration. - Le Maroc doit-il négocier avec d'autres laboratoires pour sécuriser son approvisionnement vaccinal ? - Le recours à plusieurs fournisseurs en même temps ne garantit pas nécessairement le bon déroulement de la campagne de vaccination, d'ailleurs, des pays européens, notamment la France, sont en contact avec des laboratoires autres que ceux pour lesquels nous avons opté, pourtant, ils souffrent d'un ralentissement du rythme de leur campagne à cause des retards de livraison. Le Maroc a déjà garanti ses besoins en commandant plus de 66 millions de doses, ce qui est largement suffisant pour vacciner 33 millions, soit 80% des citoyens. Recueillis par S, J. Repères Livraison pour fin juin maximum Selon le document publié par l'OMS, le Maroc devrait recevoir, grâce à l'initiative COVAX, 1.881.600 doses du vaccin AstraZeneca au cours des deux premiers trimestres de l'année 2021. Le rapport explique que 35-40% des doses britannico-suédoises devraient être livrées à tous les pays d'ici fin mars, pour atteindre 56% entre mars et juin 2021. Les doses restantes devraient être livrées durant le second semestre de 2021. Cela dit, il importe de noter que quelque 337 millions de doses ont été attribuées aux pays les plus pauvres, avec une livraison prévue pendant le premier semestre de l'année. Maroc : hub régional Le laboratoire marocain privé «SOTHEMA» est techniquement prêt à produire des doses injectables pré-remplies de vaccin fourni par le laboratoire chinois Sinopharm. Bien que ce dernier ne soit pas prêt à céder la formule, le laboratoire marocain servirait à conditionner le vaccin, ce qui permettrait d'obtenir des millions de doses au printemps prochain. Le Maroc ambitionne de devenir un producteur de vaccins en tous genres avec une plateforme de production vaccinale de haute technologie dans la ville technologique Mohammed VI de Tanger. Cette usine va permettre de développer des vaccins «made in Morocco» et d'assurer l'autosuffisance du pays tout en approvisionnant le continent africain.