« Nouri el-Maliki est un dictateur pire que Saddam Hussein ». En Irak, c'est une injure suprême. Encore plus lorsqu'elle est proférée par un haut responsable sunnite qui entend protester contre le mandat d'arrêt lancé contre le vice-président Tarek el Hachemi, sunnite lui aussi, accusé par Nouri el-Maliki, Premier ministre chiite, d'avoir commandité des attentats. Hachemi crie au complot. Ainsi les Américains ont-ils à peine tourné le dos que la querelle au sommet du pouvoir a repris de plus belle en Irak. Etait-ce inévitable ? Nombre d'Irakiens oscillaient entre le souhait de voir partir l'armée américaine considérée comme une armée d'occupation, et la crainte que son départ ne donne le « la » de nouveaux troubles intercommunautaires. Les sunnites, en particulier, qui ont perdu le pouvoir avec la chute de l'ancien raïs, craignaient leur départ. Barack Obama n'a rien voulu entendre de leurs inquiétudes. Il avait promis que les GI's quitteraient l'Irak fin 2011, et il n'était pas question qu'il renie sa promesse alors qu'il entre en campagne électorale. Pour se donner bonne conscience, Washington affirme que l'Irak est devenu une démocratie dotée d'un système judiciaire indépendant. Concrètement, le départ américain s'est fait dans de mauvaises conditions. Nouri el-Maliki souhaitait que des formateurs américains demeurent pour finaliser l'entraînement des soldats irakiens. Obama y a mis une condition : que les militaires américains ne puissent pas être traduits en justice pour crimes de guerre et bénéficient de l'impunité. Maliki a refusé. Les Américains sont partis… sauf 16000 hommes restés au sein de l'ambassade. L'armée américaine laisse donc l'Irak en proie à ses démons de la division politique et communautaire entre chiites, majoritaires, sunnites et kurdes. Rien n'a été réglé. La lutte au sommet de l'Etat entre le gouvernement du Premier ministre chiite, Nouri el-Maliki et la coalition Al-Irakiya de son prédécesseur, Iyad Allaoui (un chiite laïque proche des sunnites), dont Tarek el-Hachemi est membre, est l'expression de cette crise de pouvoir. Al-Irakiya, deuxième groupe parlementaire (82 députés), regroupe très majoritairement des sunnites. Il détient neuf portefeuilles ministériels et a suspendu sa participation au Parlement et boycotte le gouvernement de Maliki depuis l'accusation lancée contre el-Hachemi. Il accuse Maliki de vouloir installer une dictature en Irak et estime que le Premier ministre laisse de plus en plus le champ libre à ses alliés iraniens. Il est certain que le départ des Américains leur ouvre un boulevard en Irak. Que va-t-il se passer demain ? Le gouvernement, fragile, peut tomber. Plus grave, on peut craindre le retour de la guerre civile qui a cassé le pays entre 2006 et 2009. Au-delà, beaucoup craignent un éclatement de l'Irak en trois : les chiites au sud se tournant de plus en plus vers Téhéran ; les Kurdes au nord et les seuls à tirer leur épingle du jeu vivent déjà en totale autonomie ; les sunnites au centre, minoritaires, semblent orphelins. Certains regardent avec intérêt la Syrie espérant que le départ de Bachar el-Assad et l'arrivée des sunnites à Damas leur fournirait une base arrière pour repartir à la conquête du pouvoir en Irak. L'offensive politique d'el-Maliki, le chiite, contre el-Hachemi, le sunnite, viserait à avertir ses coreligionnaires qu'on ne les laissera pas rêver de pouvoir comme en Syrie.