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Chrétiens marocains Qu'en feront les islamistes ?
Publié dans L'observateur du Maroc le 23 - 12 - 2011

Si la plupart ont fait le choix de s'exiler pour vivre leur nouvelle foi en sécurité, certains sont demeurés au Maroc, faute de moyens financiers pour la plupart. Et ceux-là, ces «Chrétiens marocains du Maroc» sont inquiets. Vivant clandestinement leur culte d'«apostat» de peur d'être «chassés de la bergerie», dans une société où majoritairement (exception faite de la minorité juive marocaine) l'on nait et demeure musulman, souvent par hérédité sociale. Terrorisés d'être poursuivis pour prosélytisme par les autorités judiciaires (passible d'un emprisonnement de 6 mois à trois ans en vertu de l'article 220 du code pénal), ils craignent que leur situation déjà peu enviable n'empire avec l'arrivée au pouvoir de la formation islamiste d'Abdelilah Benkirane, dans un contexte de regain de conservatisme et de religiosité parmi une fange de Marocains. Avec 107 sièges sur 395 au Parlement, et des portefeuilles ministériels conséquents, il est certain que le parti de la lampe parviendra à faire peser sa voix sous la coupole. Ceci dit, les garde-fous constitutionnels, à commencer par la Commanderie des croyants, sont là, le PJD étant aussi empiriquement limité dans son action idéologique, au regard des autres formations de droite, de centre comme de gauche avec lesquelles il doit composer. Mais qui faut-il blâmer dans tout cela? Qui a péché, qui sont les loups, qui sont les agneaux? La question est en fait beaucoup plus complexe et nuancée qu'il n'y parait. Les réactions des autorités marocaines, qui peuvent paraitre virulentes, à l'égard de ces nouveaux chrétiens, ne les visent pas tant en tant qu'individus, mais plutôt le processus qui a mené à leur conversion. Beaucoup parmi eux ont en effet été approchés par des missionnaires du puissant mouvement évangélique, une église hybride née aux Etats-Unis (nébuleuse d'églises indépendantes, luthériennes, baptistes, pentecôtistes ou encore méthodistes, mais majoritairement protestantes) et comptant près de 500 millions d'adeptes de par le monde. Les multiples composantes de cette nébuleuse, par opposition au clergé catholique classique et aux églises protestantes traditionnelles, hiérarchisées et reconnues par les autorités officielles (notamment marocaines), sont, dans nombre d'Etats, y compris de tradition judéo-chrétienne, assimilées à des sectes. Utilisant souvent l'humanitaire comme porte d'entrée à un tiers-monde dans le besoin, ces « fous de Jésus », jeunes, affables et propres sur eux, sont envoyés dans le monde arabo-musulman, leur «ultime zone de mission» pour convertir en masse «les Mahométans». Leur cible de prédilection : les populations berbères des régions enclavées d'Afrique du Nord, considérées moins imprégnées par l'Islam et l'islamisme que les ethnies arabes (près de 20 000 Kabyles seraient devenus chrétiens). Et les citadins de condition modeste, plus vulnérables aux sirènes du prosélytisme, surtout lorsque ce dernier fait miroiter la perspective d'une immigration en Occident en échange d'une conversion au christianisme. Dès lors, on saisit mieux la précipitation avec laquelle les autorités ont expulsé du Maroc, en mars 2010, les membres de l'ONG «Village of Hope» qui gérait l'orphelinat d'Aïn Leuh, sans autre forme de procès, après que les familles d'accueil étrangères aient été accusées d'avoir élevé les petits pensionnaires dans la foi chrétienne. Ou encore l'inquiétude des parents d'enfants de l'école américaine de Casablanca, qui auraient été convertis en douce par un professeur évangéliste. Sans oublier, sur un autre registre, la fermeture en mars 2009 de l'école irakienne de Rabat, soupçonnée de prosélytisme chiite. Mais, au-delà du fait divers, ces affaires nous donnent à réfléchir de façon calme et sensée, et à se poser les vraies questions, doivent-elles fâcher. Car le temps est venu de s'atteler à la clarification des termes et des statuts ambigus, à l'aune de la nouvelle Constitution. Doit-on inclure l'apostasie comme délit pénal, sachant que la loi suprême définit l'Islam comme religion d'Etat, mais reconnait à tous le libre exercice des cultes? A-t-on le droit, en tant que Marocain majeur, de choisir sa religion-autre que musulmane sunnite de rite malékite ou hébraïque- et de la vivre dans son Maroc natal sans craindre pour sa sécurité physique et sociale? A partir de quand « ébranle»-t-on la foi d'un Musulman ? Quand commence le prosélytisme et en quoi est-il une menace pour la cohésion sociale et la stabilité politique du pays ? C'est là le moindre des débats que l'on est en mesure d'attendre du gouvernement Benkirane, comme de l'opposition et de la société civile. Pour la sérénité politique et sociale du pays.
Aïn Leuh n'arrive pas à tourner la page
Salaheddine Lemaizi
Aïn Leuh, ville du Moyen-Atlas, a été au printemps 2010 le centre d'une affaire qui a failli se transformer en crise politique entre le Maroc et les Etats-Unis. Le 8 mars de cette année, les autorités marocaines expulsent les seize ressortissants étrangers gérant le Village of hope (VOH), un orphelinat situé dans cette localité montagneuse. Ces personnes issues d'Afrique du Sud, des Pays-Bas, de Grande Bretagne, de la Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis sont accusées par les autorités marocaines de «prosélytisme évangéliste». Le départ des évangélistes supposés, présents depuis treize ans, est expéditif. Tout se déroule en trois heures. L'orphelinat est repris en main par les autorités marocaines.
Cette expulsion fait grand bruit parmi les associations chrétiennes de l'Hexagone. «Le groupe des 16» plaide l'innocence. Dans leur unique déclaration, publiée le 11 mars, on pouvait lire : «VOH a toujours agi en étant pleinement connu des autorités marocaines et avec leur accord, ces dernières comprenant clairement que les travailleurs étrangers étaient chrétiens. Il a aussi toujours été entendu que les enfants seraient élevés dans un contexte à la fois musulman et chrétien, mais qu'ils seraient aussi totalement immergés dans leur culture marocaine quant à l'amour pour leur pays, quant à leur langue, leur éducation et quant à la connaissance de l'islam». Après plus d'un an de cette séparation fracassante, que deviennent donc ces enfants ?
Des enfants encore choqués
«Ils sont toujours sous le choc. La vie ne sera jamais pareille pour eux ni pour l'ensemble des habitants de la région», confie Omar Jamoue, directeur de l'orphelinat d'Ougmès, une structure de la protection de l'enfance située à 5 km d'Azrou, et considérée comme la jumelle de VOH. Egalement géré et financé par des ressortissants étrangers, majoritairement des Américains, l'orphelinat d'Ougmès a failli connaitre le même sort.
O. Jamoue, qui était membre d'honneur de l'association gestionnaire de VOH, se dit scandalisé par la «sauvagerie» avec laquelle l'expulsion s'est déroulée. «Les autorités n'ont pas prévenu et n'ont pas laissé le temps aux parents d'expliquer aux enfants ce qui se passait».
A Ougmès, les vingt enfants du centre ont eux aussi été perturbés. «Ils sont encore choqués par cette séparation brutale avec leurs frères. Au fond, ces méthodes ont été désastreuses pour le moral des enfants comme pour notre relation avec les autorités», révèle le directeur de l'orphelinat d'Ougmès. Depuis cette affaire, O. Jamoue est privé de son passeport marocain et interdit de quitter le territoire. «Les autorités ne nous donnent pas d'explications sur ce sujet. Nous avons mandaté un avocat pour suivre ce dossier et, depuis, pas grand-chose», regrette le membre d'honneur de VOH. Avant d'ajouter : «Nous ne contestons pas le droit des autorités de fermer cet orphelinat. Notre pays est un Etat souverain, sauf que les choses auraient dû se passer autrement».
VOH, DAG aux commandes !
Sur sa page web officielle, l'équipe du VOH croit toujours qu'un retour à Aïn Leuh est possible. Mis à jour régulièrement, ce site maintient en vie le projet de VOH tel que conçu au départ. «Selon plusieurs sources locales, leurs (enfants) conditions de vie se sont dégradées ces derniers mois», avance l'ancienne équipe de VOH. Il a été impossible pour nous de vérifier auprès de la préfecture d'Ifrane ces informations. Depuis mars 2010, ce dossier sensible est géré par l'autorité locale de la région. Grande surprise, le service en charge de l'orphelinat n'est pas la Division des affaires sociales de la préfecture mais la Division des affaires générales, plus connue pour gérer les dossiers sécuritaires.
Au quotidien, c'est une association proche de la municipalité d'Azrou qui gère VOH. Au lendemain de l'expulsion du «groupe des 16», le juge de la Famille d'Ifrane confie la garde des enfants de VOH à la présidente de cette association. «Il est impossible de s'approcher de l'orphelinat», constate un habitant d'Aïn Leuh que nous avons contacté. «Mais selon plusieurs personnes, ils ont la même qualité de vie qu'ils avaient du temps des chrétiens, si ce n'est mieux», avance cet habitant. Les enfants continuent de suivre leurs cours dans l'école aménagée dans l'orphelinat, l'éducation islamique fait partie désormais des matières enseignées aux trente enfants.
Glorifier Dieu sans prosélytisme
L'ancienne équipe continue à affirmer que «VOH n'a jamais été un lieu d'évangélisation». Selon eux, chaque membre et visiteur de VOH signe deux documents interdisant le prosélytisme. Il s'agit du «contrat d'engagement», où ces personnes respectent une série de principes dont l'abstention à faire du prosélytisme et à respecter le roi du Maroc et l'Islam.
Le deuxième document vise à clarifier le rapport au prosélytisme. On peut lire l'injonction suivante : «Pendant votre séjour au Village de l'Espérance, nous vous demandons de ne pas faire de prosélytisme».
Pourtant, la conclusion de cette déclaration ne plaide pas pour une meilleure clarification du rapport au religieux au sein de VOH : «Nous souhaitons que vous soyez une bénédiction pour la communauté et que nos vies resplendissent pour le royaume de Dieu. Nous pensons qu'à travers nos vies et nos actions, les gens autour de nous commenceront à glorifier Dieu».
O. Jamoue, l'ancien membre d'honneur de VOH, balaye d'un revers de main toute confusion de ce genre : «jamais VOH n'a été un lieu d'évangélisation. Cet orphelinat existe depuis 50 ans dans la région et tout le monde sait ce qu'on y faisait».
Exit les Occidentaux, place aux Emiratis
Malgré la campagne internationale lancée en solidarité avec «Le groupe des 16», l'Etat semble tourner la page du VOH dans son ancienne version. Aucun contact officiel ou officieux ne s'est fait depuis l'expulsion. Les autorités locales quant à elles préparent le terrain pour l'entrée d'un nouvel acteur dans la protection de l'enfance.
L'affaire de VOH n'a fait que révéler le vide laissé par l'Etat dans une région réputée être un bassin de la prostitution, avec tous ses corolaires dramatiques : mères célibataires et enfants abandonnés. Un projet grandeur nature vise à tirer le tapis sous les pieds des Occidentaux très actifs dans la protection de l'enfance depuis des décennies. Des associations des Emirats Arabes Unis ont construit un orphelinat dans la région d'Azrou. Sur la route de la forêt du Cèdre Gourou, un immense complexe émerge de terre. Il s'agit du projet émirati composé d'un orphelinat, d'un centre de vacances et d'un camping. Ces deux installations touristiques seront dédiées à financer l'orphelinat. L'ouverture est prévue pour 2012.
«Un Marocain musulman qui fait librement le choix d'être chrétien peut-il continuer sa vie sans être menacé ? Non.»
Michael Paita responsable Pôle Solidarité Internationale à l'Association Humanitaire La Gerbe.
Entretien réalisé par S.L.
L'Observateur du Maroc. Quelle est la situation sociale, sanitaire, scolaire, psychologique... des 30 enfants du VOH ?
Michael Paita. Nos informations sont limitées puisque les contacts avec les enfants nous sont toujours interdits. Cependant, certains contacts nous font savoir que si les enfants mangent à leur faim, ils manquent de vêtements chauds et de confort matériel, ce qui nous inquiète pour leur bien-être de base. De plus, depuis plusieurs semaines, la directrice aurait le projet de placer les enfants dans d'autres institutions et donc de les séparer. Les enfants l'ont appris, ce qui provoque une grande détresse chez eux. Enfin, le personnel de l'orphelinat n'est pas payé depuis plusieurs mois, ou partiellement. Il ne bénéficie d'aucune protection sociale comme c'était le cas durant l'ancienne gestion de l'orphelinat.
Avez-vous essayé de contacter les autorités marocaines sur ce dossier ?
Depuis le départ, les responsables de VOH ont tenté d'établir un dialogue avec les autorités marocaines, mais ces tentatives n'ont pas reçu de réponse. Pourtant, tous les biens des familles anciennement présentes sur le site de VOH ont été confisqués par les autorités, sans aucune forme de procès, ni de droit à faire appel comme le garantit la loi marocaine.
Par ailleurs, l'association La Gerbe a interpellé par écrit l'ambassadeur du Maroc en France et a réagi à plusieurs reprises de manière publique sur son site internet ou au travers de la revue trimestrielle "Espérance", mais sans réaction de la part des autorités marocaines.
Les autorités marocaines justifient l'expulsion par l'activité d'évangilisation des responsables de VOH. Que répondez-vous à ces accusations ?
Les travailleurs de VOH expulsés ne sont pas des évangélistes mais des travailleurs de confession chrétienne venus au Maroc pour accueillir de jeunes orphelins dont personne d'autre n'a voulu. Les travailleurs de VOH ont été spoliés de tous leurs biens par les autorités, sans procès, ce qui pose un grand questionnement sur la sécurité d'un investissement étranger au Maroc.
Cette expulsion des travailleurs expatriés a d'avantage correspondu à un geste politique qu'à un réel problème avec le fonctionnement de l'orphelinat. En effet, tout fonctionnement est modifiable et, comme vous le savez, les 10 ans de collaboration entre les dirigeants du VOH et les autorités locales ont montré une entente cordiale enrichissante pour chacun et bénéfique pour les enfants accueillis. Si des choses devaient être améliorées, pourquoi alors ne pas interpeller la direction de l'orphelinat et changer ce qui doit l'être?
Le fait que la vague d'expulsion n'ait pas touché uniquement des chrétiens mais aussi quelques musulmans chiites montre très clairement qu'il s'agit d'un message des autorités envoyé à l'opinion publique marocaine et en particulier aux islamistes souhaitant un islam marocain plus radical.
En tant qu'association de soutien aux chrétiens persécutés dans le monde, estimez-vous que la liberté de conscience au Maroc est possible ?
A-t-on le droit d'être chrétien au Maroc et de le dire ouvertement ? Un Marocain musulman qui fait librement le choix d'être chrétien peut-il continuer sa vie sans être menacé de représailles comme le garantit normalement la loi du pays ? Ce n'est malheureusement pas ce que nous avons constaté.
Témoignages de chrétiens marocains
« Il n'est jamais évident de sortir d'une religion pour s'engager dans une autre.»
Karim, 28 ans, technicien chez un concessionnaire de véhicules à Casablanca et Converti au christianisme depuis quatre ans.
Je suis né d'une mère marocaine et d'un père syrien chiite. Enfant, ma mère me confiait à une association gérée par des catholiques à Casablanca. C'était une crèche. Mais malgré notre curiosité d'enfants, on n'entretenait aucun rapport avec les sœurs. On avait affaire à des enseignants musulmans qui nous faisaient lire le Coran.
Jusqu'à l'âge de 16 ans, j'étais un musulman radical. Barbe de rigueur et prières à l'heure, j'étais un exemple pour les familles de l'ancienne médina de Casablanca, le quartier où j'ai grandi. C'est là que j'ai commencé à me poser des questions. Dieu existe-t-il ? Où se trouve la vérité ? Pourquoi sommes-nous musulmans ? J'ai entamé ainsi ma quête de la vérité. Documentation, lectures, recherches… J'ai relevé plusieurs contradictions dans l'islam. En même temps, il était difficile de prouver que cette religion n'est qu'illusion. J'ai dû faire une autopsie spirituelle du Coran et des hadiths. C'est là que je me suis rendu compte que l'islam cache beaucoup de choses. Aucune source n'est sûre et plusieurs erreurs sont à signaler. A l'époque, je n'ai pas voulu prendre le risque de passer pour un mécréant au sein de mon entourage en posant ce genre de questions. J'ai gardé mes recherches secrètes, tout en poursuivant ma quête. J'ai beaucoup lu sur la situation de la femme dans l'islam, la problématique de l'héritage, de la violence, de la polygamie… D'ailleurs, ce n'est pas en se mariant avec neuf femmes comme l'a fait le prophète Mohamed que l'islam prouvera sa bonne foi envers la femme. Pour sa part, le Coran n'est pas clair. Le message de Dieu est incompréhensible, dur et tiré par les cheveux. Est-ce pour prouver la supériorité de Dieu ? Cet orgueil dans l'islam est un critère que j'ai relevé dans le caractère de tout musulman. Contrairement à un chrétien, un musulman refuse la critique de sa religion. On a toujours cette impression de la théorie du complot, comme si tout le monde en voulait à l'islam. A un moment donné, j'ai décidé de ne croire en aucune religion. J'ai continué mes recherches et j'ai commencé à approfondir la religion chrétienne. Si plusieurs points me paraissaient étranges, j'adhérais en grande partie aux principes de Jésus. Amour, tolérance, pardon, valeur humaine, respect… Le christianisme correspondait à ma vision des choses. Contrairement à l'islam, ce qui m'a attiré davantage est que la religion de Jésus est loin de la politique et n'encourage pas le «Djihad». J'ai consulté un prêtre qui m'a offert une bible et m'a conseillé de lire des livres sur le christianisme. J'ai passé ensuite un mois dans une église orthodoxe à Casablanca. Je suis devenu un vrai chrétien. Si je tais ma chrétienté à mon quartier ou encore à ma famille, je parle librement de ma nouvelle religion avec mes collègues du travail. Mais avec le temps, je me rends compte que j'ai quitté une religion à grandes restrictions pour en trouver d'autres dans le christianisme. J'ai également mal vécu le fait de voir les différents problèmes des églises, le manque de crédibilité des pasteurs, l'exploitation des gens en contrepartie de l'argent… J'ai souffert en voyant des personnes qui jouent le jeu, se convertissent, mais restent musulmans en vrai. Tout cela à des fins financières. Le choc était rude pour moi. Il n'est jamais évident de sortir d'une religion pour s'engager dans une autre. C'est ainsi que j'ai décidé de tout laisser tomber depuis un an et de prendre du recul. Si j'ai regretté ma reconversion ? J'ai plutôt regretté les 22 ans passés sous la houlette de l'islam. En même temps, ma conscience n'est pas encore tranquille, même après ces quatre années de christianisme.
«La Vierge-Marie est venue me saluer et m'a demandé de l'accompagner.»
Saâd, 31 ans, commerçant
J'ai grandi dans une famille pieuse. Mon père était imam à Agadir et tous mes frères et sœurs respectaient à la lettre les préceptes de l'islam. «Notre» foi a grandi lorsque toute la famille s'est installée en Arabie Saoudite. A l'âge de 8 ans, j'ai demandé à mon père si Dieu était sur ou sous la lune. Je n'oublierai jamais la gifle qu'il m'avait assénée, agrémentée d'un «que Dieu te maudisse petit mécréant». J'ai compris, à cet instant précis, qu'un bon musulman doit croire sans poser de questions. A 20 ans, j'étais le plus fervent croyant musulman de la famille. Mes parents étaient fiers de moi et je recevais à chaque fois les prières de mon père. En retournant au Maroc, notre famille a eu la cote dans le quartier. On disait que mon père avait la «baraka» du prophète parce qu'on avait passé des années en Arabie Saoudite. Un jour, alors que je regardais la télévision, une chaîne française diffusait des chants chrétiens. C'était la messe du dimanche. Chaque jour à la même heure, cette chaîne diffuse des chants de l'église. J'ai été étrangement attirée par la cohérence des rythmes. Je ressentais une paix intérieure. J'ai commencé à lire des livres sur le christianisme, à suivre des émissions sur la même chaîne et à faire des recherches. Je risquais ma vie, mais je ne pouvais lâcher cette nouvelle découverte qui m'offrait un bonheur spirituel et un épanouissement étrange. Une nuit, j'ai rêvé que j'étais dans une église. La Vierge-Marie est venue me saluer et m'a demandé de l'accompagner. Cela a été le déclic. Je me suis alors converti, en cachette. Seuls mes amis sont au courant. Depuis cinq ans, ma vie a changé. Même ma famille a remarqué un grand changement en moi, je suis plus épanoui, plus ouvert… Mais personne n'en connait la raison. Je n'ai quand même pas envie que mon père meure d'une attaque cardiaque !
«Alors que je m'apprêtais à dormir, j'ai vu une lumière dans ma chambre.»
Othmane, 22 ans, étudiant
On m'appelait le taliban dans mon quartier. Mon habillement afghan et mon duvet naissant mettaient la puce à l'oreille de tous ceux qui me côtoyaient. Je n'étais pas extrémiste mais radical. J'ai imposé le voile à ma mère et mes deux sœurs et je me disputais avec mon père qui buvait de l'alcool et ne faisait pas la prière. J'ai hérité cette ferveur religieuse de mon grand-père paternel. J'habitais à Derb Soltan, le célèbre quartier populaire à Casablanca. Depuis mon jeune âge, je faisais toutes les prières à la mosquée et je faisais partie d'un groupe de jeunes avec qui on discutait religion. Je subissais plusieurs pressions : celles de ma famille qui me demandait d'être moins radical, de mon entourage qui s'inquiétait à cause de mon enfermement et de mon groupe d'amis qui m'encourageait à continuer dans la voie de Dieu et de la raison. Un jour, un ami m'a présenté un jeune Marocain qui venait tout droit des Etats-Unis. On discutait de plusieurs sujets et on parlait souvent d'attentats terroristes. J'adhérais à sa vision des choses et j'apprenais beaucoup de lui. Mon ami m'a appris par la suite qu'il était venu au Maroc recruter des jeunes pour des actes terroristes ! Je n'en revenais pas. C'est là que j'ai décidé de remettre toute ma vie en question. J'ai voyagé pendant deux mois pour faire le vide. A mon retour, j'ai commencé mes recherches. J'ai lu des livres sur l'islam, sur le christianisme et sur le judaïsme. J'étais perdu. Même mes études en ont pâti. Une nuit, alors que je m'apprêtais à dormir, j'ai vu une lumière dans ma chambre. Après plusieurs recherches, je me suis rendu compte que cela arrivait aux chrétiens et que c'était la lumière de Jésus. J'ai réalisé finalement que les principes du christianisme convenaient en grande partie à ma vision des choses. C'est ainsi que j'ai décidé de devenir disciple de Jésus. Depuis, je mène une nouvelle vie. J'ai repris mes études, laissé tomber ma tenue afghane et réussi à retrouver ma famille qui n'est toujours pas au courant de ma reconversion. Je suis épanoui…


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