Ahmed charai Les évangélistes expulsés aggravent leur cas puisquils sadressaient à des enfants en bas âge et en situation de grande précarité. Dailleurs il est à craindre que ce genre daffaires nattire la suspicion sur dautres ONGs humanitaires et ne complique leur tâche à lavenir. Dans le contexte international actuel, où les identités saffrontent dans des choix meurtriers, il faut bannir le prosélytisme, tout prosélytisme religieux. La liberté de culte, garantie par la constitution marocaine et respectée dans les faits, ne signifie pas la porte ouverte au prosélytisme. Dans un pays où le Roi est aussi le défenseur de la loi, une telle perception relève de lignorance. En prenant la défense de leurs ressortissants, certains pays occidentaux sont tombés dans le piège. Les USA savent avec quel sérieux et quelle sincérité le Maroc combat les déviances intégristes. Dans tous les rapports, quils soient officiels ou officieux, lengagement du Maroc en faveur dun islam tolérant est mis en avant. Cet engagement ne peut avoir les effets quil a sans que les pouvoirs publics, dans le respect des lois, défendent les fondements. De manière plus générale, la liberté dexercer un culte nest pas liée à la possibilité de prosélytisme, à la tentation de conversion des populations. Cette nuance existe en droit dans la majorité des pays du monde. Que des individus, par choix personnel, se convertissent, on peut les appuyer au nom de la liberté de conscience, notion que peu de pays musulmans «tolèrent». Mais il est impossible daccepter une activité organisée de prosélytisme. Dailleurs les représentants des différentes églises présentes au Maroc ont tous dénoncé les tentatives dévangélisation des enfants. Il faut comprendre que dans le contexte actuel, ce genre daffaires ne nourrit que les réflexes identitaires les plus régressifs et donc lintégrisme le plus radical. Cette évidence aurait dû inciter les diplomates occidentaux à la compréhension de lattitude marocaine au lieu de gesticuler, pour le principe, comme ils lont fait. Aïn Leuh a-t-elle péché ? Salaheddine Lemaizi Envoyé spécial à Aïn Leuh Haut perché sur une montagne, le centre de la commune rurale dAïn Leuh se cache derrière une forte brume. Adossée à Dada Hamou, limmense forêt de cèdre de 21 mille hectares, la petite localité baigne dans une misère qui saute aux yeux, avec à côté son unique hôtel, son avenue Hassan II et ses ruelles étroites. Ce village est tout remué. Il vient dassister à lexpulsion de 16 étrangers qui faisaient partie du «décor», pour certains, depuis des années. Tous dirigeaient le Village de lespérance (ndlr. Plus connu sous lappellation Village of hope -VOH). Une sorte dorphelinat qui abritait des enfants abandonnés de la région et qui serait un temple pour évangélique convaincu. Lheure de la prière Notre arrivée coïncide avec la prière du vendredi. Lappel du muezzin sentend de loin. Sur le chemin de la seule mosquée dAïn Leuh, on est accueilli par une légère pluie, un froid supportable et «licône» du village, une prostituée, en quête de clients Driss Doudach, limam de la mosquée fait son entrée. Il sinstalle sur le minbar, la salle se remplit petit à petit. Limam se lance dans un virulent prêche contre les relations sexuelles hors mariage. Il enchaîne avec le sujet de brûlante actualité dont tout le village parle ces derniers jours. «Ce qui nous arrive est le résultat de la prostitution», peste-t-il avec verve. Pendant 40 minutes, il pointera du doigt «ce mal qui a souillé Aïn Leuh». A la fin de la prière, il nous confiera quil a sans cesse dénoncé dans ses prêches les «liens dangereux entre la prolifération de la prostitution et la présence chrétienne dans notre village». Quand nous lui demandons dêtre plus précis, il lance avec une voix sûre : «Selon mes informations, les responsables du Village de lEspérance encourageaient les prostituées de la ville à avoir des enfants et ils les récompensaient généreusement». A la sortie de la mosquée, la discussion sur le prêche de limam continue de plus belle. Sur la petite avenue Hassan II, Mehdi, Samir et Addi saccordent à dire que les pratiques qui paraissent cachées dont parle limam ne sont quun secret de polichinelle pour les habitants de la ville. «Les responsables du Village de lEspérance (VOH) pratiquaient non pas un prosélytisme pur et dur mais des invitations à débattre de Jésus et de Mohammed», font remarquer nos interlocuteurs. Pour continuer la discussion à labri des oreilles des curieux, nous nous dirigeons vers lun des quatre cafés du village. Il est 14h et pourtant «le Diamant vert» affiche déjà complet. Les effluves de cannabis dominent sur les lieux. En cet endroit très peu éclairé, les clients sont exclusivement des jeunes. Tous sagglutinent autour dune télé 48 pouces pour suivre avec une attention inégale un film hindou. «Hélas ! cest là notre réalité quotidienne», regrette Addi, qui est bucheron mais au chômage depuis une année. Nous poursuivrons la discussion autour dun thé. De Benguerir à Aïn Leuh «Suite à des rumeurs faisant état dactes dévangélisation et suite à une enquête approfondie de la direction de la surveillance du territoire, des preuves ont été enregistrées (cassettes livres- documents ) et les procédures dexpulsion du territoire de ces étrangers ont été engagées », affirme Nouzha Skalli, la Ministre du développement Social, de la famille et de la Solidarité. Nos trois jeunes tiennent une autre version. Selon eux, tout à commencé à Benguérir. Lhistoire quils se relaient à raconter se résume ainsi : M.A., jeune habitant dAïn Leuh, a intégré la gendarmerie royale comme stagiaire depuis quatre mois dans le centre de Benguerir. Une enquête de routine dont il a fait lobjet révèle quil recevait de largent de la part dEuropéens et dAméricains et quil sest converti au christianisme depuis quatre ans. M.A. ou Simon, comme le surnomment les habitants dAïn Leuh, sera interrogé et viré illico presto de la gendarmerie. Il reviendra à son bled natal aussitôt. Nous lavons rencontré, mais il a refusé de nous donner sa version des faits. Simon est lune des quatre personnes converties au christianisme dont on parle beaucoup ces jours-ci à Aïn Leuh. «Ces personnes ont fait ce choix par pur opportunisme», précise Addi. «Lappartement que louait Simon à Rabat, son PC portable et ses vêtements ne pouvaient être portés par nimporte quel étudiant originaire dAïn Leuh», confie Samir, plombier à temps partiel et depuis peu chômeur à temps plein. Lautre Marocain converti au christianisme sappelle M.K. «Il était maçon et est devenu pasteur au sein du Village», témoigne Addi. «Son frère se convertira lui aussi au christianisme ensuite et partira sinstalla en France avec son épouse française quil a rencontrée dans le Village», affirme Samir. Vivre avec les chrétiens Alors que le froid commence à être plus rude et le thé se glace, les confessions des trois jeunes habitants dAïn Leuh senchaînent. Said, propriétaire dun snack nous rejoint. «VOH faisait tourner les commerces de la ville, je recevais Herman (ndlr. le directeur) et les autres résidents au village. Ils étaient tous discrets et naimaient pas se mêler aux gens», déclare-t-il en sinvitant dans la discussion. Il se rappelle quil a lui aussi reçu un calendrier quil accroche toujours dans son commerce. «Ils ont préféré que je le mette dans le magasin et pas chez moi», précise-t-il. Et dajouter : «Ce qui les irritait le plus cétait quand on sapprochait des enfants. Cétait la chose quils nacceptaient pas», poursuit-il. Samir qui travaillait sur le chantier du nouveau «home» a été remercié car, nous dit-on, il a tenté de «sapprocher des enfants». En plus de profiter aux commerçants, le VOH sortait Aïn Leuh de sa torpeur. La vie des Timssihte (chrétiens en amazigh) nourrissait la chronique quotidienne. «Plusieurs fois, nous avons retrouvé lun des parents du Village caché dans un hangar. Il nous disait que Jésus lui a donné rendez-vous dans ce lieu», se rappelle Samir. Les quatre jeunes affirment avoir reçu une copie de la bible ou de la littérature évangélique, et Said a même commencé à échanger des lettres avec une organisation évangélique espagnole. La direction du Village rejette ces accusations en bloc. «On a toujours respecté la religion des habitants. On conseillait aussi les employés chez nous qui buvaient de lalcool de sabstenir et devenir de bons musulmans», se défend Herman Boonstra, joint par téléphone à Gibraltar au moment même où il sapprêtait à animer une conférence de presse organisée par lassociation française chrétienne «La Gerbe» sur son expulsion et celle des résidents au VOH. «La pratique religieuse des parents se faisait dans une chambre aménagée à cet effet», dit-il. Et dajouter : «Nous avons demandé à construire une église mais navons pas eu lautorisation». Daprès ses responsables, le VOH menait des actions caritatives. Le Village a reçu un gros conteneur rempli de vêtements, de vélos et de jouets lété dernier, quil a distribués aux enfants des villages de Toufestalt, Tagounit, Aït Boukhach et Aïn Leuh. «La clinique du VOH recevait les malades de nos villages, leurs voitures les transportaient à Azrou et ils nous donnaient des médicaments», témoigne Said. Cest ce que dira H. Boonstra : «On noffrait que de la compassion, on na jamais fait de prosélytisme». Tel père, tel fils A 1,5 km dAïn Leuh, le VOH est construit sur une colline. Il ressemble à un ranch américain. Le «home» contraste avec le décor et domine la misère tout autour. Nous avons tenté davoir accès au Village, mais sans succès. Des éléments de la gendarmerie et des forces auxiliaires sont postés à lentrée de limposante bâtisse et interdisent à toute personne de sy approcher. Nous avons contacté lune des éducatrices sur place qui nous a expliqué que les enfants ont vécu un «véritable choc émotionnel» au moment de la séparation avec leurs parents. «Lun des enfants a crié quil refuse quun musulman soit son père», révèle-t-elle. Donc, les enfants sont bien chrétiens ? A cette question, léducatrice répond : «ils suivent la religion de leurs parents. Cest une évidence». Par parents, il faut entendre, ceux adoptifs. Cest ce terme qui désigne les résidents au VOH. Après lexpulsion A en croire limam de la mosquée et des habitants dAïn Leuh, les «parents» manipulaient les enfants «en leur faisant aimer Jésus dont ils disaient quil leur donne des cadeaux et leur faisaient haïr le prophète Mohamed dont ils leur disait quil volait leurs jouets». «Mr le Gouverneur a institué une commission multi-départementale (Santé Entraide Nationale- Enseignement- Jeunesse et Sport ) pour prendre en charge les 33 enfants du centre. Un staff pédagogique de 5 enseignants, de 5 cadres de lEntraide Nationale, de 5 morchidatte en plus dun staff médical assurent le fonctionnement normal du centre et lencadrement des enfants», annonce N. Skalli. Pour nos jeunes dAïn Leuh, cette tempête qui sabat sur la localité a quelque chose de bon. «Cette affaire du Village a permis aux responsables de se rendre compte que notre région est extrêmement pauvre et gangrénée par la prostitution. Maintenant, ils nont plus dexcuses et ne peuvent plus nous laisser moisir dans le froid et la pauvreté». «On ne donne pas de garanties sur la religion des enfants» Herman Boonstra, Directeur du Village de lEspérance à Ain Leuh Entretien réalisé par S.L. LObservateur du Maroc. Quelle relation aviez-vous avec les autorités locales et le ministère du Développement social, de la solidarité et de la famille ? Herman Boonstra. Nous étions en bons termes avec le caïd et les gendarmes. Concernant le ministère, nous nous sommes conformés à la nouvelle loi 14-05 sur les établissements de protection sociale. Le comble cest quon a reçu la licence de la part du gouvernement le 8 janvier dernier. Aussi, des «parents» ont-ils reçu leur permis de séjour pour une durée de cinq ans, seulement une semaine avant notre expulsion. Alors pourquoi cette expulsion selon vous ? Cest une décision totalement inattendue et incompréhensible. Les autorités nont pas assimilé notre modèle qui se base sur les familles daccueil. Ce que je ne comprends pas cest que les autorités ne sont jamais venues nous avertir ou nous faire des reproches auparavant. Comment sest déroulée votre expulsion ? Certes personne ne nous a violentés physiquement, sauf que lexpulsion sest faite trop rapidement. On avait trois heures pour quitter les lieux. Cétait traumatisant pour les enfants. On a demandé aux autorités de nous donner deux ou trois jours pour calmer les enfants, mais elles nont rien voulu savoir. Le ministère de lIntérieur vous accuse davoir enfreint la loi régissant la Kafala ? Nous navons même pas la Kafala des enfants car elle nest réservée quaux musulmans. Cest le juge de la famille dAzrou qui avait la Kafala. Dailleurs on en a fait la demande auprès des autorités, mais elles ont refusé. Doù proviennent les fonds du Village ? Des associations chrétiennes mais aussi laïques nous soutiennent partout dans le monde et surtout de pays doù nous sommes originaires. Lambassade américaine au Maroc vous soutient-elle ? Oui, nous avons reçu 180.000 dollars pour construire le nouveau réfectoire. Quel rapport aviez-vous avec léglise marocaine ? Il faut savoir que léglise au Maroc est persécutée. Elle na pas le droit davoir des rassemblements. Dautre part, nous recevons la visite de quelques chrétiens du Maroc, qui venaient nous encourager. Votre action caritative dans les villages de la région vous a-t-elle permis davoir des contacts avec les habitants ? Nous navions jamais distribué des bibles à la population des villages. Dailleurs les visiteurs et les «parents» signent un engagement interdisant tout acte dévangélisation pour pouvoir rester au Village. Au contraire, nous avons protégé la population de notre entourage. Connaissez-vous M. A. et M. K., deux habitants dAïn Leuh convertis au christianisme ? Ce sont des personnes majeures qui se sont converties de leur propre chef. M.A est venu nous lannoncer et on lui a répondu que cétait un choix qui allait lui poser des problèmes. Nous les connaissons donc très bien, du fait quils ont la même religion que nous. On priait pour eux. On vous accuse dencourager les prostituées de la région davoir des enfants, pour ensuite vous les vendre ? Cest une accusation grave ! Nous navons jamais de contact avec le monde de la prostitution. Ce sont les hommes marocains qui avaient des contacts avec les prostituées, ce nest pas nous. Comment arrivent les enfants dans le Village ? Les enfants de la «honte» posent un grand problème pour le pays. Nous aidions donc le gouvernement marocain à couvrir la honte que représentent les mères célibataires pour la société et sauver les enfants de famille démunis et riches. Quelles sont les garanties que les autorités avaient pour la préservation de la religion des enfants qui naissent musulmans ? On ne peut pas donner cette garantie. Jai expliqué cela depuis 10 ans aux autorités. Les enfants grandissent dans des familles chrétiennes, mais ils reçoivent une éducation islamique dans lécole. A 18 ans, ils pourront choisir la religion quils veulent. Hélas ! la liberté de choix de sa religion est absente au Maroc. «Mirikane» dOugmas S. L A 5 km dAzrou sur la route de Khénifra, se trouve le village dOugmas. Vivant exclusivement de lélevage et du travail saisonnier dans les fermes darbres fruitiers, les 200 habitants subissent un véritable clavaire. «Cest une chance que «Mirikane» sont là pour transporter nos malades et nos femmes enceintes vers Azrou», témoigne Haddo. Par «Mirikane» il désigne le Centre de protection des orphelins. Létablissement a été fondé par trois Américains en 1953, doù son surnom. En 1979, les premiers bacheliers du centre ont pu être recrutés comme professeurs danglais dans plusieurs villes du Maroc. Hassan Soufiane fait partie des premières promotions. Après des études au Minnesota, il revient travailler à Ougmas. «Je suis choqué quon nous accuse de prosélytisme. Ici cest un foyer pour protéger les enfants abandonnés, un point cest tout», sindigne-t-il. «Certes 95% du personnel sont des Américains, mais jamais un de nos bénéficiaires na changé de confession», précise Omar Jmouâ, directeur adjoint de létablissement. En 2003, la direction décide denvoyer les enfants dans des écoles marocaines pour faciliter leur intégration dans la société. Jusquà 2007, le centre a élevé et formé 979 enfants, dont 70 vivent actuellement aux Etats-Unis ou en Suisse. 90% de son budget proviennent de dons émanant de lAmérique du Nord, le reste est récolté auprès de mécènes locaux. Létablissement est bien équipé mais comparativement avec Village of Hope, il est très modeste. A la demande de lEntraide nationale et pour se conformer à la nouvelle loi 14-05, le Centre sest transformé en 2008 en association et a choisi pour nom : «Maison denfants au Maroc». Notre passage dans ce Centre coïncide avec la «visite de courtoisie» des gendarmes. Une visite devenue désormais quotidienne après laffaire de Village of Hope (VOH). Scott, qui préfère quon lappelle Jacob, nous accueille. Il nous montre les chambres des enfants hébergés dans létablissement ainsi que sa propre chambre. Il nous présente également sa femme et ses enfants. Cet Américain qui réside dans ce patelin depuis 11 ans parle darija couramment. «LEtat nous connait depuis très longtemps mais on est très inquiet», confie-t-il. Sur ses rapports avec VOH, il reste évasif : «on ne les connait pas directement mais on reçoit une fois par semaine certains de leurs enfants». Avant de rejoindre les gendarmes, il lâche : «nous avons peur de connaître le même sort que VOH». Nouzha Skalli Ministre du développement Social, de la famille et de la Solidarité Il faudrait clarifier que les liens de partenariat qui nous lient généralement avec les associations locales, y compris lAssociation le Village de lEspérance, se fondent sur des règles dobligation cadrée par la loi 14-05. Cela dit, toute demande de création locale est nécessairement soumise (article 5) à lavis du gouverneur, via une commission technique, où lEntraide Nationale est représentée, qui suit et traite les demandes dinstitution. Ce comité a toutes les prérogatives de statuer sur les demandes et sur leur éligibilité avant dapprouver le cahier des charges de létablissement. Concernant VDE, le Ministère a demandé, par courrier, à lassociation de se conformer avec ladite loi. Laquelle association a favorablement réagi à notre invitation à participer à la journée détude qui a été organisée à Azrou sous la présidence de Mr linspecteur général de lEntraide Nationale. Les relations institutionnelles de lassociation avec les autorités locales étaient en règle et les activités se faisaient ouvertement et en concertation avec elles. Lassociation sest également distinguée par lorganisation dactivités au compte de la délégation de la santé et de lenseignement. A priori, nous navons pas besoin d'une loi spécifique à ce type d'établissement car la loi 14-05 dispose de normes et standards concernant l'infrastructure, l'hygiène, la sécurité et les ressources humaines ainsi que le mode de gestion, et qui sont de nature à permettre à notre pays de disposer d'EPS de qualité». «Ces gens ont essayé de détourner les musulmans de leur foi». Père André Joguet, Vicaire général - Archevêché catholique de Rabat Entretien réalisé par Noura mounib LObservateur du Maroc. Vous sentez-vous concerné par les expulsions dAïn Leuh ? Père André Joguet. Au Maroc, il y a des églises officielles reconnues. On trouve les églises catholiques, les églises évangélistes et les églises de type consulaire comme les églises anglicanes qui dépendent de lambassade de Grande-Bretagne. Ce groupe de chrétiens expulsés quon appelle communément missionnaires ou évangélistes ne dépend daucune de ces institutions. Ils travaillent à titre personnel, nentretiennent pas de liens avec nous et évoluent à distance de tout établissement catholique. On savait quun groupe de chrétiens sest installé à Ain Leuh pour un but caritatif mais on ne sest jamais douté quil était question de prosélytisme. La communauté chrétienne au Maroc est surprise par le tournant de cette affaire. Les églises officielles respectent les lois du pays qui interdisent le prosélytisme mais ces gens ont essayé de détourner les musulmans de leur foi. Toutefois, il ne faut pas tomber dans la confusion. On ne peut parler de prosélytisme dès lentame dune conversation de type religieux. On peut facilement en accuser un musulman, un chrétien et un juif lors dun débat religieux. Prenons lexemple des étudiants subsahariens au Maroc souvent harcelés par leurs collègues musulmans. «Pourquoi tu ne te convertis pas ?». Sagit-il dactes de prosélytisme ? Il faut en connaître le sens avant den parler. Comment sont les rapports entre les institutions catholiques et lEtat marocain ? Les relations sont très bonnes. Les rapports des institutions catholiques avec lEtat marocain sont régis par un dahir au statut de cette lettre du Roi en 1984. Chaque année, sa Majesté salue les communautés chrétiennes pour consolider les liens. Il existe un grand respect envers léglise, les autorités locales appellent souvent larchevêque, on organise des rencontres avec les gouverneurs des villes Personnellement, je suis souvent surpris par laccueil chaleureux des responsables. Le Maroc compte plusieurs écoles catholiques à son actif comme Jeanne dArc, Charles Foucauld, Saint Gabriel où on na jamais eu de problèmes de prosélytisme. On a même voulu changer leurs noms mais le ministère marocain de lIntérieur a refusé. Certes, il arrive parfois davoir affaire à des agressions verbales mais cest souvent des histoires de gaminerie. Lautre fois à Meknès, je trouve la croix qui était accrochée au mur de léglise en morceaux. On sait bien quelle na pas été arrachée par le vent Que pensez-vous de la loi marocaine qui garantit la liberté de culte ? A partir de la déclaration universelle des droits de lhomme, on distingue le droit de pensée, de conscience et de religion. Signée par le Maroc, cette déclaration atteste que la liberté de conscience relève des droits fondamentaux. Il ne semble pas que ce soit le cas ici. Cest une contradiction. Dune certaine manière, je pense que les responsables ont conscience du nombre de chrétiens au Maroc. Il ne faut pas oublier les musulmans qui se convertissent en Europe. Une fois rentrés, ces derniers vivent leur vie chrétienne sous la plus grande discrétion. Même si la société a du mal à accepter ce genre de questions, je crois quils sont respectés malgré tous les préjugés. Recevez-vous des musulmans qui veulent se convertir ? En effet, je reçois de jeunes musulmans qui veulent se convertir au christianisme. Mais ces gens-là confondent souvent église et consulat de France. Ils croient quen se convertissant, ils auront facilement loccasion daller à létranger. Je suis donc là pour leur montrer ladresse du consulat. Par ailleurs, je reçois des étudiants dans le cadre de thèses ou de mémoires. Je ne fais pas de prosélytisme. Cela devient plutôt une affaire culturelle. Je ne donne jamais de bibles à ceux qui viennent demander des renseignements. Il y a des librairies et des bibliothèques pour cela. De toute façon, je ne comprends pas pourquoi ce débat sur lébranlement de la foi musulmane comme si cétait une lumière qui risque de séteindre. Chacun de nous a son enracinement religieux et spirituel qui ne sera jamais emporté à coups de vents. On ne peut pas parler débranlement de foi lorsquon parle de convictions religieuses. Evangélistes Ces fous de Jésus à la rescousse du monde Mouna Izddine Il n'y aura jamais de paix mondiale avant que la Maison de Dieu et le Peuple de Dieu n'assument leur rôle de leadership à la tête du monde» . Ces propos aux allures de prophétie conquérante ne sont autres que ceux du révérend Pat Robertson, célèbre télévangéliste et fondamentaliste chrétien, fondateur de linfluente Coalition chrétienne. Cette même organisation aux lobbyistes largement introduits au Sénat et dont les sympathisants, soit près du quart de lélectorat américain, ont grandement contribué à la victoire électorale de lex-candidat républicain Georges W. Bush en 2000. Président belliqueux et manichéen que daucuns classaient clairement comme adepte de ce néo-protestantisme, non étranger à la fameuse «croisade» anti-terroriste et aux visées éradicatrices du prétendu «Axe du Mal». Les sorties fréquentes de la figure de proue du mouvement évangélique de lOncle Sam (près de 40% des missionnaires à travers la planète sont américains) illustrent bien les intentions animant les membres de cette puissante mouvance religieuse comptant près de 500 millions dadeptes dans le monde. Dont plus de 70 millions aux Etats-Unis dAmérique, contrée de la «Bible Belt» (Sud), lieu de naissance de ce courant hybride regroupant une multitude déglises indépendantes, luthériennes, baptistes, pentecôtistes ou encore méthodistes. Mais protestantes dans leur écrasante majorité. Les multiples composantes de cette nébuleuse, par opposition au clergé catholique classique et aux églises protestantes traditionnelles, organisés, hiérarchisés et reconnus par les autorités officielles, sont dans nombre dEtats assimilées à des sectes. Dangereuse galaxie ? Inquiétante par ses velléités prosélytes affichées en tout cas : "Les églises sont vides, et nous, on est en passe de conquérir le monde", clamait ainsi récemment le médiatique Vinson Synan, pasteur évangélique. Les «Croisés de lApocalypse», comme les dénomment certains, ou «Born Again Christians», sont convaincus davoir été personnellement choisis par Jésus pour sauver le monde, lépurer de ses péchés (parmi lesquels lavortement, lutilisation du préservatif, lhomosexualité, le clonage et le féminisme) et remettre les impies sur le droit chemin, celui de la piété, de la ferveur et de la Bible. En attendant l'Armageddon, la proche bataille finale entre le Bien et le Mal en Galilée, et le retour de Jésus Christ, le Sauveur. Le Messie devant obligatoirement être reconnu par le peuple hébraïque, qui devrait au final se convertir à son tour au christianisme, les évangélistes prônent virulemment le retour des Juifs dans le Grand Israël. Et rejettent tout projet dEtat palestinien, lIslam étant perçu comme lAntéchrist par une fange dentre eux. Lhumanitaire comme porte dentrée Les fondamentalistes chrétiens américains déboursent ainsi tous les ans des millions de dollars en faveur de la cause sioniste, via notamment des subventions pour les colonies. De largent, les évangélistes, capitalistes avoués aux yeux desquels lenrichissement est une valeur de piété fondamentale, en ont à souhait et ses féroces marketiciens savent comment lutiliser pour accomplir leur « mission salvatrice ». A travers la télévision (aux USA, la Christian Broadcasting Network est lune des plus riches), la radio, Internet, le cinéma (grâce aux fidèles évangélistes, la Passion du Christ de Mel Gibson a fait près de 400 millions de dollars de recettes), la littérature. Mais aussi les organisations non gouvernementales. En effet, sous couvert dactions humanitaires en faveur de la Veuve et de lOrphelin, les évangélistes répandent partout dans le monde la parole du Seigneur : « Les chrétiens évangélistes ( ) ne sont pas que les donneurs de leçons que l'on voit à la télévision. Au cours de la dernière décennie, ils sont devenus les nouveaux défenseurs du tiers-monde, les premiers à apporter une aide aux plus démunis », soutient à ce sujet léditorialiste du New York Times, Nicholas D.Kristof dans le Figaro du jeudi 4 mars 2010. Les « fous de Jésus », dautant plus faciles à recruter que léglise évangélique nimpose pas détudes laborieuses ni de célibat à ses prêcheurs comme le Vatican, sont parvenus à simmiscer partout, séduisant les foules par leur airs jeunes et branchés, leur verbe accrocheur et leurs dollars sonnants et trébuchants. Dans la vieille Europe en mal didéaux et« à lathéisme grandissant », en Amérique Latine (le très et foncièrement catholique Brésil, est devenu le deuxième pays évangélique après les Etats-Unis avec plus de 60 millions dadeptes) et en Corée du Sud (on se souvient encore des 23 « humanitaires » coréens, adeptes de lEglise Saemmul de Pundang, enlevés par les talibans afghans durant lété 2007). Mais également au Japon, en Chine (où les églises secrètes enregistrent plus de 10 000 conversions quotidiennes), dans les anciennes colonies dAfrique noire (Burkina Faso, Côte dIvoire, Congo, Bénin et Cameroun, entre autres) et en Inde auprès des Intouchables. En Thaïlande aussi, où, comme le rapporte Courrier International (novembre 2005), des milliers de bouddhistes se sont laissé convertir par les pasteurs évangélistes contre la promesse dun nouveau toit au lendemain du tsunami. Et même parmi nombre dex Khmers rouges du Cambodge, qui, en se faisant adopter par les missions évangélistes, aspiraient à se faire pardonner le génocide de 2 millions de leurs compatriotes et sattirer quelque peu la mansuétude des tribunaux... Mission: convertir les mahométans Les évangélistes investissent pareillement les communautés musulmanes immigrées dEurope et dailleurs, là, où «ils peuvent plus facilement rompre avec les traditions et les liens familiaux qui les empêchent d'accepter le Sauveur», analyse de la sorte Le Nouvel Observateur (26 février au 3 mars 2004). Toujours daprès lhebdomadaire français, le mouvement évangélique considérerait même le monde arabo-musulman comme son «ultime zone de mission», et aspirerait à terme à «liquider lIslam» en allant convertir en masse les enfants de Mahomet là où ils se trouvent. Au Proche et au Moyen-Orient, où, à titre dexemple, près de 20 églises évangélistes étaient déjà recensées en Irak vers la fin du régime de Saddam Husseïn. Mais surtout dans les régions reculées et enclavées du Maghreb, auprès des autochtones amazighs, considérés moins imprégnés par lislam et lislamisme que les populations dorigine arabe, et parmi une moindre fange de citadins aux revenus modestes ou moyens. Des cibles souvent démunies auxquelles les évangélistes les moins scrupuleux, profitant de leur vulnérabilité, font miroiter la perspective dobtenir par leur conversion au christianisme un visa, une carte de séjour et un avenir prospère dans lEldorado américain ou européen: «Politique ou religieux, le prosélytisme prospère là où l'Etat faillit à ses missions ( )les missionnaires n'ont guère eu de difficultés à concurrencer les Etats souvent rongés par la corruption en jouant la carte de l'humanitaire», écrit à ce propos lExpress, dans son édition du 28 mars au 3 avril 2005, tout en rappelant que les ressources mises à la disposition de ces samaritains dun genre nouveau sont parfois le fruit daides et de subventions publiques conséquentes de la part de leur gouvernement. Des informations circulent de la sorte sur la conversion massive de quelque 15000 Kabyles en Algérie et dans une moindre mesure de berbères marocains. Selon certaines sources non confirmées (dont le Nouvel Observateur en 2005), il y aurait quelque 150 missionnaires au Maroc et près de 7000 nouveaux convertis. Le député istiqlalien Abdelhamid Aouad avait carrément parlé en octobre 2005 de 40 000 «néo-chrétiens» et dun objectif de christianisation de 10% de la population marocaine à lhorizon 2020. Info ou intox ? Réalité ou peur inconsciente dun Occident perçu comme fondamentalement chrétien, islamophobe et impérialiste? Quoi quil en soit, avec leurs moyens et leur détermination, les évangélistes ont toutes les raisons dinquiéter, parfois jusquà laffolement, comme le montrent les dernières expulsions des membres de lONG «Village of Hope» à Aïn Leuh, les gouvernements des pays amenés à faire face à ces successeurs des pélerins-pionniers du Nouveau Monde.