Par Naïm Kamal L'Algérie aborde son énième vendredi de contestation du système en place sans que l'on puisse prédire la voie que vont y prendre les évènements en cours. Depuis la démission forcée de Abdelaziz Bouteflika de la présidence de la république, l'Algérie semble s'être installée dans un statisme ouvert sur tous les scénarii. Si la rue algérienne a persévéré dans sa détermination d'en finir avec le régime, le commandement militaire ne bouge pas non plus de ses positions, maintenant contre vents et marées sa volonté d'imposer au peuple algérien la composition avec le système et ses symboles dans le cadre d'une constitution qui n'est plus qu'un paravent. Lors de sa dernière sortie le 19 avril à Ouarghla, dans la quatrième région militaire, le chef de l'état-major s'est montré inflexible, laissant l'impression d'avoir dit son dernier mot. Coïncidence ou démarche calculée, c'est de cette même quatrième région militaire, frontalière avec la Lybie, que le général Gaïd Salah a pris ouvertement les rênes du pouvoir le 26 mars dernier en exigeant l'application de l'article 102 de la constitution prévoyant les situations d'empêchement pour le chef de l'Etat. Depuis, on assiste à l'effronterie du siècle : des généraux qui exercent au vu et au su de tout le monde le pouvoir en prétendant ne pas le détenir, dictent au quotidien le tempo du changement et profil des acteurs en affirmant se refuser à tout ce qui les mettrait en position de partie prenante. Il faut dire que si la rue a pu jusque-là imprimer sa volonté au mouvement conduisant à la déchéance du président et à l'engagement de poursuites judiciaires à l'encontre de figures et pas des moindres du régime, elle n'a pas réussi (ou voulu ?), en revanche, dégager une représentation en mesure de porter ses revendications et exprimer son vœu d'une deuxième république dans une démarche élaborée. Ce qui laisse aux généraux le loisir de le lui reprocher et de tracer, dans l'espoir de le lui imposer, les grandes orientations de ce que devrait être la transition. En même temps, le désir des manifestants d'affirmer leur autonomie handicape lourdement la capacité des élites politiques et des acteurs de la société civile traditionnels à influer sur l'issue d'un mouvement qui globalement les rejette au même titre que le système. Des propositions de sortie de crise de personnalités « respectables » non seulement ne reçoivent aucune suite de la part d'un commandement militaire qui entend rester maitre de l'initiative, mais restent aussi inaudibles de la rue. Les plus en vue à l'instar de Ali Benflis, Saïd Saadi ou l'avocat droit-hommiste Mustapha Bouchachi prêchent dans le désert. La trotskiste Louisa Hannoune qui a pris de fortes positions contre le général Gaïd Salah a été carrément trainée devant la justice aux cotés du frère du président déchu, Saïd Bouteflika, et des généraux de la sécurité militaire Médiene et Tartag. L'initiative de trois vieilles personnalités algériennes (90 ans de moyenne d'âge)*, issues du régime mais ayant vécu à sa marge ces trois dernières décennies, et qui se voyaient un rôle dans la transition, ont été superbement renvoyées à leurs chères études. Les militaires qui déjà rechignent à composer avec l'avenir n'entendent pas non plus s'encombrer de fantômes sortis d'un passé que les généraux, même pour les plus jeunes d'entre eux, trainent comme un boulet. En attendant, il n'y a pas de doute que des courants souterrains, spontanés ou organisés, sont à l'œuvre. Certes, il est encore trop tôt pour définir de quoi ils accoucheront en termes d'idées et d'actions. Ce qui est sûr, par contre, c'est que pareil mouvement ne peut rester infécond, tout comme il est certain que le passif est trop lourd pour que la transition ou son avortement soient une promenade de santé. Quand on sait que l'après franquisme en Espagne, pourtant porté par la communauté économique européenne, ancêtre de l'UE, a pris six ans à se mettre en place, on peut se faire une idée du temps qu'il faudra à l'Algérie pour sortir de l'ornière. *Taleb Ibrahimi, Ali Yahia Abdennour et Rachid Beyelles