Par Vincent Hervouët Emmanuel Macron entame l'acte II de son mandat. A l'Elysée, il a pris l'habitude de décider de tout. De tout contrôler. D'être au centre de tout. Et au-dessus, aussi. Sur le papier, tout va bien. Emmanuel Macron remonte dans les sondages, il gagne 4 ou 5 points. Il retrouve la cote de confiance qui frôle les 30% qu'il avait avant la crise ouverte par « les gilets jaunes ». Les ronds-points sont dégagés, l'horizon aussi. L'élection présidentielle avait coulé le Parti socialiste et l'épave n'est pas prête à refaire surface. Les Européennes ont sabordé Les Républicains (LR), le parti de la droite et du centre qui n'a plus de leader, ni de ligne politique. Dans un réflexe légitimiste qui lui est naturel, l'électorat de droite se rallie au Président, ce qui explique son retour en grâce. Une partie avait déjà voté en mai pour la liste qu'il parrainait et dont il a piloté la campagne, à rebours des traditions de la Ve République qui voudraient que le chef de l'Etat reste au-dessus des partis et se garde de descendre dans l'arène pendant cinq ans. Moi ou le chaos Les Européennes sont traditionnellement des élections sans enjeu, envoyant dans un parlement croupion, sans pouvoir de légiférer, des listes d'apparatchiks sans assise territoriale. L'engagement d'Emmanuel Macron sur les questions européennes a transformé ce vote en référendum pour ou contre sa politique. Toute la stratégie de l'Elysée a tendu à imposer un choix binaire : Macron ou Le Pen. Rejouer le duel du second tour de la Présidentielle. La martingale imparable : moi ou le chaos. En 2002, Jacques Chirac avait ainsi été plébiscité. En 2017, Emmanuel Macron aussi. En 2019, il a dupliqué l'opération. Le résultat n'est pas glorieux. La liste macroniste « Renaissance » a obtenu 22, 4% des voix. Elle a été coiffée au poteau par le Rassemblement national de M. Le Pen. Mais c'est un score honorable. Surtout si l'on songe à la déroute de l'hiver dernier, avec l'obscur scandale Benalla et le feuilleton des gilets jaunes. Surtout si l'on compare à la débâcle des autres partis, hormis la liste écologiste. L'opération a fini d'atomiser la scène politique. Une partie de l'électorat de droite a préféré soutenir un homme qui défend ses intérêts de classe plutôt que de voter pour ses convictions, notamment sur les questions de société, qu'incarnait un candidat LR méritant mais méconnu. La droite a voté utile en votant pour le camp d'à côté. Elle est tellement apeurée, quelle s'est suicidée ! PMA et gilets jaunes Elle a peut-être raison d'avoir peur. Les chiffres ne disent qu'une partie de la réalité. Ceux qui calculent trop sont ceux qui ne comptent pas : ils ont l'œil sur l'instantané des sondages, pas sur les tempêtes qui se dessinent au loin. Les questions qui taraudent les Français restent entières. Le sentiment de perte d'identité que suscitent la mondialisation et une immigration non contrôlée. La fracture territoriale, avec des pans entiers du pays qui sont et se sentent abandonnés. Des banlieues où la violence s'enracine comme un mode de régulation des luttes de clans. Ce n'est pas encore la guerre permanente des gangs, mais on y vient lentement. L'industrie qui s'évapore et le sentiment du déclin qui mine la classe moyenne. Sans compter ceux qui ne votent pas, les classes populaires qui sont entrées en dissidence, peinant à assurer les fins de mois et n'attendant rien de l'avenir. Les réformes que claironne le gouvernement suscitent le scepticisme des milieux financiers qui voient bien qu'il y a beaucoup d'esbroufe dans les mesures vertueuses annoncées. Les comptes ne sont pas tenus. Le déficit se creuse quand les pays européens alentour sont à l'équilibre. Les dix milliards d'euros que l'Elysée a lâchés pour amadouer les gilets jaunes ont entamé son crédit. Mais la classe moyenne se sent directement menacée par ce réformisme qui ne touche pas aux questions qui l'angoissent. Par ce président qui semble tellement déconnecté des réalités sociales. Pour caricaturer, ce n'est pas en autorisant les couples de lesbiennes à accéder à la procréation médicalement assistée (PMA), le sujet qui anime les débats en ce début d'été avec le concours de médias unanimement gagnés à la cause LGBT, qu'on répond à l'angoisse des gilets jaunes qui se plaignent amèrement de ne plus avoir d'hôpitaux à proximité ou de quoi se payer l'essence pour aller consulter le médecin à l'autre bout du canton. Tout seul Emmanuel Macron entame l'acte II de son mandat. A l'Elysée, il a pris l'habitude de décider de tout. De tout contrôler. D'être au centre de tout. Et au-dessus, aussi. C'est lui qui a inventé le Grand débat pour sortir de l'impasse où les gilets jaunes l'avaient enfermé. C'est lui qui a affronté des heures durant les élus locaux dans un happening télévisé tellement improbable. C'est lui seul qui a imaginé les mesures annoncées trois mois après. Il s'apprête à remplacer une partie du gouvernement, après avoir renouvelé sa garde rapprochée mais il décide seul. Le patron, c'est Macron et il n'a jamais échoué. C'est sa faiblesse, évidemment. Sa faille secrète. La seule part de lui même qu'il ne mette jamais en scène. Emmanuel Macron est en campagne permanente. Après les Européennes, les municipales. Qui seront le prélude à la présidentielle. Tous les partis étant mis sur la touche, sauf le Rassemblement national qui tiendra son rôle de repoussoir. C'est machiavélique. Cela peut marcher. Un temps. Mais tôt ou tard, les peuples refusent cette forme de chantage. Trop de marketing tue la politique. Mais à la fin, les nations se vengent.