Ce mardi là, Transparency Maroc avait plus d'une occasion à fêter. Un procès gagné, des prix à remettre, une exposition à présenter et une action de plus contre toutes les formes de corruption. Un prix libéré Au bout d'une lutte acharnée pour pouvoir attribuer le prix de l'intégrité 2010 à Chakib El Khayari, président de l'Association Rif des droits de l'Homme (ARDH), Transparency a pu enfin remettre le trophée à son attributaire. Mais avant d'en arriver là l'association, engagée depuis 1996 dans la lutte contre la corruption, a dû faire appel à la justice pour annuler l'arrêté d'interdiction de la cérémonie de remise du prix de l'intégrité à Rabat. «Nous avons gagné ce procès contre le Wali de Rabat mais au-delà de cette victoire, nous avons gagné le droit de la société civile à célébrer librement et publiquement les personnalités de son choix», a déclaré, sur un ton victorieux, Rachid Filali Meknassi devant une assistance venue nombreuse pour assister à un événement recalé à quatre reprises. Ainsi, le militant rifain a pu libérer, sous les applaudissements, la statuette du prix de l'intégrité emprisonnée symboliquement derrière les barreaux. Chakib Al Khayari, qui a fait montre de beaucoup de courage en dénonçant l'implication de nombreux responsables dans les réseaux de trafic de drogue au Rif sur un documentaire signé M6, a attiré ce soir tous les regards. Le geste calme et le regard un tantinet timide, il s'est exprimé avec beaucoup d'humilité. «Ce prix est une façon de reconnaitre la valeur de toute une région, de ce Rif fier et intègre qu'on destinait au trafic de drogue, à l'argent sale et à la corruption dans toutes ses manifestations. Ce prix est un message qui dit à tout le monde que les enfants du Rif sont aussi marocains que les autres citoyens. Ce ne sont pas des trafiquants, ce sont des travailleurs qui aiment leur patrie et veulent la servir jusqu'au bout». C'est en ces termes émus que s'est exprimé ce militant écroué à trois ans de prison ferme et libéré le 14 avril 2011, suite à une grâce royale, après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Prix annuel récompensant «les conduites exemplaires en faveur de l'intégrité ainsi que les initiatives marquantes contre la corruption», ce prix est accordé par un comité indépendant composé de Khadija Ryadi, présidente de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), Amina Bouayach, présidente de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH), Abderrahim Jamaï, avocat et Driss Ksikes, écrivain et journaliste. Ce même jury a accordé un autre prix spécial à Abderrahim Berrada, en reconnaissance «du courage et de l'abnégation dont il a fait preuve durant sa carrière professionnelle». Membre fondateur de Transparency Maroc, l'avocat militant a profité de l'occasion pour tourner en dérision la décision de Hassan Amrani, Wali de la région de Rabat, et pour lui «dédier» son trophée. «Quant aux pots-de-vin, ils doivent être institués comme étant un droit légitime pour tout citoyen !», ironisait-il devant un public hilare. L'art anti-corruption Au bout de cette cérémonie non-conventionnelle, le public a été invité à découvrir des prestations artistiques variées avec un seul sujet en commun: la corruption et son éradication. Chorégraphie, lecture de textes et de poésie, théâtre… Tous les moyens sont bons pour dire l'indignation et le refus d'une pratique largement répandue et énergiquement combattue. Dans cette lutte sans merci, Transparency Maroc s'est associée, une fois de plus, à des artistes et autres intellectuels marocains pour dire Non à la corruption. «Ce n'est pas la première fois que nous faisons appel à des artistes pour nous épauler dans nos actions. Nous formons une chaîne de solidarité avec eux et nous nous sommes toujours appuyés sur l'engagement des intellectuels pour sensibiliser le grand public et pour prôner l'intégrité», nous explique Hakima Lebbar, membre du conseil national de Transparency et commissaire de l'exposition «Sagesse des proverbes». Réunissant plus d'une vingtaine d'écrivains, de plasticiens, de dramaturges et autres chercheurs, cette exposition particulière a su marier créativité et engagement. Elaboré autour de proverbes et adages marocains évoquant la corruption, ce projet consiste en effet à revisiter le patrimoine oral dialectal, arabe et amazigh, pour en créer de nouvelles expressions, condamnant toute pratique corrompue. Tantôt poétiques, tantôt théâtraux, les adages «révisés» par le dramaturge Ahmed Tayeb El Alj, la linguiste Zakia Iraqui, le journaliste Khalid Jamaî et le chercheur Driss Azdoud ont été soumis par la suite à des écrivains et des plasticiens afin de s'en inspirer pour la création d'un travail dans le même esprit. Chacun à sa façon, les artistes participants ont ainsi donné forme à leur engagement. Lorsque les uns ont opté pour la couleur, les autres ont choisi la calligraphie, les clichés et autres installations pour dénoncer la corruption. Entre un ton grave et une attitude plus décalée, les œuvres présentées ont orné fièrement les murs nus des abattoirs de Casablanca, en stigmatisant un phénomène social, économique et moral tenace. Parmi les plumes ayant pris part à cette aventure, on trouve Mohamed El Baz, Karim Alaoui, Batoul Shimi, Lahcen Fikri, Omar Mahfoudi, Faouzi Laatris, Noureddine Chater et bien d'autres. La jeunesse impliquée A ces grands noms de l'art contemporain et de la scène littéraire s'ajoutent les jeunes signatures des élèves issus des collèges de Kénitra, Beni Mellal et Casablanca. «Nous avons organisé des ateliers en faveur de ces élèves pour qu'ils puissent créer de nouvelles expressions contre la corruption. C'est notre façon de changer les mentalités à travers l'implication des jeunes générations dans la création des idées et des paroles», rajoute Hakima Lebbar avec beaucoup de conviction. Le fruit de ces ateliers a été caligraphié par Mohamed Qarmad, Samil et Rachid Bourqaiba. Les recettes de vente des œuvres présentées lors de cette exposition seront versées à 30% dans les fonds de projets menés contre la corruption. Après Casablanca, l'exposition partira en juin en direction de Fès, pour être programmée en marge du Festival des musiques sacrées. L'ensemble des expressions, textes et œuvres présentées lors de cette exposition seront édités (gracieusement) dans un livre intitulé «La sagesse des proverbes». Pour ceux qui auraient raté l'événement, ledit livre est à paraitre en septembre 2011 aux Editions Tarik.