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FATWAS LE GRAND BAZAR
Publié dans L'observateur du Maroc le 31 - 05 - 2011

Cela suppose qu'il y ait une organisation religieuse par laquelle on peut savoir qui doit donner une fatwa et quel usage en faire. Ce qui implique donc une certaine forme d'autorité religieuse. Un mufti dispose de cette autorité, mais n'importe qui ne peut pas être mufti. Dans la réalité, une telle autorité n'existe pas ou, quand elle existe, elle est fortement contestée. Les différents courants musulmans ont des interprétations différentes, induites par des intérêts différents. La fatwa suit ainsi la politique. Elle répond à toutes sortes de demandes, celles qui veulent maintenir le statu quo comme celles qui veulent que les sociétés musulmanes changent. L'éclatement de l'autorité religieuse a eu pour conséquence la production de millions de fatwas servant les intérêts des demandeurs. Salman Rushdie, le célèbre écrivain, fait l'objet d'une fatwa légalisant au nom de l'Islam son assassinat. Les Ayatollahs d'Iran ont vite trouvé le moyen de réponde à son livre qu'ils ont jugé blasphématoire. Les salafistes produisent chaque jour des avis juridiques autorisant le recours à la violence contre les impies, ceux qui collaborent avec l'Occident satanique. Dans le domaine de la vie en société, des fatwas autorisent et interdisent toutes sortes d'actes et de comportements. Ainsi, on a eu des avis sur le mariage des petites filles de 9 ans, émis par El Maghraoui, le Fqih de Marrakech. Plus hardi que lui, un de ses confrères a autorisé le mariage à des âges encore plus bas. Il y a eu aussi des fatwas interdisant aux femmes de s'asseoir sur des chaises, pour la raison que la chaise (al koursi en arabe) est masculin. Une femme ne doit s'asseoir que par terre (féminin en arabe) parce qu'elle risque s'être excitée en s'asseyant sur le koursi. Elle ne doit donc pas conduire la voiture, etc. Ce qui est néanmoins curieux c'est que la majorité des fatwas, et en tout cas les plus courues, est celle en relation avec la femme en général et la sexualité en particulier. On a entendu tel «mufti » autoriser les jeux de l'amour entre l'homme et son épouse. Avec le détail sur les préliminaires et les positions. On a eu des fatwas sur l'attitude à avoir envers une épouse qui montre ses attraits à des hommes autres que ces proches. La fatwa reflète en fait un modèle de société porté par le « mufti » lui-même. Une société qui a besoin de guides spirituels pour lui montrer la voie du paradis. Car après tout pourquoi demander une fatwa ? N'est ce pas pour agir conformément à la religion et ainsi gagner sa place au paradis ? Sinon comment comprendre les plus terribles des fatwas qui envoient de jeunes femmes et de jeunes hommes se faire exploser dans cet abominable acte kamikaze ?
Quelle place pour les fatwa officielles ?
Salaheddine Lemaizi
Le Conseil local des oulémas (savants religieux musulmans) de la préfecture de Casa-Anfa fait partie des quatre-vingt deux conseils mis en place par le Roi Mohammed VI dans le cadre de la reforme du champ religieux. Composée de sept membres, dont une femme, cette institution est chargée, entre autres d'émettre des fatwas sur tous les aspects de la vie de la population de la région concernée. Driss Ganbouri, chercheur universitaire et islamologue, explique les raisons du lancement de ce chantier : «Les attentats du 16 mai 2003 ont révélé l'existence de fatwas qui ont appelé à apostasier la société et l'Etat et qui rendaient même légitime le passage du «takfir» (l'apostasie) au «tafjir» (l'explosion). Ces fatwas se trouvaient en marge de l'Etat et hors de sa légitimité religieuse. Depuis, l'Etat décide de verrouiller définitivement le domaine de la fatwa». Sept ans après, cet objectif est-il atteint ?
Dans les couloirs d'un Conseil des oulémas
«Notre travail c'est surtout de conseiller les citoyens qui arrivent vers nous pour demander une consultation. Il ne s'agit pas vraiment de fatwa mais d'un traitement au cas par cas», explique Mohamed Janah, secrétaire général du Conseil local d'Anfa.
Le Conseil local des oulémas (CLO) organise des permanences les jours de semaine, assurées par un des membres habilités à répondre aux questions des citoyens. «Les consultations sont au nombre de 7 à 10 par jour, avec un pic de 20 consultations par jour. Ce n'est pas énorme mais nous sommes desservis par l'emplacement du siège qui se trouve dans une zone excentrée des concentrations urbaines. Nous recevons beaucoup de questions par téléphone et peu par email. Aussi nous allons chez les citoyens là où ils se trouvent pour répondre à leurs questions», précise Mohamed Janah. Le CLO organise régulièrement des visites aux établissements scolaires et des journées portes ouvertes dans les marchés populaires de la préfecture. Les questions des citoyens concernent surtout les thèmes relatifs aux conflits conjugaux et à la conformité des transactions commerciales avec les préceptes de l'Islam.
Feuille de route royale
Les CLO font partie du nouvel organigramme de l'Iftaâ au Maroc. Avec le Conseil supérieur des oulémas (CSO), les conseils locaux sont désormais à la pointe de la politique religieuse de l'Etat en matière de prêche, de sensibilisation et d'orientation. Cette stratégie a pour but, entre autres, de contrecarrer les fatwas émises à partir des chaînes satellitaires. Cette volonté s'est traduite dans le discours de Mohammed VI, Amir el Mouminine, dans son message à la session ordinaire du CSO de 2009 : «Nous sommes soucieux de conforter la sécurité spirituelle de notre Royaume, en veillant à en préserver le dogme et l'unité de rite et en assurant la protection de ses constantes et de ses valeurs immuables. Parallèlement, Nous continuons à insister sur la nécessaire intégration du discours religieux dans le cœur du projet sociétal que Nous nous employons résolument à mettre en œuvre». Sécurité spirituelle, le concept est fondateur d'une nouvelle étape dans la politique religieuse de l'Etat. Depuis, se mettent en branle plusieurs mesures pour traduire ce nouveau concept sur le terrain.
Sur le plan de la fatwa, désormais, seul le CSO a une légitimité religieuse et politique pour émettre des avis juridiques au nom du Royaume du Maroc. Ces avis doivent, comme l'indique le Souverain, s'inspirer d'un «discours imaginatif […] ayant vocation à garantir l'intérêt de la collectivité et à la prémunir contre les travers qui pourraient lui être préjudiciables». Cette feuille de route a été codifiée dans «Mithaq Al-Oulamae» (charte des savants religieux). Quel bilan faire du travail du Conseil supérieur ?
Entre l'alcootest et Allah.ma
De 2004 à 2011, le CSO a émis plus de vingt fatwas, sur des sujets divers et variés. Ainsi, le Conseil a statué sur la possibilité d'utiliser l'alcootest, le tirage au sort dans l'organisation du pèlerinage, l'existence de sites comme sexy.ma, Dieu.ma ou Allah.ma, la possibilité d'exporter du sperme pour la procréation médicalement assistée, le dopage sportif d'un point de vue islamique, etc. En somme, le tableau des fatwas touche à tous les aspects de la vie, même les plus inattendus. Sauf que deux des fatwas émises par le CSO ont retenu l'attention. La première est celle où le Conseil a répliqué à l'avis exprimé par le Cheikh égyptien Youssef Qaradawi concernant le prêt bancaire pour l'acquisition d'un logement. C'était en 2006. La deuxième est celle qui répond au Cheikh marakchi Abderrahmane Maghraoui, sur sa fatwa légalisant le mariage de la fille de neuf ans. C'était en 2009. En 2010, le CSO défraye la chronique en suspendant un de ses 110 membres, Redouane Benchekroun, président du Conseil local de Ain Chock à Casa, pour avoir émis une fatwa condamnant le Festival Mawazine.
«Dans ces deux premières sorties, le CSO était sur la défensive, après avoir été dépassé par ces deux cheikhs. Ce faux départ du CSO a rendu difficile tout lien de confiance avec la société», estime l'islamologue D. Ganbouri. «Lors des incidents sanglants de la prison de Salé, on a entendu parler d'une fatwa émise par des salafistes à partir de la prison, légalisant l'assassinat de six gardiens de prisons. Malgré cela, le Conseil n'a pas réagi à cet avis», ajoute le chercheur universitaire. Pour M. Janah du Conseil local d'Anfa, «il est clair que nous ne sommes pas tout à fait au point et nous devons toujours faire mieux pour être encore plus proches des citoyens et leurs préoccupations». L'autre défi que le CSO et l'ensemble des institutions religieuses doivent affronter c'est la vague de fatwas émises à partir du Moyen-Orient et des pays du Golfe.
Atouts et faiblesses des oulémas marocains.
Riposter à ces fatwas demande de disposer d'outils scientifiques et médiatiques de qualité. «L'instance en charge de la fatwa, le CSO, a montré certaines limites dans son rendement. Pour améliorer ses outils scientifiques, le CSO doit intégrer des Oulémas qui ont fait leurs preuves dans la recherche. Aussi, ces personnes doivent être neutres politiquement», prône l'islamologue D. Ganbouri.
Médiatiquement, le Maroc dispose depuis le début de la réforme du champ religieux de deux médias à vocation religieuse : la station radio Mohammed VI pour le Coran et une chaîne de télévision qui porte le même nom. Elles sont toutes sous la tutelle du ministère des Habous et des Affaires islamiques. «Le succès de ces deux médias est très faible et n'a pas d'impact réel sur la population. Ils ne pourront pas concurrencer les chaînes du Moyen-Orient et leurs énormes moyens, ainsi que leurs célèbres Oulémas», avance D. Ganbouri.
M. Janah ne partage pas l'analyse du chercheur universitaire. «Ces fatwas manquent de base religieuse solide. Et à chaque fois que l'occasion se présente, les savants marocains arrivent à contrecarrer les arguments de ces cheikhs du Moyen-Orient et invalider leurs avis. D'ailleurs les Oulémas du Royaume sont respectés pour leur rigueur scientifique. Notre plus grand atout est de pouvoir compter sur la jurisprudence du rite malékite. Reste que nous serons efficaces le jour où les Conseils locaux joueront pleinement leur rôle». Or, la prééminence des cheikhs de la péninsule arabique tire sa force d'éléments extra-religieux. Pour D. Ganbouri, «une tradition culturelle et religieuse nous fait croire que tout ce qui vient de l'Orient est le modèle à suivre. Et ça dure depuis 50 ans. C'est dû au complexe qu'a le «Maghreb», vis-à-vis du «Machrek». Donc, cette influence dépasse la religion, c'est une question culturelle, liée à notre imaginaire collectif».
«La fatwa n'est pas une condamnation.»
Dr. Taib Koraiban Chercheur en sciences islamiques.
Entretien réalisé par noura mounib
L'Observateur du Maroc. Quelles sont les conditions d'un mufti ?
DR. TAIB KORAIBAN. «Al Iftae» est une question d'une grande sensibilité dans l'islam. Le mufti a une grande responsabilité devant Dieu. Quand il lance une Fatwa, c'est comme s'il parlait au nom de Dieu. C'est pour cela que les grands oulémas ont mis le mufti sur un piédestal. Il informe au sujet de Dieu et clarifie sa loi. Parmi les conditions, un mufti doit être musulman, ne doit pas toucher aux interdits et faire convenablement sa prière. Il doit être un imam pour les gens. Le mufti doit être suffisamment savant dans la langue arabe afin de pouvoir comprendre les textes, les utiliser comme arguments et en extraire des règles. Il doit être connaisseur de la religion musulmane, maîtriser les principes de la jurisprudence, les sciences du Hadith et les objectifs de la chari'a. Il doit également bien connaître le coran, avoir une connaissance suffisante des réalités sociales, économiques et politiques et maîtriser les fondements des sciences contemporaines. Il faut qu'il connaisse les différents rites (malékite, hanafite, chiite…), qu'il maîtrise les maximes légales et l'étude des religions comparatives. Psychologiquement, il doit être courageux, décidé, réfléchi. Il ne doit surtout pas avoir peur de perdre ses sources de revenus à cause de l'Iftae.
Comment s'assurer de l'authenticité d'une fatwa ?
Pour décréter un avis religieux, un mufti doit se guider à l'aide de la preuve religieuse, puis des avis des savants, de leur compréhension des preuves, de leur méthode d'argumentation et de déduction. Il ne convient à personne de parler de la religion en se basant sur sa raison seulement ou de décréter des avis religieux sans science aucune. Le mufti ne donne jamais de fatwa sans sources et argumentations. Toute fatwa émise doit être expliquée par un verset du coran ou un hadith. Elle doit être argumentée par des sources concrètes. La fatwa n'est pas une condamnation. Il s'agit d'un avis religieux pouvant porter sur différents domaines. En cas de divergence, il y a une science qu'on appelle la pré-valorisation (Attarjih). On rassemble le maximum de sources et preuves religieuses pour comparer entre les fatwas en question. Il se peut qu'entre deux fatwas, on trouve la réponse dans les textes religieux, soit le coran, soit le hadith. Quand on diverge sur deux fatwas, il se peut que l'une soit basée sur un vrai hadith tandis que la seconde soit élaborée sur un autre qui peut être faux. De toutes les façons, les grands oulémas ont émis certaines règles pour qu'en cas de divergence, les musulmans fassent la différence entre la vraie et la fausse.
Est-ce que la fatwa peut changer ?
En effet, la fatwa peut changer selon le lieu, le temps et les conditions. ça dépend aussi de la personne. La fatwa peut changer selon des règles que les Oulémas ont posées. C'est là que l'on peut se demander : Quelle est la différence entre une fatwa et une règle coranique ? Cette dernière est inchangeable parce qu'elle est écrite dans le coran, reconnue par la chari'a et régit tous les musulmans. Tandis que la fatwa dépend de «l'Ijtihâd» pour celui qui en est capable, c'est-à-dire celui qui est parfaitement au courant de tout ce dont il a besoin dans ce domaine, comme les versets coraniques et les hadiths prophétiques, qui est capable de les comprendre et de les utiliser comme preuve à bon escient, qui est au courant du degré d'authenticité des hadiths qu'il utilise comme arguments et des sujets à propos desquels il y a consensus (des savants), afin qu'il ne contredise pas le consensus lorsqu'il émet son décret.
La croix et la bannière
noura mounib
Le 9 mai 2011, le Cheikh Abdelbari Zemzmi, prédicateur et député du parti Renaissance et vertu, fait une nouvelle sortie médiatique et décrète une étrange fatwa, comme à son usage. Cette icône emblématique d'Al «Ijtihâd» parle cette fois-ci de la position de l'Islam concernant la nécrophilie.
Abdelbari Zemzmi : le mufti de trop ?
Pour lui, l'islam autoriserait l'acte sexuel sur un cadavre, à condition que ce cadavre soit celui de l'épouse. Le prédicateur explique qu'il n'y a aucun mal ni embarras que le mari fasse l'amour avec le cadavre de sa femme quelques heures après la mort de cette dernière. Tandis que l'opinion publique dénonce vivement cette fatwa, Zemzmi répond et argumente. «Personnellement, je n'ai jamais pensé au sujet. Mais quand on m'a posé la question, j'ai réfléchi et j'ai répondu. Les gens ont leurs penchants et leurs envies sexuelles. Il y a des hommes qui ont envie de faire l'amour avec leur femme malgré son odeur nauséabonde. Pourquoi va-t-on les juger? Le mariage est un contrat qui ne s'annule pas après la mort, en référence au Coran qui dit que le mari et sa femme peuvent le rester au paradis. Si l'homme a envie de sa femme bien qu'elle soit décédée, rien ne peut l'arrêter» conclut-il. C'est plutôt Zemzmi qui ne s'arrête plus… Avant la fatwa au sujet de la nécrophilie, le député a fait couler beaucoup d'encre grâce à des avis juridiques plus étranges les uns que les autres. Il a rendu licite la masturbation, l'usage des gadgets sexuels et l'utilisation de l'hymen artificiel. Il a même recommandé dans une fatwa adressée aux couples mariés d'imiter les acteurs des films pornographiques ainsi que de pratiquer l'acte sexuel même en période de menstruation en utilisant le préservatif. Il a également appelé les hommes célibataires à dépasser leurs frustrations et à s'épanouir sexuellement sur des poupées conçues spécialement à cette fin. Sans oublier aussi l'autorisation des boissons alcoolisées pour les femmes enceintes, sa compassion avec les footballeurs marocains quand il a confié qu'il était préférable pour les joueurs marocains en déplacement au Togo durant le mois de Ramadan de rompre le jeûne le jour du match. Il a même interdit le pèlerinage aux personnes âgées et aux enfants suite à l'apparition de la pandémie de la grippe A/H1N1. Si l'opinion publique condamne à chaque fois les fatwas inédites du Cheikh, ce dernier explique que la fatwa n'est jamais l'invention d'un mufti. Il s'agit d'un «Ijtihâd» de sa part pour répondre à une question religieuse précise. «Le Mufti décrète sa fatwa au nom de Dieu. Je n'en veux pas aux gens qui sont contre mes avis religieux mais je ne les considère même pas. Tout commentaire est libre et toute personne est libre de choisir si elle veut suivre la fatwa ou pas. D'ailleurs, l'Iftae existe depuis toujours et une fatwa ne peut pas plaire à tout le monde» souligne-t-il. Lorsqu'un Zemzmi autorise la nécrophilie et qu'un Maghraoui consent au mariage d'une enfant de neuf ans, les Marocains ne savent plus sur quel pied danser en matière d'avis religieux. Les fatwas fusent de partout mais les avis divergent.
La fatwa fuit le Maroc
Face au manque flagrant des savants marocains et de débats religieux en cas de fatwas étranges, les Marocains se tournent vers les médias égyptiens, saoudiens ou turques pour combler cette carence. Le résultat est souvent déconcertant. D'autant plus que la réalité des autres sociétés arabes ne ressemble en rien à la réalité marocaine. Par ailleurs, les chaînes satellitaires l'ont bien compris et tentent tant bien que mal de profiter de la situation. Elles se livrent ainsi à un bras de fer en matière d'émissions religieuses afin de rafler les plus grosses audiences. Elles font le lot des Cheikhs les plus charismatiques et les plus influents pour décréter le plus grand nombre de fatwas. Iqraa, Al Fajr ou encore Annas font partie de ces chaînes islamiques qui ne lésinent pas sur les moyens pour attirer le plus de monde. Le public marocain n'en est pas indifférent. Avec les divers avis et fatwas les plus farfelues, que ces Cheikhs se permettent de lancer sans scrupule, les téléspectateurs sont souvent égarés mais finissent tout de même par suivre ces avis religieux. Entre la fatwa de la femme qui a le droit d'allaiter son collègue pour éviter de pêcher, celle qui interdit à une fille de s'isoler avec son père ou encore l'autre qui défend à la femme de s'asseoir sur une chaise, les fatwas étranges ne manquent pas. Et tandis que les Marocains se tournent de plus en plus vers ces chaînes, les oulémas marocains se complaisent dans leur omerta.
«Les fatwas étranges ne servent ni notre religion ni notre vie de quotidienne.»
Mohammed Yassif Secrétaire général du Conseil supérieur des Oulémas.
Entretien réalisé par S.L.
L'Observateur du Maroc. Quel bilan faites-vous du travail du Conseil en matière de fatwa ?
Mohammed Yassif. La réforme du champ religieux a permis à l'institution scientifique qu'est le CSO de disposer de ressources humaines, d'une excellente formation dans les sciences religieuses, qui ont l'aptitude à l'Ijtihad pour émettre des avis légaux sur de nouvelles questions qui se posent à notre société. Cet effort nous a permis de remédier aux dysfonctionnements existants.
Quel est la méthode poursuivie par le Conseil pour émettre une fatwa ?
Face à une situation où l'iftaâ légal a connu une défiguration, la restructuration du Conseil nous a permis de créer une structure scientifique spécialisée en la matière. Elle est composée de quinze savants spécialisés dans les sujets à caractères sociétaux mais aussi juridiques. Ils statuent sur les évolutions de la modernité et leur compatibilité avec notre religion et les lois de l'Etat. Les questions qui se posent aux individus au quotidien sont traitées par des commissions spécialisées. Cette activité ne s'appelle pas de la fatwa mais plutôt de l'irchad (orientation). C'est notre manière de distinguer entre les avis émis par le CSO qui est le seul habilité à prononcer des fatwas du point de vue de religieux et légal.
Il y a une véritable course aux fatwas, comment expliquez-vous cela ?
En chari'a, la fatwa est une lourde responsabilité. En ces temps de la légèreté religieuse, de l'absence de la crainte de Dieu et du désir de certains de paraître au devant de la scène, sont apparues des personnes qui n'émettent des fatwas que pour semer la zizanie. Actuellement, l'iftaâ souffre de deux grands problèmes. Premièrement, nous assistons à l'apparition d'une catégorie de personnes qui livrent des fatwas mais qui n'ont pas les moyens scientifiques et religieux et même moraux pour donner des avis contraignants. Leur objectif est de créer les polémiques et d'éloigner les musulmans de leur religion à travers des mythes et des idées reçues. Deuxièmement, nous voyons apparaitre des fatwas étranges sur des questions aussi farfelues, qui ne servent ni notre religion ni notre vie quotidienne. Des thèmes que ne peuvent aborder que des esprits malsains.
Recueillir des avis religieux à partir des chaînes satellitaires ou des sites web est-il recommandé ?
Cet acte comporte un grand risque. Cette méthode a souvent des conséquences négatives. Les sources de notre religion ne peuvent être inconnues ou peu reconnues par l'ensemble de la communauté des oulémas. Le Coran insiste pour dire qu'il faut s'assurer de la personne de laquelle nous apprenons des choses sur notre religion. Si dans notre vie de tous les jous on n'achète une marchandise que si on a des garanties sur son origine, comment peut-on accepter de recevoir des avis religieux de source méconnues ou incompétentes pour statuer sur ce qui est licite et illicite dans notre religion. S'assurer de la provenance des informations est prioritaire .


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