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Les fous de Jésus
Publié dans L'observateur du Maroc le 26 - 03 - 2010


Ahmed charai
Les évangélistes expulsés aggravent leur cas puisqu’ils s’adressaient à des enfants en bas âge et en situation de grande précarité. D’ailleurs il est à craindre que ce genre d’affaires n’attire la suspicion sur d’autres ONGs humanitaires et ne complique leur tâche à l’avenir.
Dans le contexte international actuel, où les identités s’affrontent dans des choix meurtriers, il faut bannir le prosélytisme, tout prosélytisme religieux. La liberté de culte, garantie par la constitution marocaine et respectée dans les faits, ne signifie pas la porte ouverte au prosélytisme. Dans un pays où le Roi est aussi le défenseur de la loi, une telle perception relève de l’ignorance.
En prenant la défense de leurs ressortissants, certains pays occidentaux sont tombés dans le piège. Les USA savent avec quel sérieux et quelle sincérité le Maroc combat les déviances intégristes. Dans tous les rapports, qu’ils soient officiels ou officieux, l’engagement du Maroc en faveur d’un islam tolérant est mis en avant. Cet engagement ne peut avoir les effets qu’il a sans que les pouvoirs publics, dans le respect des lois, défendent les fondements. De manière plus générale, la liberté d’exercer un culte n’est pas liée à la possibilité de prosélytisme, à la tentation de conversion des populations. Cette nuance existe en droit dans la majorité des pays du monde. Que des individus, par choix personnel, se convertissent, on peut les appuyer au nom de la liberté de conscience, notion que peu de pays musulmans «tolèrent». Mais il est impossible d’accepter une activité organisée de prosélytisme. D’ailleurs les représentants des différentes églises présentes au Maroc ont tous dénoncé les tentatives d’évangélisation des enfants.
Il faut comprendre que dans le contexte actuel, ce genre d’affaires ne nourrit que les réflexes identitaires les plus régressifs et donc l’intégrisme le plus radical. Cette évidence aurait dû inciter les diplomates occidentaux à la compréhension de l’attitude marocaine au lieu de gesticuler, pour le principe, comme ils l’ont fait.
Aïn Leuh a-t-elle péché ?
Salaheddine Lemaizi Envoyé spécial à Aïn Leuh
Haut perché sur une montagne, le centre de la commune rurale d’Aïn Leuh se cache derrière une forte brume. Adossée à Dada Hamou, l’immense forêt de cèdre de 21 mille hectares, la petite localité baigne dans une misère qui saute aux yeux, avec à côté son unique hôtel, son avenue Hassan II et ses ruelles étroites. Ce village est tout remué. Il vient d’assister à l’expulsion de 16 étrangers qui faisaient partie du «décor», pour certains, depuis des années. Tous dirigeaient le Village de l’espérance (ndlr. Plus connu sous l’appellation Village of hope -VOH). Une sorte d’orphelinat qui abritait des enfants abandonnés de la région et qui serait un temple pour évangélique convaincu.
L’heure de la prière
Notre arrivée coïncide avec la prière du vendredi. L’appel du muezzin s’entend de loin. Sur le chemin de la seule mosquée d’Aïn Leuh, on est accueilli par une légère pluie, un froid supportable et «l’icône» du village, une prostituée, en quête de clients Driss Doudach, l’imam de la mosquée fait son entrée. Il s’installe sur le minbar, la salle se remplit petit à petit. L’imam se lance dans un virulent prêche contre les relations sexuelles hors mariage. Il enchaîne avec le sujet de brûlante actualité dont tout le village parle ces derniers jours. «Ce qui nous arrive est le résultat de la prostitution», peste-t-il avec verve. Pendant 40 minutes, il pointera du doigt «ce mal qui a souillé Aïn Leuh». A la fin de la prière, il nous confiera qu’il a sans cesse dénoncé dans ses prêches les «liens dangereux entre la prolifération de la prostitution et la présence chrétienne dans notre village». Quand nous lui demandons d’être plus précis, il lance avec une voix sûre : «Selon mes informations, les responsables du Village de l’Espérance encourageaient les prostituées de la ville à avoir des enfants et ils les récompensaient généreusement».
A la sortie de la mosquée, la discussion sur le prêche de l’imam continue de plus belle. Sur la petite avenue Hassan II, Mehdi, Samir et Addi s’accordent à dire que les pratiques qui paraissent cachées dont parle l’imam ne sont qu’un secret de polichinelle pour les habitants de la ville. «Les responsables du Village de l’Espérance (VOH) pratiquaient non pas un prosélytisme pur et dur mais des invitations à débattre de Jésus et de Mohammed», font remarquer nos interlocuteurs.
Pour continuer la discussion à l’abri des oreilles des curieux, nous nous dirigeons vers l’un des quatre cafés du village. Il est 14h et pourtant «le Diamant vert» affiche déjà complet. Les effluves de cannabis dominent sur les lieux. En cet endroit très peu éclairé, les clients sont exclusivement des jeunes. Tous s’agglutinent autour d’une télé 48 pouces pour suivre avec une attention inégale un film hindou. «Hélas ! c’est là notre réalité quotidienne», regrette Addi, qui est bucheron mais au chômage depuis une année. Nous poursuivrons la discussion autour d’un thé.
De Benguerir à Aïn Leuh
«Suite à des rumeurs faisant état d’actes d’évangélisation et suite à une enquête approfondie de la direction de la surveillance du territoire, des preuves ont été enregistrées (cassettes – livres- documents…) et les procédures d’expulsion du territoire de ces étrangers ont été engagées », affirme Nouzha Skalli, la Ministre du développement Social, de la famille et de la Solidarité. Nos trois jeunes tiennent une autre version. Selon eux, tout à commencé à… Benguérir.
L’histoire qu’ils se relaient à raconter se résume ainsi : M.A., jeune habitant d’Aïn Leuh, a intégré la gendarmerie royale comme stagiaire depuis quatre mois dans le centre de Benguerir. Une enquête de routine dont il a fait l’objet révèle qu’il recevait de l’argent de la part d’Européens et d’Américains et qu’il s’est converti au… christianisme depuis quatre ans.
M.A. ou Simon, comme le surnomment les habitants d’Aïn Leuh, sera interrogé et viré illico presto de la gendarmerie. Il reviendra à son bled natal aussitôt. Nous l’avons rencontré, mais il a refusé de nous donner sa version des faits. Simon est l’une des quatre personnes converties au christianisme dont on parle beaucoup ces jours-ci à Aïn Leuh. «Ces personnes ont fait ce choix par pur opportunisme», précise Addi. «L’appartement que louait Simon à Rabat, son PC portable et ses vêtements ne pouvaient être portés par n’importe quel étudiant originaire d’Aïn Leuh», confie Samir, plombier à temps partiel et depuis peu chômeur à temps plein. L’autre Marocain converti au christianisme s’appelle M.K. «Il était maçon et est devenu pasteur au sein du Village», témoigne Addi. «Son frère se convertira lui aussi au christianisme ensuite et partira s’installa en France avec son épouse française qu’il a rencontrée dans le Village», affirme Samir.
Vivre avec les chrétiens
Alors que le froid commence à être plus rude et le thé se glace, les confessions des trois jeunes habitants d’Aïn Leuh s’enchaînent. Said, propriétaire d’un snack nous rejoint. «VOH faisait tourner les commerces de la ville, je recevais Herman (ndlr. le directeur) et les autres résidents au village. Ils étaient tous discrets et n’aimaient pas se mêler aux gens», déclare-t-il en s’invitant dans la discussion. Il se rappelle qu’il a lui aussi reçu un calendrier qu’il accroche toujours dans son commerce. «Ils ont préféré que je le mette dans le magasin et pas chez moi», précise-t-il. Et d’ajouter : «Ce qui les irritait le plus c’était quand on s’approchait des enfants. C’était la chose qu’ils n’acceptaient pas», poursuit-il. Samir qui travaillait sur le chantier du nouveau «home» a été remercié car, nous dit-on, il a tenté de «s’approcher des enfants».
En plus de profiter aux commerçants, le VOH sortait Aïn Leuh de sa torpeur. La vie des Timssihte (chrétiens en amazigh) nourrissait la chronique quotidienne. «Plusieurs fois, nous avons retrouvé l’un des “parents” du Village caché dans un hangar. Il nous disait que Jésus lui a donné rendez-vous dans ce lieu», se rappelle Samir.
Les quatre jeunes affirment avoir reçu une copie de la bible ou de la littérature évangélique, et Said a même commencé à échanger des lettres avec une organisation évangélique espagnole. La direction du Village rejette ces accusations en bloc. «On a toujours respecté la religion des habitants. On conseillait aussi les employés chez nous qui buvaient de l’alcool de s’abstenir et devenir de bons musulmans», se défend Herman Boonstra, joint par téléphone à Gibraltar au moment même où il s’apprêtait à animer une conférence de presse organisée par l’association française chrétienne «La Gerbe» sur son expulsion et celle des résidents au VOH. «La pratique religieuse des “parents” se faisait dans une chambre aménagée à cet effet», dit-il. Et d’ajouter : «Nous avons demandé à construire une église mais n’avons pas eu l’autorisation».
D’après ses responsables, le VOH menait des actions caritatives. Le Village a reçu un gros conteneur rempli de vêtements, de vélos et de jouets l’été dernier, qu’il a distribués aux enfants des villages de Toufestalt, Tagounit, Aït Boukhach et Aïn Leuh. «La clinique du VOH recevait les malades de nos villages, leurs voitures les transportaient à Azrou et ils nous donnaient des médicaments», témoigne Said. C’est ce que dira H. Boonstra : «On n’offrait que de la compassion, on n’a jamais fait de prosélytisme».
Tel père, tel fils
A 1,5 km d’Aïn Leuh, le VOH est construit sur une colline. Il ressemble à un ranch américain. Le «home» contraste avec le décor et domine la misère tout autour. Nous avons tenté d’avoir accès au Village, mais sans succès. Des éléments de la gendarmerie et des forces auxiliaires sont postés à l’entrée de l’imposante bâtisse et interdisent à toute personne de s’y approcher. Nous avons contacté l’une des éducatrices sur place qui nous a expliqué que les enfants ont vécu un «véritable choc émotionnel» au moment de la séparation avec “leurs parents”. «L’un des enfants a crié qu’il refuse qu’un musulman soit son père», révèle-t-elle. Donc, les enfants sont bien chrétiens ? A cette question, l’éducatrice répond : «ils suivent la religion de leurs “parents”. C’est une évidence». Par parents, il faut entendre, ceux adoptifs. C’est ce terme qui désigne les résidents au VOH.
Après l’expulsion
A en croire l’imam de la mosquée et des habitants d’Aïn Leuh, les «parents» manipulaient les enfants «en leur faisant aimer Jésus dont ils disaient qu’il leur donne des cadeaux et leur faisaient haïr le prophète Mohamed dont ils leur disait qu’il volait leurs jouets».
«Mr le Gouverneur a institué une commission multi-départementale (Santé – Entraide Nationale- Enseignement- Jeunesse et Sport…) pour prendre en charge les 33 enfants du centre. Un staff pédagogique de 5 enseignants, de 5 cadres de l’Entraide Nationale, de 5 morchidatte en plus d’un staff médical assurent le fonctionnement normal du centre et l’encadrement des enfants», annonce N. Skalli.
Pour nos jeunes d’Aïn Leuh, cette tempête qui s’abat sur la localité a quelque chose de bon. «Cette affaire du Village a permis aux responsables de se rendre compte que notre région est extrêmement pauvre et gangrénée par la prostitution. Maintenant, ils n’ont plus d’excuses et ne peuvent plus nous laisser moisir dans le froid et la pauvreté».
«On ne donne pas de garanties sur la religion des enfants»
Herman Boonstra, Directeur du Village de l’Espérance à Ain Leuh
Entretien réalisé par S.L.
L’Observateur du Maroc. Quelle relation aviez-vous avec les autorités locales et le ministère du Développement social, de la solidarité et de la famille ?
Herman Boonstra. Nous étions en bons termes avec le caïd et les gendarmes. Concernant le ministère, nous nous sommes conformés à la nouvelle loi 14-05 sur les établissements de protection sociale. Le comble c’est qu’on a reçu la licence de la part du gouvernement le 8 janvier dernier. Aussi, des «parents» ont-ils reçu leur permis de séjour pour une durée de cinq ans, seulement une semaine avant notre expulsion.
Alors pourquoi cette expulsion selon vous ?
C’est une décision totalement inattendue et incompréhensible. Les autorités n’ont pas assimilé notre modèle qui se base sur les familles d’accueil. Ce que je ne comprends pas c’est que les autorités ne sont jamais venues nous avertir ou nous faire des reproches auparavant.
Comment s’est déroulée votre expulsion ?
Certes personne ne nous a violentés physiquement, sauf que l’expulsion s’est faite trop rapidement. On avait trois heures pour quitter les lieux. C’était traumatisant pour les enfants. On a demandé aux autorités de nous donner deux ou trois jours pour calmer les enfants, mais elles n’ont rien voulu savoir.
Le ministère de l’Intérieur vous accuse d’avoir enfreint la loi régissant la Kafala ?
Nous n’avons même pas la Kafala des enfants car elle n’est réservée qu’aux musulmans. C’est le juge de la famille d’Azrou qui avait la Kafala. D’ailleurs on en a fait la demande auprès des autorités, mais elles ont refusé.
D’où proviennent les fonds du Village ?
Des associations chrétiennes mais aussi laïques nous soutiennent partout dans le monde et surtout de pays d’où nous sommes originaires.
L’ambassade américaine au Maroc vous soutient-elle ?
Oui, nous avons reçu 180.000 dollars pour construire le nouveau réfectoire.
Quel rapport aviez-vous avec l’église marocaine ?
Il faut savoir que l’église au Maroc est persécutée. Elle n’a pas le droit d’avoir des rassemblements. D’autre part, nous recevons la visite de quelques chrétiens du Maroc, qui venaient nous encourager.
Votre action caritative dans les villages de la région vous a-t-elle permis d’avoir des contacts avec les habitants ?
Nous n’avions jamais distribué des bibles à la population des villages. D’ailleurs les visiteurs et les «parents» signent un engagement interdisant tout acte d’évangélisation pour pouvoir rester au Village. Au contraire, nous avons protégé la population de notre entourage.
Connaissez-vous M. A. et M. K., deux habitants d’Aïn Leuh convertis au christianisme ?
Ce sont des personnes majeures qui se sont converties de leur propre chef. M.A est venu nous l’annoncer et on lui a répondu que c’était un choix qui allait lui poser des problèmes. Nous les connaissons donc très bien, du fait qu’ils ont la même religion que nous. On priait pour eux.
On vous accuse d’encourager les prostituées de la région d’avoir des enfants, pour ensuite vous les vendre ?
C’est une accusation grave ! Nous n’avons jamais de contact avec le monde de la prostitution. Ce sont les hommes marocains qui avaient des contacts avec les prostituées, ce n’est pas nous.
Comment arrivent les enfants dans le Village ?
Les enfants de la «honte» posent un grand problème pour le pays. Nous aidions donc le gouvernement marocain à couvrir la honte que représentent les mères célibataires pour la société et sauver les enfants de famille démunis et riches.
Quelles sont les garanties que les autorités avaient pour la préservation de la religion des enfants qui naissent musulmans ?
On ne peut pas donner cette garantie. J’ai expliqué cela depuis 10 ans aux autorités. Les enfants grandissent dans des familles chrétiennes, mais ils reçoivent une éducation islamique dans l’école. A 18 ans, ils pourront choisir la religion qu’ils veulent. Hélas ! la liberté de choix de sa religion est absente au Maroc.
«Mirikane» d’Ougmas
S. L
A 5 km d’Azrou sur la route de Khénifra, se trouve le village d’Ougmas. Vivant exclusivement de l’élevage et du travail saisonnier dans les fermes d’arbres fruitiers, les 200 habitants subissent un véritable clavaire. «C’est une chance que «Mirikane» sont là pour transporter nos malades et nos femmes enceintes vers Azrou», témoigne Haddo. Par «Mirikane» il désigne le Centre de protection des orphelins. L’établissement a été fondé par trois Américains en 1953, d’où son surnom. En 1979, les premiers bacheliers du centre ont pu être recrutés comme professeurs d’anglais dans plusieurs villes du Maroc. Hassan Soufiane fait partie des premières promotions. Après des études au Minnesota, il revient travailler à Ougmas. «Je suis choqué qu’on nous accuse de prosélytisme. Ici c’est un foyer pour protéger les enfants abandonnés, un point c’est tout», s’indigne-t-il. «Certes 95% du personnel sont des Américains, mais jamais un de nos bénéficiaires n’a changé de confession», précise Omar Jmouâ, directeur adjoint de l’établissement. En 2003, la direction décide d’envoyer les enfants dans des écoles marocaines pour faciliter leur intégration dans la société. Jusqu’à 2007, le centre a élevé et formé 979 enfants, dont 70 vivent actuellement aux Etats-Unis ou en Suisse. 90% de son budget proviennent de dons émanant de l’Amérique du Nord, le reste est récolté auprès de mécènes locaux. L’établissement est bien équipé mais comparativement avec Village of Hope, il est très modeste. A la demande de l’Entraide nationale et pour se conformer à la nouvelle loi 14-05, le Centre s’est transformé en 2008 en association et a choisi pour nom : «Maison d’enfants au Maroc».
Notre passage dans ce Centre coïncide avec la «visite de courtoisie» des gendarmes. Une visite devenue désormais quotidienne après l’affaire de Village of Hope (VOH). Scott, qui préfère qu’on l’appelle Jacob, nous accueille. Il nous montre les chambres des enfants hébergés dans l’établissement ainsi que sa propre chambre. Il nous présente également sa femme et ses enfants. Cet Américain qui réside dans ce patelin depuis 11 ans parle darija couramment. «L’Etat nous connait depuis très longtemps mais on est très inquiet», confie-t-il. Sur ses rapports avec VOH, il reste évasif : «on ne les connait pas directement mais on reçoit une fois par semaine certains de leurs enfants». Avant de rejoindre les gendarmes, il lâche : «nous avons peur de connaître le même sort que VOH».
Nouzha Skalli Ministre du développement
Social, de la famille et de la Solidarité
Il faudrait clarifier que les liens de partenariat qui nous lient généralement avec les associations locales, y compris l’Association le Village de l’Espérance, se fondent sur des règles d’obligation cadrée par la loi 14-05. Cela dit, toute demande de création locale est nécessairement soumise (article 5) à l’avis du gouverneur, via une commission technique, où l’Entraide Nationale est représentée, qui suit et traite les demandes d’institution. Ce comité a toutes les prérogatives de statuer sur les demandes et sur leur éligibilité avant d’approuver le cahier des charges de l’établissement. Concernant VDE, le Ministère a demandé, par courrier, à l’association de se conformer avec ladite loi. Laquelle association a favorablement réagi à notre invitation à participer à la journée d’étude qui a été organisée à Azrou sous la présidence de Mr l’inspecteur général de l’Entraide Nationale. Les relations institutionnelles de l’association avec les autorités locales étaient en règle et les activités se faisaient ouvertement et en concertation avec elles. L’association s’est également distinguée par l’organisation d’activités au compte de la délégation de la santé et de l’enseignement. A priori, nous n’avons pas besoin d'une loi spécifique à ce type d'établissement car la loi 14-05 dispose de normes et standards concernant l'infrastructure, l'hygiène, la sécurité et les ressources humaines ainsi que le mode de gestion, et qui sont de nature à permettre à notre pays de disposer d'EPS de qualité».
«Ces gens ont essayé de détourner les musulmans de leur foi».
Père André Joguet, Vicaire général - Archevêché catholique de Rabat
Entretien réalisé par Noura mounib
L’Observateur du Maroc. Vous sentez-vous concerné par les expulsions d’Aïn Leuh ?
Père André Joguet. Au Maroc, il y a des églises officielles reconnues. On trouve les églises catholiques, les églises évangélistes et les églises de type consulaire comme les églises anglicanes qui dépendent de l’ambassade de Grande-Bretagne. Ce groupe de chrétiens expulsés qu’on appelle communément missionnaires ou évangélistes ne dépend d’aucune de ces institutions. Ils travaillent à titre personnel, n’entretiennent pas de liens avec nous et évoluent à distance de tout établissement catholique. On savait qu’un groupe de chrétiens s’est installé à Ain Leuh pour un but caritatif mais on ne s’est jamais douté qu’il était question de prosélytisme. La communauté chrétienne au Maroc est surprise par le tournant de cette affaire. Les églises officielles respectent les lois du pays qui interdisent le prosélytisme mais ces gens ont essayé de détourner les musulmans de leur foi. Toutefois, il ne faut pas tomber dans la confusion. On ne peut parler de prosélytisme dès l’entame d’une conversation de type religieux. On peut facilement en accuser un musulman, un chrétien et un juif lors d’un débat religieux. Prenons l’exemple des étudiants subsahariens au Maroc souvent harcelés par leurs collègues musulmans. «Pourquoi tu ne te convertis pas ?». S’agit-il d’actes de prosélytisme ? Il faut en connaître le sens avant d’en parler.
Comment sont les rapports entre les institutions catholiques et l’Etat marocain ?
Les relations sont très bonnes. Les rapports des institutions catholiques avec l’Etat marocain sont régis par un dahir au statut de cette lettre du Roi en 1984. Chaque année, sa Majesté salue les communautés chrétiennes pour consolider les liens. Il existe un grand respect envers l’église, les autorités locales appellent souvent l’archevêque, on organise des rencontres avec les gouverneurs des villes… Personnellement, je suis souvent surpris par l’accueil chaleureux des responsables. Le Maroc compte plusieurs écoles catholiques à son actif comme Jeanne d’Arc, Charles Foucauld, Saint Gabriel où on n’a jamais eu de problèmes de prosélytisme. On a même voulu changer leurs noms mais le ministère marocain de l’Intérieur a refusé. Certes, il arrive parfois d’avoir affaire à des agressions verbales mais c’est souvent des histoires de gaminerie. L’autre fois à Meknès, je trouve la croix qui était accrochée au mur de l’église en morceaux. On sait bien qu’elle n’a pas été arrachée par le vent…
Que pensez-vous de la loi marocaine qui garantit la liberté de culte ?
A partir de la déclaration universelle des droits de l’homme, on distingue le droit de pensée, de conscience et de religion. Signée par le Maroc, cette déclaration atteste que la liberté de conscience relève des droits fondamentaux. Il ne semble pas que ce soit le cas ici. C’est une contradiction. D’une certaine manière, je pense que les responsables ont conscience du nombre de chrétiens au Maroc. Il ne faut pas oublier les musulmans qui se convertissent en Europe. Une fois rentrés, ces derniers vivent leur vie chrétienne sous la plus grande discrétion. Même si la société a du mal à accepter ce genre de questions, je crois qu’ils sont respectés malgré tous les préjugés.
Recevez-vous des musulmans qui veulent se convertir ?
En effet, je reçois de jeunes musulmans qui veulent se convertir au christianisme. Mais ces gens-là confondent souvent église et consulat de France. Ils croient qu’en se convertissant, ils auront facilement l’occasion d’aller à l’étranger. Je suis donc là pour leur montrer l’adresse du consulat. Par ailleurs, je reçois des étudiants dans le cadre de thèses ou de mémoires. Je ne fais pas de prosélytisme. Cela devient plutôt une affaire culturelle. Je ne donne jamais de bibles à ceux qui viennent demander des renseignements. Il y a des librairies et des bibliothèques pour cela. De toute façon, je ne comprends pas pourquoi ce débat sur l’ébranlement de la foi musulmane comme si c’était une lumière qui risque de s’éteindre. Chacun de nous a son enracinement religieux et spirituel qui ne sera jamais emporté à coups de vents. On ne peut pas parler d’ébranlement de foi lorsqu’on parle de convictions religieuses.
Evangélistes Ces fous de Jésus à la rescousse du monde
Mouna Izddine
Il n'y aura jamais de paix mondiale avant que la Maison de Dieu et le Peuple de Dieu n'assument leur rôle de leadership à la tête du monde» . Ces propos aux allures de prophétie conquérante ne sont autres que ceux du révérend Pat Robertson, célèbre télévangéliste et fondamentaliste chrétien, fondateur de l’influente Coalition chrétienne. Cette même organisation aux lobbyistes largement introduits au Sénat et dont les sympathisants, soit près du quart de l’électorat américain, ont grandement contribué à la victoire électorale de l’ex-candidat républicain Georges W. Bush en 2000. Président belliqueux et manichéen que d’aucuns classaient clairement comme adepte de ce néo-protestantisme, non étranger à la fameuse «croisade» anti-terroriste et aux visées éradicatrices du prétendu «Axe du Mal». Les sorties fréquentes de la figure de proue du mouvement évangélique de l’Oncle Sam (près de 40% des missionnaires à travers la planète sont américains) illustrent bien les intentions animant les membres de cette puissante mouvance religieuse comptant près de 500 millions d’adeptes dans le monde. Dont plus de 70 millions aux Etats-Unis d’Amérique, contrée de la «Bible Belt» (Sud), lieu de naissance de ce courant hybride regroupant une multitude d’églises indépendantes, luthériennes, baptistes, pentecôtistes ou encore méthodistes. Mais protestantes dans leur écrasante majorité. Les multiples composantes de cette nébuleuse, par opposition au clergé catholique classique et aux églises protestantes traditionnelles, organisés, hiérarchisés et reconnus par les autorités officielles, sont dans nombre d’Etats assimilées à des sectes.
Dangereuse galaxie ?
Inquiétante par ses velléités prosélytes affichées en tout cas : "Les églises sont vides, et nous, on est en passe de conquérir le monde", clamait ainsi récemment le médiatique Vinson Synan, pasteur évangélique. Les «Croisés de l’Apocalypse», comme les dénomment certains, ou «Born Again Christians», sont convaincus d’avoir été personnellement choisis par Jésus pour sauver le monde, l’épurer de ses péchés (parmi lesquels l’avortement, l’utilisation du préservatif, l’homosexualité, le clonage… et le féminisme) et remettre les impies sur le droit chemin, celui de la piété, de la ferveur et de la Bible. En attendant l'Armageddon, la proche bataille finale entre le Bien et le Mal en Galilée, et le retour de Jésus Christ, le Sauveur. Le Messie devant obligatoirement être reconnu par le peuple hébraïque, qui devrait au final se convertir à son tour au christianisme, les évangélistes prônent virulemment le retour des Juifs dans le Grand Israël. Et rejettent tout projet d’Etat palestinien, l’Islam étant perçu comme l’Antéchrist par une fange d’entre eux.
L’humanitaire comme porte d’entrée
Les fondamentalistes chrétiens américains déboursent ainsi tous les ans des millions de dollars en faveur de la cause sioniste, via notamment des subventions pour les colonies. De l’argent, les évangélistes, capitalistes avoués aux yeux desquels l’enrichissement est une valeur de piété fondamentale, en ont à souhait et ses féroces marketiciens savent comment l’utiliser pour accomplir leur « mission salvatrice ». A travers la télévision (aux USA, la Christian Broadcasting Network est l’une des plus riches), la radio, Internet, le cinéma (grâce aux fidèles évangélistes, la Passion du Christ de Mel Gibson a fait près de 400 millions de dollars de recettes), la littérature. Mais aussi les organisations non gouvernementales. En effet, sous couvert d’actions humanitaires en faveur de la Veuve et de l’Orphelin, les évangélistes répandent partout dans le monde la parole du Seigneur : « Les chrétiens évangélistes (…) ne sont pas que les donneurs de leçons que l'on voit à la télévision. Au cours de la dernière décennie, ils sont devenus les nouveaux défenseurs du tiers-monde, les premiers à apporter une aide aux plus démunis », soutient à ce sujet l’éditorialiste du New York Times, Nicholas D.Kristof dans le Figaro du jeudi 4 mars 2010. Les « fous de Jésus », d’autant plus faciles à recruter que l’église évangélique n’impose pas d’études laborieuses ni de célibat à ses prêcheurs comme le Vatican, sont parvenus à s’immiscer partout, séduisant les foules par leur airs jeunes et branchés, leur verbe accrocheur et leurs dollars sonnants et trébuchants. Dans la vieille Europe en mal d’idéaux et« à l’athéisme grandissant », en Amérique Latine (le très et foncièrement catholique Brésil, est devenu le deuxième pays évangélique après les Etats-Unis avec plus de 60 millions d’adeptes) et en Corée du Sud (on se souvient encore des 23 « humanitaires » coréens, adeptes de l’Eglise Saemmul de Pundang, enlevés par les talibans afghans durant l’été 2007). Mais également au Japon, en Chine (où les églises secrètes enregistrent plus de 10 000 conversions quotidiennes), dans les anciennes colonies d’Afrique noire (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Congo, Bénin et Cameroun, entre autres) et en Inde auprès des Intouchables. En Thaïlande aussi, où, comme le rapporte Courrier International (novembre 2005), des milliers de bouddhistes se sont laissé convertir par les pasteurs évangélistes contre la promesse d’un nouveau toit au lendemain du tsunami. Et même parmi nombre d’ex Khmers rouges du Cambodge, qui, en se faisant adopter par les missions évangélistes, aspiraient à se faire pardonner le génocide de 2 millions de leurs compatriotes et s’attirer quelque peu la mansuétude des tribunaux...
Mission: convertir les mahométans
Les évangélistes investissent pareillement les communautés musulmanes immigrées d’Europe et d’ailleurs, là, où «ils peuvent plus facilement rompre avec les traditions et les liens familiaux qui les empêchent d'accepter le Sauveur», analyse de la sorte Le Nouvel Observateur (26 février au 3 mars 2004). Toujours d’après l’hebdomadaire français, le mouvement évangélique considérerait même le monde arabo-musulman comme son «ultime zone de mission», et aspirerait à terme à «liquider l’Islam» en allant convertir en masse les enfants de Mahomet là où ils se trouvent. Au Proche et au Moyen-Orient, où, à titre d’exemple, près de 20 églises évangélistes étaient déjà recensées en Irak vers la fin du régime de Saddam Husseïn. Mais surtout dans les régions reculées et enclavées du Maghreb, auprès des autochtones amazighs, considérés moins imprégnés par l’islam et l’islamisme que les populations d’origine arabe, et parmi une moindre fange de citadins aux revenus modestes ou moyens. Des cibles souvent démunies auxquelles les évangélistes les moins scrupuleux, profitant de leur vulnérabilité, font miroiter la perspective d’obtenir par leur conversion au christianisme un visa, une carte de séjour et un avenir prospère dans l’Eldorado américain ou européen: «Politique ou religieux, le prosélytisme prospère là où l'Etat faillit à ses missions (…)les missionnaires n'ont guère eu de difficultés à concurrencer les Etats souvent rongés par la corruption en jouant la carte de l'humanitaire», écrit à ce propos l’Express, dans son édition du 28 mars au 3 avril 2005, tout en rappelant que les ressources mises à la disposition de ces samaritains d’un genre nouveau sont parfois le fruit d’aides et de subventions publiques conséquentes de la part de leur gouvernement.
Des informations circulent de la sorte sur la conversion massive de quelque 15000 Kabyles en Algérie et dans une moindre mesure de berbères marocains. Selon certaines sources non confirmées (dont le Nouvel Observateur en 2005), il y aurait quelque 150 missionnaires au Maroc et près de 7000 nouveaux convertis. Le député istiqlalien Abdelhamid Aouad avait carrément parlé en octobre 2005 de 40 000 «néo-chrétiens» et d’un objectif de christianisation de 10% de la population marocaine à l’horizon 2020. Info ou intox ? Réalité ou peur inconsciente d’un Occident perçu comme fondamentalement chrétien, islamophobe et impérialiste? Quoi qu’il en soit, avec leurs moyens et leur détermination, les évangélistes ont toutes les raisons d’inquiéter, parfois jusqu’à l’affolement, comme le montrent les dernières expulsions des membres de l’ONG «Village of Hope» à Aïn Leuh, les gouvernements des pays amenés à faire face à ces successeurs des pélerins-pionniers du Nouveau Monde.


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