Par Naïm Kamal Nizar Barka est retourné à ce que beaucoup considèrent comme le bercail de l'Istiqlal pour célébrer avec les siens le 75ème anniversaire du Manifeste de l'Indépendance. La commémoration s'est déroulée au domicile de Haj Ahmed Mékouar, un homme qui nous vient de la fin du 19ème siècle, le premier dont le document historique porte la signature. Juste devant sa maison, se dresse une grande stèle en l'honneur et à la mémoire de cet évènement et de ses 65 hommes et une femme, Malika El Fassi. Unique dans sa solitude sur le territoire national, le modeste monument laisse croire que l'acte du 11 janvier 1944 est une exclusivité de Fès et des Fassis. De la même manière que beaucoup le considèrent comme l'émanation uniquement de ce qui nous reste aujourd'hui de l'Istiqlal de Allal Fassi, Cheikh Mohamed Belarbi Alaoui, Ahmed Balafrej, Mehdi Ben Barka et autres Abderrahim Bouabid ; ce qui s'explique aisément si l'on n'oublie pas comment l'Istiqlal de l'après scission de 1959 est resté seul fidèle à la célébration de cet évènement avant que Hassan II ne décrète le 11 janvier jour férié. Parmi ceux qui se sont manifestés cette année pour contester peu ou prou cette célébration, Rachid Talbi Alami, ministre de la Jeunesse et des Sports, occupe une place particulière. A le suivre dans les méandres de son raisonnement, les patriotes qui ont actionné les ficèles du Manifeste auraient délibérément choisi la date du 11 janvier pour porter ombrage à l'éclat du jour de l'an amazigh. Affirmer ça c'est déjà ignorer que la date du 11 janvier a été choisie par Mohammed V lui-même, pour la simple raison qu'elle correspondait au jour de l'audience du fonctionnaire français de liaison entre le Palais et la Résidence. Ma bande m'est témoin, j'adore forniquer avec la théorie de la conspiration, mais je n'ai jamais crevé le mur du son avec une pareille allégresse, l'air en plus d'avoir découvert le théorème qui expliquerait l'éclosion de la vie sur terre. L'histoire a la singularité d'être plus subtile qu'elle n'y parait. Avant d'être présenté au Roi Mohammed V, au résident de la France et aux consulats d'Angleterre et des Etas Unis d'Amérique, le projet du document a beaucoup voyagé entre les pivots du mouvement national, les personnalités indépendantes et les villes de leur résidence qu'aucune cité marocaine ne peut en revendiquer l'exclusive maternité. Dans l'ouvrage *TEMOIGNAGES ET REFLEXIONS*, Abderrahim Bouabid est catégorique : Le texte définitif était représentatif de différentes tendances, à l'exception de Mohamed Ben Hassan Ouazzani et de ses amis. Dès le début, les promoteurs du projet et ses signataires l'ont inscrit dans le rassemblement, même si à l'arrivée l'idéal de l'unité n'a pas été atteint. S'il faut impérativement quelque chose à lui reprocher, ce serait son manque de clarté. En dehors de l'indépendance et de l'union autour du Roi, le Manifeste est un tissu de flou artistique dont le Maroc porte toujours les stigmates. Le souci majeur était d'éradiquer jusqu'aux raisons les plus rudimentaires qui ont bercé les rêves du protectorat le jour où, 14 ans auparavant, il avait tenté d'imposer le dahir berbère. Et s'il faut absolument fixer au Manifeste un lieu de naissance, le choix du Palais Royal de Rabat s'imposerait de facto. Longtemps j'ai cru, parmi d'autres, que le référent royal dans le discours des politiques était une clause de style. En se penchant sur les faits, on constate que le Roi Mohammed V est à l'amont, au cours et à l'aval de l'acte historique. Rien ne pouvait se faire sans lui ne serait-ce que parce qu'il est, la formule est de A. Bouabid, « le dépositaire de la souveraineté nationale, reconnu par les traités, y compris celui du protectorat, [seul en mesure de prendre] officiellement la tête du combat, par le rassemblement de toutes les forces vives de la nation, de toutes les tendances si possible ».