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Poutine creuse sa propre opposition
Publié dans L'observateur du Maroc le 16 - 12 - 2011

C'est du jamais vu depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000. Une semaine après l'annonce des résultats officiels des législatives du 4 décembre, 50 à 80 000 personnes ont encore manifesté le 10 décembre à Moscou, et plusieurs milliers d'autres dans 80 villes de la Fédération, pour dénoncer la fraude massive. Comme pour les révoltes arabes, personne ne s'attendait à voir la contestation prendre cette ampleur - communistes révolutionnaires, libéraux, centre gauche, anarchistes, ultranationalistes s'y côtoient - et surtout durer. Il est vrai que le Premier ministre Vladimir Poutine et le président Medvedev n'y sont pas allés de main morte : plus de 49% des suffrages à «Russie Unie» et des taux de participation atteignant parfois… 146% ! «Bourrage des urnes», s'indigne d'ailleurs le rapport de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Sans parler des vidéos de cette falsification qui circulent sur les réseaux sociaux que le Kremlin tente de bloquer sous prétexte qu'ils «menacent la société» ! Dès avant le scrutin, le FSB, les tout puissants services de sécurité, avait lancé des cyberattaques pour censurer les informations sur la campagne. Après le vote, le journal Novaïa Gazeta a été leur cible : ses téléphones sonnaient sans arrêt et une voix féminine susurrait à ses journalistes «Poutine, c'est la vie, c'est la lumière. Sans lui, pas de futur»!
Erreur stratégique de Poutine
Ces pratiques, qui intègrent les méthodes du redoutable FSB et le dernier cri de la technologie, n'ont pas découragé les Russes. Dès le lendemain du vote, ils descendaient dans la rue pour réclamer l'annulation des résultats, le limogeage du président de la Commission électorale, l'adoption d'un nouveau code électoral , le vote électronique ou l'enregistrement des partis d'opposition… Autorisés, ces rassemblements pacifiques n'ont presque jamais dégénéré. Ils marquent la fin du contrat tacite passé entre pouvoir et société lors de l'intronisation de Poutine : la stabilité en échange de la monopolisation du pouvoir. «Ce contrat, note l'hebdomadaire Courrier International, a expiré en grande partie à cause de la crise économique, mais aussi des agissements du pouvoir» qui s'obstine à conserver un contrôle quasi total de la vie politique. Le jeu de chaises musicales annoncé sans vergogne par le tandem Medvedeb-Poutine pour la présidentielle de mars prochain - Poutine redevenant Président théoriquement jusqu'en… 2024 et Medvedev Premier ministre ! - a visiblement fait des ravages. Ce cynisme qui ne s'embarrasse même plus de la forme, se moque des électeurs et se contente des voix des partisans de la stabilité et des bureaucrates, a réveillé une classe moyenne apolitique qui ne manifestait guère : petite bourgeoisie, employés de bureaux, étudiants, professions intellectuelles… «Si la cause immédiate des manifestations, c'est la fraude exorbitante et voyante, la cause plus profonde est l'usure de Vladimir Poutine. Quand il a annoncé publiquement son retour à la présidence en mars 2012, il a fait comprendre aux Russes qu'ils pouvaient aller voter, mais que tout était décidé d'avance. C'était une humiliation et une réelle erreur stratégique de Poutine et de ses conseillers», résume la chercheuse Marie Mendras.
On n'est pas du bétail !
Signes que le seuil de tolérance a été franchi : même avec la fraude, Russie Unie a perdu 15% de son électorat, tandis que le Parti communiste frôle les 20% de voix, vingt ans après la chute de l'URSS ! En scandant dans les rues «Poutine voleur», les manifestants - des jeunes de 18 à 35 ans dans leur immense majorité - veulent signifier au Kremlin qu'il doit aussi compter avec eux et qu'à défaut de révolution, ils exigent respect et dignité et une transformation de l'ordre actuel. «On n'est pas du bétail», crient ces hommes et ces femmes qui ne sont plus les Soviétiques du siècle dernier. Travaillant, parlant plusieurs langues, voyageant, surfant sur Internet, ils n'ont pas connu le traumatisme de la chute de l'URSS et n'ont pas peur du changement. Les imprécations rituelles du pouvoir mettant en cause un «complot des Américains» n'y changent rien : elles ont pris un sacré coup de vieux et n'impressionnent plus.
Le duo Medvedev-Poutine le sait. Il redoute l'effet d'entraînement des révoltes arabes qui ont réussi à faire tomber des dictatures en place depuis trente ou quarante ans, où l'armée, la police et les services de renseignements régnaient en maîtres… Leur «arrangement» électoral pour mars prochain risque d'être sévèrement secoué si les manifestants parviennent à maintenir leur mobilisation pour exiger un changement des règles de la présidentielle. Le Kremlin a donc exclu toute remise en cause des résultats des législatives. Du coup, la promesse de Medvedev - qui a ruiné les espoirs de libéralisation mis en lui en renonçant à briguer la réélection pour laisser Poutine revenir au Kremlin - de faire «vérifier» les résultats du vote même si il «n'était pas d'accord» avec les manifestants n'a provoqué que mécontentement.
Embarras des Occidentaux face à la contestation
Mais il ne faut pas se tromper. Si Poutine, l'homme fort de la Russie a subi un camouflet, on en est seulement «au premier acte d'un drame qui peut durer», pour reprendre les termes de Marie Mendras. Muet après les manifestations du 10 décembre, Poutine - qui sait pouvoir bénéficier du soutien d'une partie de la jeunesse - organise sa riposte : il devait s'exprimer pour la première fois le 15 décembre en répondant en direct à la télévision aux «questions qui préoccupent les Russes». Dans le même temps, le milliardaire Mikhaïl Prokhorov, 46 ans, a annoncé sa candidature à la prochaine présidentielle, promettant une campagne «positive» avec «10% de critiques maximum» envers le régime ! Une initiative qui a tout d'un simulacre de jeu démocratique du Kremlin pour calmer les protestataires urbains libéraux et affaiblir les protestations au moment où l'opposition prévoit une nouvelle manifestation de masse le 24 décembre. Nul ne croit en effet que la troisième fortune du pays présente sa candidature sans l'aval de Poutine ou que Prokhorov ait l'intention de pourrir en prison comme Mikhaïl Khodorkovski, l'ex-magnat du pétrole, qui eut le mauvais goût de financer l'opposition à Poutine.
D'autant que l'homme fort du Kremlin sait pouvoir compter sur l'embarras évident des Américains et des Européens face à la contestation montante. Et ce même si le Parlement européen a demandé l'organisation de nouvelles élections en raison des «nombreuses irrégularités» constatées. Poutine est en effet persuadé que les Occidentaux ont plus besoin de lui que l'inverse : l'Europe pour les importation de gaz, tout le monde pour le dossier nucléaire iranien, la crise en Syrie, le retrait d'Afghanistan ou le bouclier anti-missile de l'Otan. Une raison d'Etats dont on peut craindre qu'elle assure malgré tout un bel avenir à Vladimir Poutine.


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