Tout le monde a en mémoire la fatwa de Khomeini condamnant Salman Rushdie à la peine de mort. Mais ce n'est ni le seul usage ni la seule manière par laquelle les autorités religieuses musulmanes exercent leur influence. Très souvent les tribunaux dans plusieurs pays recourent aux muftis pour avoir leur fatwa dans les procès. Mais ce recours est facultatif. Le juge, d'autre part, n'est pas tenu de suivre la fatwa du mufti. Il est cependant un domaine où le recours au mufti est prescrit par la loi. En Egypte, Le code de procédure pénale prévoit à son article 381 que le tribunal doit solliciter la fatwa du mufti de la République avant de prononcer la peine de mort. Bien que la fatwa du mufti ne soit pas contraignante pour le juge, la sentence prononcée sans consulter le mufti est nulle. La fatwa du mufti doit être donnée dans les dix jours, au-delà desquels le juge n'est pas tenu d'attendre. Selon la Commission législative parlementaire, la consultation du mufti vise à "procurer un calme au condamné en sachant que la peine de mort prononcée contre lui est conforme au droit musulman". Mais elle ne cache pas une volonté d'influencer le public. Ce qui semble être la véritable raison, selon la doctrine qui aurait souhaité que la fatwa du mufti soit contraignante pour le juge. Signalons ici que la fatwa de Khomeini contre Salman Rushdie équivaut à un jugement. En Egypte, les fatwas émises par les hautes autorités religieuses musulmanes contre la secte bahaïe servent de base pour l'arrestation de ses membres et leur condamnation par les tribunaux. Abus et réglementation. Comme on peut l'imaginer, cette institution a connu des abus. Des personnes sans aucune connaissance se sont mises à renseigner le public. Ce phénomène, relevé par les auteurs classiques, se répète aujourd'hui à travers l'invasion du marché du livre par de nombreuses publications comportant des fatwas dans tous les domaines. Afin d'atténuer les abus de cette institution, les auteurs classiques et modernes établissent des règles que doivent respecter le mufti ainsi que son requérant. Nous y reviendrons. Les détails dans lesquels entrent ces auteurs sont impressionnants et ne sont pas dénués d'intérêt même pour le conseiller juridique ou le juge occidental. A relever dans ces ouvrages l'intégrité morale exigée du mufti. Pour dissuader certains de se livrer à la pratique des fatwas, des auteurs classiques et modernes demandent au pouvoir public d'y intervenir, notamment à l'égard des muftis ignorants. Et comme cette intervention peut être considérée comme une atteinte à la liberté du mufti, on insiste plus sur la contrainte morale. On cite le prophète Mohammed qui aurait dit que la personne qui se presse à donner les fatwas se presse vers l'enfer. On signale l'exemple de compagnons du prophète qui refusaient de répondre aux questions et préféraient renvoyer le requérant à d'autres, par humilité et pour se décharger de la responsabilité morale qu'impliquait l'exercice d'une telle fonction. De même que, nommé par l'Etat, il peut toucher le traitement affecté à sa charge. Certains recourent à une ruse : la fatwa "orale" est gratuite; mais si le requérant la veut par écrit, il peut louer les services du mufti. • Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh Article paru sur le site http://www.lpj.org/