La campagne de que mène la coalition contre la Libye a au moins quatre noms. Les militaires français parlent de l'opération «Harmattan». On sent que le vent du désert souffle en rafales. Comme ces avions de chasse que M. Kadhafi a dédaigné d'acheter et qui aujourd'hui semblent se venger. Les Canadiens ont mis en œuvre «L'opération Mobile». Le titre convient aux Anglophones comme aux Québécois. Son ambition s'affiche modeste: c'était déjà le nom donné à l'évacuation des résidents canadiens en Libye. Les Britanniques sont totalement neutres. Ils ont opté pour «Ellamy», un nom forgé par un ordinateur. Quant à l'état-major américain, il reste fidèle à son vocabulaire grandiloquent. «L'aube d'une Odyssée» semble le titre d'une production hollywoodienne. Il y a un plus d'un scénariste qui végète au Pentagone! Quatre noms à une guerre et autant de buts de guerre que de participants. Une fois la zone d'exclusion aérienne imposée, ce qui n'a pas pris plus de 24 heures, quel est l'objectif? Est-ce qu'il s'agit de forcer l'armée régulière à se replier dans ses casernes ou d'imposer un cessez le feu? Ceux qui réclament seulement l'arrêt des combats s'adressent-ils aussi aux insurgés ? La chute du régime est elle le but poursuivi par les Européens ou se contenteront-ils d'avoir la peau de Kadhafi, sans toucher à ses fils et à son clan? La tête de Kadhafi au bout d'une pique comme on en rêve à Benghazi ou le Guide tout entier mais dans une cage, devant la Cour Pénale Internationale? La résolution 1973 est assez lâche pour autoriser toutes les interprétations. Ses rédacteurs l'ont conçue avec assez de flou pour rallier une majorité de neuf voix et ne pas se voir opposer le veto d'un des membres permanents du Conseil de sécurité. Le bût recherché a été atteint. Mais à peine la bataille engagée, les contradictions sont apparues, éclatantes. La palme revient sans doute à Rome envisageant, au bout de 24 heures, de fermer ses bases aériennes à la coalition alors même que quatre Tornado étaient engagés dans les opérations… Les pilotes italiens ont dû se sentir un peu seuls! Autre sérieux candidat à l'oscar de l'hypocrisie, le Secrétaire général de la Ligue Arabe dont les scrupules ont donné le tournis aux plus roués des diplomates. Il a protesté qu'on ne l'avait pas prévenu des bombardements, avant de se raviser et de prétendre qu'on l'avait mal compris. Aucun missile de croisière ne s'était encore égaré comme à Bagdad. Pas une seule bombe n'était alors tombée sur un hôpital, un marché, une école ou une ambassade comme à Belgrade. Pourtant, au premier jour de l'opération et avant même que ne déchaîne la guerre de propagande, l'unité de la coalition semblait lézardée et son soutien diplomatique déjà effritée. Ajoutez les querelles entre Européens qui se sont cristallisées sur le rôle opérationnel à donner à la machinerie de l'Alliance atlantique et la difficulté des Américains à transmettre le commandement, l'opération à quatre noms est devenue aussi subtile et complexe qu'un pacte entre tribus libyennes ou qu'un organigramme otanien. Au point de masquer deux ou trois évidences. Que la suprématie militaire est totale. Que les forces spéciales et les mercenaires ont dû renoncer à reconquérir Benghazi et à liquider la rébellion. Que la dictature d'un seul homme, régnant sur le pays tel un gourou, est enterrée. Qu'aucun régime ne pourra plus tirer dans le tas et faire durer le bain de sang pendant des semaines, en ordonnant au monde de regarder ailleurs. Lâché par ses voisins, Kadhafi paie son arrogance autant que son incurie. Avant même la fin de la première semaine, les diplomates ont commencé à rechercher les voies d'une sortie de crise. Le régime ne s'étant pas effondré, Kadhafi ne s'étant pas suicidé, l'idée germe d'imposer le cessez le feu par d'autres moyens. Cela prouve que personne ne veut d'une guerre longue. Tous prétendent rejeter la partition. Chacun s'inquiète d'un scénario à la somalienne. L'heure des palabres ne devrait pas trop tarder. Le propre des guerres justes, c'est qu'elle ne le restent jamais longtemps. Il faut espérer que la campagne de Libye ne dure que quelques jours, comme l'Harmattan quand il souffle sur le Sahara. Moins longtemps que l'Odyssée chère au cœur des généraux américains : le récit s'étale sur 8 ans ! C'est juste le temps qui nous sépare du début de l'invasion de l'Irak, le 20 mars 2003…