Que voilà un vieux conflit ethno-religieux convulsif, celui entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, non-réglé depuis 1988, qui vient à nouveau de s'embraser pour quelques temps. Des deux côtés la propagande bat son plein pour cacher les lourdes pertes mutuellement infligées. Du Maroc, le fracas des armes au Caucase est presque inaudible, vaguement perceptible à travers les brèves des médias. Et son volet séparatiste, les arméniens ethniques du Nagorny-Karabagh s'étant détachés de l'Azerbaïdjan, en 1991, et constitués en république d'Artsakh, que seule l'Arménie reconnaît, le rend encore plus répulsif. Schizophrénie La seule chose qui peut susciter la curiosité à ce sujet est le constat du paradoxal soutien accordé par le champion des Frères musulmans et sultan néo-ottoman Erdogan aux Azerbaïdjanais, pourtant chiites. Et si s'avéraient exactes les informations concernant la présence de quelques 4.000 mercenaires jihadistes « modérés » syriens sur la ligne de front, ceux là même qui se faisaient fièrement filmer en train d'étêter leurs compatriotes « rawafidhs » (terme péjoratif pour désigner les chiites), alors c'est sûrement là le comble de l'hypocrisie. Mais peut être que, plutôt qu'en la foi en Dieu, c'est dans le culte voué à Mammon qu'il faudrait chercher réponse à cette énigme. L'Azerbaïdjan a exporté de plus en plus de gaz, ces dernières années, et acheté de plus en plus d'armes, qu'il utilise à présent pour tenter de récupérer le Haut-Karabagh, qui a fait l'objet d'un nettoyage ethnique en règle de la part des Arméniens, quelques 600.000 Azerbaïdjanais ayant été obligés de fuir leurs foyers lors de la première guerre, achevée en 1994. Sauf que l'armée azerbaïdjanaise est plutôt médiocre, car même supérieure en effectifs et en équipements, elle parvient quand même à se faire tanner le cuir par l'armée arménienne. Le dernier coup de « génie » tactique des Azerbaïdjanais est de regrouper leurs blindés en terrain découvert et d'attendre que l'artillerie arménienne les transforme en ferrailles calcinées. Jihad à gage Erdogan, de son côté, a de plus en plus besoin d'argent pour tenter de redresser la mauvaise situation économique dans laquelle ses ambitions géostratégiques et son aventurisme militaire ont plongé la Turquie. Il dispose, par ailleurs, d'une industrie militaire performante, comme le prouve l'efficacité des frappes de drones de fabrication turque Bayraktar TB2 contre les positions arméniennes, qui seraient autrement faciles à défendre, même en sous-effectif, du fait de la nature très accidentée du terrain. Des rumeurs font également état de l'usage de drones kamikazes israéliens Harop contre les chars arméniens, ce qui ferait que les trois religions monothéistes soient représentées sur le champ de bataille. Mais c'est là un autre sujet, qui tient plus du Grand Jeu géopolitique dans le Caucase que du choc des civilisations. Et comme il ne reste plus grand-chose à glaner du côté de la Libye, Etats-Unis et Russie ayant décidé de partager la tarte pétrolière entre les protagonistes pour qu'ils arrêtent de s'étriper, il fallait bien à Erdogan trouver un autre pigeon à plumer. En plus, le dollar n'est ni sunnite, ni chiite, il est anglo-sioniste. Ankara pourra toujours rétorquer que les Azerbaïdjanais sont des cousins, puisque ethniquement turcs. Alors qu'avec les Arméniens, c'est une vielle et sale histoire de génocide que les Turcs nient jusqu'à présent catégoriquement. Tout en envoyant leurs proxys jouer les prolongations. Mollah stress La cohérence idéologique ne semble pas non plus étouffer les mollahs de Téhéran, qui appuient discrètement les arméniens chrétiens contre leurs coreligionnaires azerbaïdjanais. Après tout, saboter les plans des Etats-Unis dans le flanc nord-est de l'Iran vaut bien quelques renoncements à la prétention affichée de protecteur de tous les chiites. Sauf que maintenant, les mollahs doivent gérer la colère leur propre minorité azérie, qui ne trouve pas du tout à son goût le tropisme pro-arménien de Téhéran. Entre le turban et la barbe, les voies de l'islamisme sont impénétrables. Ahmed NAJI