Les demandeurs d'asile le connaissent bien et il connait bien leur situation. Homme de terrain, le représentant du HCR au Maroc, Jean-Paul Cavaliéri livre des détails instructifs en évaluant la politique marocaine d'asile et ce qu'il reste à faire pour la renforcer. L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Que pensez-vous de la stratégie adoptée au Maroc concernant les migrants d'une manière générale et les réfugiés en particulier ? Jean-Paul Cavaliéri Jean-Paul Cavaliéri : Le Maroc est l'un des tous premiers pays de la région MENA à se doter d'une politique nationale d'immigration et d'asile. Il s'agit là d'une initiative responsable et humaniste de la part d'un pays qui demeure un pays de transit, mais qui est aussi devenu un pays de destination pour les réfugiés. Grâce à cette politique, les réfugiés, c'est-à- dire des personnes qui ont fui les conflits ou les persécutions dans leur pays d'origine, reçoivent au Maroc protection ainsi que l'accès aux services essentiels comme l'éducation et la santé, et au marché du travail. En cela, le Maroc se montre digne des engagements qu'il a pris en ratifiant les conventions internationale et régionale en la matière. Quelque 5.000 réfugiés sont présents au Maroc, installés dans plus de 50 villes à travers le Royaume, originaires d'Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient. Ce chiffre de 5.000 réfugiés est relativement stable. Le fait que les réfugiés soient répartis à travers tout le pays est un indicateur qui parle positivement à la fois de l'accueil de la société marocaine et de la capacité d'insertion des réfugiés. Pour inscrire cette politique dans la durée, il est nécessaire que le Maroc finalise son projet de loi sur l'asile et que le HCR transfère ses responsabilités actuelles dans le traitement des demandes individuelles à la future instance nationale responsable. C'est important pour une pleine appropriation, par le Maroc, de sa politique d'asile. C'est aussi important au niveau régional, afin que la future loi d'asile marocaine, qui sera la première dans la région, inspire positivement d'autres pays et contribue ainsi à étendre l'espace de protection des réfugiés au niveau régional. Vous le souligniez, de pays de transit, le Maroc devient aussi un pays d'accueil, quelle est votre analyse de cette transformation de fond et de ses impacts ? Fin 2017, il y avait dans le monde 68.5 millions de personnes déplacées de force. C'est trois millions de plus qu'un an auparavant! Ces 68.5 millions comprennent 25.4 millions de réfugiés, 40 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays et 3.1 millions de demandeurs d'asile (c'est- à-dire dont la demande de statut de réfugié était encore en instance). Beaucoup de pays d'Afrique ainsi que du pourtour méditerranéen sont à la fois pays de transit et pays de destination. Les causes qui prévalent à ces déplacements forcés de population, à savoir l'éclatement, la persistance et l'intensification des conflits de par le monde, malheureusement demeurent. Neuf personnes déplacées sur 10 le sont dans leur propre pays ou dans des pays limitrophes (cf. la crise syrienne au Moyen-Orient) et 85% des réfugiés sont hébergés dans des pays du sud. Il est donc nécessaire d'instiller davantage de solidarité au sein de la communauté internationale pour l'accueil des réfugiés. Le Pacte mondial sur les réfugiés – dont l'adoption est prévue cette année à New-York- vise la concrétisation de ces objectifs. La solidarité, c'est ce que démontre le Maroc, avec les moyens qui sont les siens, à travers sa politique nationale d'asile. L'UE presse le Maroc d'ouvrir des «Hot spots» pour empêcher l'arrivée de migrants sur son sol. Est-ce la solution ? Il est vrai que la majorité des personnes sauvées ou interceptées en mer sont des migrants économiques et non des réfugiés. Le HCR propose une approche régionale pour les désembarquements, afin que les personnes soient désembarquées rapidement dans des ports identifiés à l'avance à travers la Méditerranée, y compris en Europe, en accord avec les principes du Droit de la Mer. Le HCR ne soutient pas les projets qui visent à externaliser les procédures d'asile. Il faut au contraire une approche régionale forte, qui implique tous les pays du bassin méditerranéen et au-delà. Quant à l'identification de ports ou de plateformes de désembarquement – ce sont des discussions qui doivent avoir lieu entre Etats.