Par Naïm Kamal La rencontre de Manama au Bahreïn a eu lieu. Les 25 et 26 juin. Deux dates à ne pas retenir. Le jeune et fringant gendre du président américain, Jared Kushner, y a fait son show. Le soir il a dû se regarder dans le miroir pour constater combien il était beau et intelligent. Auparavant il a dû téléphoner à Benyamin Netanyahu pour lui demander comment il l'a trouvé. Good, very good lui a-t-il certainement répondu : « Tu es le fils spirituel de Theodor Herzl et le digne descendant du bien prénommé, David Ben Gourion. Persiste et signe, un jour ton nom figurera dans le temple des pères fondateurs du Grand Israël ». Qui va du fleuve d'Egypte à l'Euphrate et recouvre l'actuel Israël, la Cisjordanie, la Bande Gaza, le Liban et une partie de la Syrie, de la Jordanie et du Sinaï. Un jour ils découvriront dans un parchemin artificiellement vieilli de la Torah que le Grand Israël va du Golfe arabo-persique à l'Atlantique. Peut-être même de l'Iran aux Iles Canaries en passant par Maroc. En attendant le « deal du siècle » est en marche. Ce qu'en a dit Jared Kushner à Manama ne ressemble à rien. C'est de l'enfumage. Quelqu'un qui en sait un bout en diplomatie, interrogé un jour à Rabat sur ce deal, a prié toute personne qui en savait quelque chose de l'en informer. C'était Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères de la France, puissance, désormais secondaire, mais puissance toute de même. Alors si lui n'en sait rien… Et si lui n'en sait rien c'est parce qu'il sait que c'est de l'encu… (synonyme argotique d'enfumage que mon éducation m'interdit de prononcer intégralement). Cette fumisterie se présente dans la draperie d'un échange innommable, c'est pour ça qu'il porte celui de « deal du siècle ». Plus c'est gros, plus, semble-t-il, ça a des chances de passer. A Oslo, vous vous en souvenez d'Oslo, c'était en 1993, à Oslo, c'était les territoires contre la paix et la reconnaissance d'Israël et le renoncement à sa destruction, projet fumeux que feu Yasser Arafat avait déclaré caduc, en français dans le texte. C'était la première maille du tricot détricoté. La suite on la connait, une interminable série de reculs, chaque jour un peu plus, chaque jour un peu plus loin jusqu'à ce qu'il ne restera de la Palestine qu'un nom consigné dans les livres d'histoires. On n'en parlera, on n'en parle déjà, que comme on parle de la Mésopotamie. Même les archéologues les plus futés n'en trouveront que quelques vestiges sous formes de Kalachnikovs rouillées, témoins d'une tentative de résistance sans doute héroïque mais sans conséquences. A Manama, c'est encore pire, ou mieux, ça dépend de quel coté on se trouve. C'est la prospérité et la dignité, denrées périssables s'il en est, des Palestiniens contre des milliards arabes. Mieux, ou pire, qu'en 1948. En 1948, les juifs payaient les terres des Palestiniens de leurs poches. En 2019, c'est eux qui vendent aux Palestiniens du vent contre les pétrodollars de leurs frères arabes. Un coup à la Bernard Madoff, du nom du monteur américain du fonds d'investissement spéculatif qui a été au centre de la chute des marchés financiers en 2008. Conclusion en queue de poisson. Le problème n'est pas là. Il ne faut pas en vouloir à Jared Kushner, il est dans son rôle, ni, pour sauter du coq à l'âne, à l'écrivaine française Christine Angot qui hiérarchise les drames humains ni à Netanyahu ni à l'assassin de Rabin ni à Trump ni à Bernard-Henri Lévy ni à tous ceux qui leur ressemblent ou leur ont ressemblé. Les raisons du drame c'est nous. Depuis qu'en 1967 les armées arabes ont été défaites en six jours, nous n'avons trouvé de réponse pour sortir de notre longue nuit que le passéisme ou la paresse. Souvent les deux, ensemble ils forment une bonne paire.