Le pape François a achevé mardi 5 février 2019, sa visite historique aux Emirats arabes unis par une grande messe en plein air, inédite dans un pays musulman qui autorise la pratique de la foi chrétienne à condition qu'elle se déroule dans des églises. Premier chef de l'Eglise catholique à fouler le sol de la péninsule arabique, le souverain pontife a estimé mardi dans l'avion qui le ramenait à Rome que le dialogue avec l'islam avait fait « un pas en avant » lors de son voyage, même si ce lent processus devait encore « mûrir comme les fruits ». Le matin, des milliers de personnes avaient exulté en voyant François apparaître juché sur sa « papamobile » dans le stade où il allait célébrer une messe géante. « Pope Francisco », ont-ils scandé agitant des drapeaux jaune et blanc aux couleurs du Vatican. Un organisateur a évoqué par haut-parleur la présence de 170.000 personnes –rassemblement inédit aux Emirats– à la messe à l'intérieur et à l'extérieur du « Zayed Sports City », le plus grand stade du pays placé sous haute sécurité. Le chiffre de 135.000 billets distribués avait été annoncé officiellement avant l'événement qui a rassemblé des fidèles d'une centaine de nationalités, selon l'église locale. Environ 180 000 personnes ont assisté ce matin à la messe célébrée par le Pape François à Abou Dhabi. Il s'agissait du plus vaste rassemblement humain dans l'histoire des Emirats arabes unis. #PopeFrancisInUAE Plus d'informations sur https://t.co/DcZI01AcOG pic.twitter.com/z44DXiJKNM — Vatican News (@vaticannews_fr) February 5, 2019 « Je suis si heureuse d'être là », a confié Severine Mounis, 49 ans, une Indienne qui vit à Dubaï depuis plus de dix ans. « C'est un cadeau car nous ne pouvons pas nous rendre dans la Cité du Vatican ». Stanley Paul, un Pakistanais de 45 ans vivant aux Emirats depuis 14 ans, a pu venir avec femme et enfants. « Nous voulons que nos deux filles de 9 et 14 ans comprennent le pape, qu'elles voient sa simplicité ». François, fidèle à sa volonté de montrer la proximité de l'Eglise partout sur la planète, est venu saluer presque exclusivement des travailleurs immigrés, dont une écrasante majorité de Philippins et d'Indiens en habits colorés. Lui-même fils d'immigrés italiens ayant grandi dans une Argentine multiculturelle, Jorge Bergoglio est toujours très sensible aux difficultés des personnes déracinées. « Pour vous, ce n'est certes pas facile de vivre loin de la maison et de sentir bien sûr, en plus de l'absence de l'affection des personnes les plus chères, l'incertitude de l'avenir », a-t-il dit durant son homélie prononcée en italien et traduite par haut-parleur en arabe. Le pape a en revanche exceptionnellement célébré la messe en anglais. « Vous êtes un choeur qui comprend une variété de nations, de langues et de rites », a-t-il souligné, parlant d'une « joyeuse polyphonie de la foi » qui construit l'Eglise. Les Emirats comptent une population composée à plus de 85% d'expatriés. Les ressortissants originaires de pays asiatiques constituent environ 65% de cette population et sont employés dans tous les secteurs, du bâtiment aux services en passant par l'hôtellerie. Environ un million de catholiques vivent aux Emirats, soit près d'un habitant sur dix. Le pays compte le plus grand nombre d'églises catholiques de la région, soit huit. Dans ce pays observant un islam plus modéré que ses voisins, la présence de lieux de culte chrétiens fréquentés par des étrangers est tolérée. Aucune célébration ne peut toutefois être faite publiquement et la messe de mardi a revêtu à cet égard un caractère exceptionnel. Les Emirats ont toujours cherché à projeter l'image d'un pays ouvert et tolérant, même s'ils pratiquent une politique de « tolérance zéro » à l'égard de toute dissidence et notamment celle des adeptes de l'islam politique incarné par les Frères musulmans. L'Arabie saoudite voisine, royaume ultra-conservateur, interdit elle toute autre pratique religieuse que celle de l'islam. Le pape François, dans un long discours lundi devant des responsables de toutes les religions, a encouragé les Emirats à « poursuivre le chemin » garantissant la liberté de culte, évoquant « un carrefour entre Occident et Orient ». Le pape et cheikh Ahmed al-Tayeb, le grand imam de l'institution de l'islam sunnite Al-Azhar, ont condamné ensemble toute discrimination contre les minorités religieuses et appelé à la fraternité, dans un document co-signé lundi soir. « Le document a été préparé avec tant de réflexion et aussi en priant », a décrit le pape. « Parce que pour moi, il y a un seul grand danger en ce moment: la destruction, la guerre, la haine entre nous ». Lundi le pape, vêtu de blanc, et le grand imam sunnite, en noir, s'étaient montrés côte à côte devant la grande mosquée Zayed, puis s'embrassant à la même tribune de la conférence interreligieuse. « Si nous, croyants, nous ne sommes pas capables de nous donner la main, nous embrasser (…), notre foi sera défaite », a commenté le pape dans l'avion du retour. Il s'est réjoui d'avoir « entendu de quelques musulmans que le document (sur la fraternité) sera étudié à l'université, au moins à Al-Azhar, c'est sûr ». Mardi, le prince héritier d'Abou Dhabi a annoncé dans un tweet avoir ordonné la construction d'une « maison de la famille d'Abraham » pour commémorer la « visite historique » du pape François et du grand imam d'Al-Azhar ainsi que la coexistence des religions.