Au souk Koréa à Casa, «l'bal» (du mot palette où sont transportés les vêtements usagés), ne connaît pas la crise. Même le lundi, les dénicheurs de bonnes occasions sont très nombreux, surtout des clientes en quête de griffe à bas prix. En ce début d'après-midi, la vente à la criée reprend ses droits. Installés sur une table, des aides-commerçants vantent à vive voix les mérites de leur marchandise. Pour attirer les clients, les commerçants n'hésitent pas à citer les marques internationales qu'ils proposent à des prix modiques ne dépassant pas 20 DH. Plus chère la vie Dans ce brouhaha, Amina, venue avec sa fille Asmae, tente de trouver quelques jolies fringues pour compléter sa garde-robe et celle de sa fille. Cette dernière ne semble pas trop apprécier cette ambiance. «Il faut être patient pour trouver de grandes marques avec une bonne qualité», lâche Amina pour réconforter sa fille. Avant d'ajouter : «je viens à ce marché toutes les deux semaines et je ne suis jamais déçue. Pour 200 DH, je m'achète des choses qui auraient pu me coûter plus de 1500 DH». Cette femme au foyer et mère de quatre enfants ne cache pas que c'est la cherté de la vie qui la pousse de plus en plus à combiner entre vêtements neufs et usagés. L'observation d'Amina se confirme par l'Indice du prix à la consommation, publié par le Haut commissariat au plan, pour le mois de novembre 2011. Les prix des articles d'habillement et des vêtements ont connu la plus forte hausse de tous les produits de consommation(+0,2%). En un an, les prix des vêtements ont augmenté de 1,6%, soit la 3e position (sur 12 produits ou services) des prix en hausse. Le succès grandissant de la friperie peut donc être interprété comme un signe d'effritement du pouvoir d'achat de la classe moyenne, mais reflète également le peu d'attrait des Marocains pour le «made in morroco», auquel ils préfèrent le «signé». Segmentation et marques «Nos meilleures ventes, on les réalise les week-ends», explique Hamid, vendeur de vêtements usagés depuis une dizaine d'années. Spécialisé dans les vêtements pour enfants, cet homme de 54 ans note un changement dans le type de clientèle de ce secteur. «Nos clients sont issus de classes plus élevées qu'auparavant. Ils viennent surtout pour acheter des vêtements signés», observe-t-il. Ces mutations ont poussé les commerçants à segmenter les produits proposés selon leur qualité. Sur les tables, où les vêtements sont posés pêle-mêle, les commerçants parlent de «déchets» avec un prix compris entre 5 et 20 DH. Pour des articles triés et en bon état, il faut passer à l'intérieur du magasin et payer entre 40 et 100 DH. «On s'adapte au marché. Nos clients deviennent sélectifs et connaisseurs des grandes marques», affirme Kamal, un autre commerçant de Koréa. Cette segmentation se fait également en amont, chez les fournisseurs. Mais qui sont-ils ? Et d'où viennent ces centaines de tonnes de vêtements usagés qui circulent au Maroc ? Derb Milan, capitale de la friperie Pour remonter la filière de la friperie à Casablanca, le marché de Derb Milan au quartier Drissia est un passage obligé. À quelques mètres du commissariat de police du district et dans un centre commercial de ce quartier populaire, le plus grand marché de vêtements usagés en gros et en détail du Centre du Maroc a élu domicile depuis 2002. Sur place, les boutiques sont négligées et les commerçants ne prêtent pas attention à la présentation de leurs produits. Pour ces grossistes, la vente en détail ne constitue qu'une petite partie de leur chiffre d'affaires, l'essentiel de leur activité se faisant avec des commerçants venus d'autres villes. «Ce marché existait depuis les années 70 avant de déménager dans ce centre commercial. Nous sommes les fournisseurs de friperie à Casablanca et ses environs», lance fièrement Azzeddine, jeune commerçant de 32 ans. Dans les allées de ce mall en décrépitude, un mouvement incessant de personnes transportant des palettes de vêtements. Derb Milan constitue une escale entre Nador, chef-lieu de la contrebande des vêtements usagés au Maroc, et Casa, centre de distribution pour tout le Centre et le Sud du pays. Nador, plaque tournante du secteur Bien que ce type de commerce soit interdit et que les marchandises soient introduites sur le sol marocain illégalement, les grossistes parlent de leur circuit d'approvisionnement le plus normalement du monde. «Nos marchandises sont de la contrebande. Elles entrent de Melilla pour arriver à Nador. Depuis cette ville, les intermédiaires nous fournissent les quantités qu'on désire dans un delai de deux à trois jours», résume Azzeddine. Nador et sa région sont la plaque tournante du secteur de la friperie au Maroc. Avec aisance, les commerçants trouvent de la marchandise. Contacté par L'Observateur, un responsable douanier à la retraite reconnaît la difficulté de lutter contre ces réseaux. «C'est une grande bataille que livre l'administration de la Douane à ces trafiquants. Malgré les saisies importantes réalisées chaque année, ce combat est loin d'être gagné», confie t-il avant de préciser que selon lui le modus operandi des trafiquants est bien huilé. «Dès la sortie la marchandise de Melilla, des camions sont stationnés pour les transporter à Casablanca, soit en faisant un détour par Midelt soit directement par la route de Fès», précise l'ex-douanier. Avec cette organisation infaillible, les grossistes répondent ainsi à une demande croissante dans les dix-huit points de vente que compte Casablanca, dont certains souks hebdomadaires comme souk Larbaâ situé au quartier Sidi Othmane. À Rabat, après le délogement du célèbre souk Laghzal, les habitants de la capitale se rabattent sur les commerces de Laghza à l'ancienne médina, le marché de Yacoub El Mansour ou Témara qui proposent de la friperie. Pour Azzeddine de Derb Milan, «tenter d'interdire la vente la friperie est impossible. Nos marchandises répondent à la demande d'une clientèle dans le besoin comme à celle dont les moyens ne lui permettent pas de s'offrir des grands marques».