L'association a comme devise "les sans-abri ont besoin d'un réel accompagnement''. Elle a également comme mission de changer la vision portée sur eux. - Avec le confinement, les restrictions sanitaires ont sapé le moral de la population. A quel point la santé mentale et physique des sans-abri avait été fragilisée par cette pandémie ? - La crise du Covid-19 n'est pas seulement une crise sanitaire, elle est également une catastrophe sociale et psychologique. Elle aggrave l'isolement social de cette partie vulnérable de la population. L'épidémie a changé le quotidien des personnes sans- abri et sans domicile fixe. Du jour au lendemain, les mosquées, les bains maures, les restaurants et les cafés, qui étaient leurs sources de survie, ont été fermés. Il est devenu impossible d'avoir accès aux toilettes ou à l'eau potable. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait puisqu'ils n'ont pas été informés. Outre des migrants sans-papiers et sans domicile fixe, nous avons trouvé des mères de famille et des personnes qui menaient une vie normale, mal logées ou menacées d'expulsion, faute d'argent et de travail. Malgré la diversité des profils des personnes sans domicile fixe, elles ont toutes le point commun d'avoir des ruptures de lien, aggravées depuis le début de la crise. À l'heure où il nous a été demandé de rester à domicile, ces personnes ont été confinées dehors, isolées dans le froid hivernal, pendant les mois de mars, avril et mai, et incapables de suivre toutes les recommandations sanitaires. Heureusement, un nombre croissant d'habitants se disaient prêts à aider les personnes les plus démunies, notamment pendant le mois de Ramadan. Ils nous ont contactés pour que nous puissions nous en charger. - Comment les membres de votre association se sont-ils organisés pendant cette période difficile ? - Nous avons trois équipes de quatre bénévoles avec des coordinateurs, formés à cet effet, puisqu'il y a des risques de contamination de maladies contagieuses ou d'agression. On évite le port des gilets, mal vus par les sans-abri. Chaque équipe travaille dans un quartier où une vingtaine de sans-abri se trouvent. En moyenne, dix d'entre eux sont de vrais sans-abri, qui n'ont jamais connu ce qu'est une famille. Nous nous concentrons plus sur cette catégorie, puisqu'ils ont besoin de plus de travail. La première équipe se charge de l'enquête sociale, en remplissant des formulaires prévus à cet effet. La deuxième équipe comprend un psychiatre, un infirmier et des assistantes sociales ou des personnes qui ont de l'expérience dans le domaine associatif. Ensuite, une autre équipe intervient et se présente au nom de l'association. De plus, nous distribuons des couvertures, des habits et des repas. Les personnes malades ou blessées sont transportées aux hôpitaux pour recevoir les soins nécessaires. En période de confinement, nous avons doté les sans-abri de téléphones portables pour rester en contact avec eux, au moment où personne ne devait être dans la rue. Ils voulaient juste boire de l'eau. Ils n'avaient pas de lieu pour se laver ou manger. Ils avaient peur de la police qui sillonnait les villes en permanence. Nous avons distribué des gels antiseptiques, des lingettes, de la nourriture, des bouteilles de gaz... Nous avons également organisé des campagnes de sensibilisation en leur faveur. - Passer de l'action sociale au travail social est ce qui vous distingue des autres associations. Pourquoi ce choix ? - Aujourd'hui, nous passons de l'action sociale au travail social. Nous avons une stratégie que nous développons pour y arriver. La personne qui vit dans la rue ne peut pas s'adapter facilement au mode de vie normal. Ils sont des victimes. Il faut les comprendre et leur donner raison. En gros, notre approche est d'accompagner les sans-abri dans la rue. Nous commençons d'abord par les laver, nous leur montrons que nous avons confiance en eux, en leur donnant de petites sommes d'argent pour aller au coiffeur et au bain maure tous seuls. Nous les sensibilisons à la nécessité du travail. Ainsi, ils commencent à nous guider vers d'autres sansabri, au moment où ils deviennent mieux qu'eux. Ils se sentent utiles et prennent goût à la vie normale. Pour les personnes sans papiers, nous leur proposons à vendre des vêtements de dons en bon état. Ils apprennent à faire des économies. Quant aux personnes qui ont leurs papiers, nous les aidons à trouver un travail décent dans des cafés, restaurants, ... Notre projection initiale est de rendre tous les SDF dans une situation légale. Actuellement, nous sommes en train de négocier avec le ministère de l'Intérieur ce que nous pouvons faire en commun pour les réinsérer. Recueillis par Safaa KSAANI Portrait Un combat quotidien pour les SDF Avec les moyens de bord, Nisrine Laouzi, Présidente de l'association "Koulna Maak", essaye de remettre les sans-abri dans « la vie normale ». "Pour aider les personnes dans le besoin, il est nécessaire de créer une association, il faut aussi que les membres soient vraiment engagés, et enfin il faut avoir un bureau pour être crédible", nous explique cette jeune femme qui met son énergie au service des sans-abri. Le choix de ces oubliés de la société n'est pas fortuit. C'est le fruit d'une profonde réflexion "Out of the box" qui lui a permis de penser différemment aux besoins de cette frange de la société, selon une perspective nouvelle. Depuis 2019, date de création de son association qui se situe au quartier "Yaacoub El Mansour" à Rabat, elle s'attèle à sa mission avec zèle, et ce, dans le but de contribuer à changer une amère réalité sociale. "Koulna Maak" oeuvre principalement dans la prise en charge « en urgence » et la réinsertion des personnes vivant dans les rues de Rabat et ses régions. "Nous avons le projet de faire profiter de notre action toutes les personnes qui ont besoin de nous, dans toutes les villes marocaines", nous confie-t-elle, enthousiaste. En plus de son engagement associatif, Nisrine Laouzi, née à Rabat en 1989, est kinésithérapeute de profession. Elle travaille en tant qu'infirmière en médecine du travail. Faute de bénévoles sensibles à la cause des sans-abri, Nisrine fait souvent appel à ses proches et amis pour mener à bien la noble mission qu'elle s'est donnée. S. K. Repères Les différentes catégories des sans-abri Les sans-abri se trouvent dans chaque ville pour des raisons particulières. A Rabat, par exemple, on y trouve principalement des personnes ayant perdu leur emploi. A Salé, ce sont surtout les enfants de mères célibataires. Les personnes alcooliques ou dépendant de la drogue qui ont des troubles mentaux sont concentrées à Témara.... C'est ce que constate Nisrine Laouzi. Par ailleurs, statistiquement parlant, "70% des enfants se trouvent dans la rue à la suite du décès de leurs mères. A l'âge de 18 ans, les enfants des orphelinats sont "jetés" dans la rue. Un vrai cercle vicieux !", regrette Nisrine Laouzi. Le ministère de tutelle fait la sourde oreille Avant le déclenchement de la pandémie, l'association "Koulna Maak" a pris contact avec le ministère de la Solidarité, du Développement social, de l'Egalité et de la Famille, pour faire part de son projet opérationnel. Une demande restée lettre morte. Quelques jours après leurs réclamations, le ministère de tutelle a annoncé à la presse le lancement d'une initiative nationale destinée aux sans-abri, dans le but de prévenir contre la propagation du Coronavirus. Or, sur le terrain, "nous trouvons chaque jour des sans-abri dans la rue, ce qui ne correspond pas aux propos de la ministre Jamila Msalli. De plus, le fait de les mettre dans des écoles, pour les remettre dans la rue après la levée du confinement, n'est pas une solution. Ils seront plus agressifs ensuite", déplore la présidente de l'association "Koulna Maak".