Dix-neuf projets, c'est le dernier bilan de la recherche clinique au Maroc. C'était en 2009. Depuis, la recherche médicale est au point mort par décision administrative du ministère de la Santé. En février 2010, Yasmina Baddou suspend toute recherche médicale jusqu'à nouvel ordre. Officiellement, cette décision s'explique par le vide juridique que connaît ce domaine. Officieusement, le couperet ministériel est tombé suite à la polémique qu'a connue le CHU de Casablanca fin 2007 autour de la recherche pilotée par Pr. Driss Moussaoui, médecin en chef du Centre psychiatrique universitaire sur des malades schizophrènes, en vue d'un nouveau traitement de cette maladie. Cette mesure complique la vie des chercheurs marocains dans ce domaine. Le Maroc, dernier de la classe La recherche clinique concerne plusieurs types d'études qui peuvent avoir une visée de diagnostic, de prévention, thérapeutique, épidémiologique ou pharmaco-économique relative à la santé. Or le Maroc fait partie des derniers de sa classe en la matière. Alors que le royaume réalise à peine dix-neuf projets par an, la Tunisie en compte 37 et l'Egypte réalise 78 projets. L'Afrique du Sud est de loin le premier pays africain en matière de recherche clinique. Elle compte 676 projets en une année. Selon l'équipe du laboratoire d'épidémiologie, recherche clinique et médecine communautaire, de la faculté de médecine et de pharmacie de Fès, «le nombre de projets déclarés, entre 1998 à 2002, a été de 46 projets dans le domaine d'essais cliniques. Entre 1989 et 2004, 148 dossiers ont été déposés au Comité d'éthique pour la recherche biomédicale de la Faculté de médecine casablancaise (CERBC), soit une moyenne de 9,6 dossiers par an. Dix dossiers ont été refusés et 33 % ont été modifiés. Quant au CERB de Rabat, il a été sollicité pour de nombreux projets de recherche (19 projets en 2007/2008 contre 11 en 2005/2006) et une seule fois pour les aspects éthiques de la pratique des soins (en 2006/2007). Entre 1988 et 2008, on compte 15 articles publiés en langue anglaise et un article en langue française : 4 pour les laboratoires, 9 pour les services cliniques, 2 pour la faculté des sciences de Casablanca et 1 pour l'institut agronomique. Conclusion : le Maroc est encore à la traîne dans la recherche clinique. Dans le champ de la santé comme dans les autres thématiques scientifiques, la recherche s'organise autour d'équipes de trois chercheurs qui font partie d'un laboratoire, composé du même nombre de chercheurs et ce, dans le respect de la loi 01-00 portant sur l'organisation de l'enseignement supérieur. Ces chercheurs doivent conduire une recherche pendant quatre ans. Pour pouvoir effectuer une recherche clinique, ils doivent soumettre leur projet à un des quatre comités d'éthique que compte le pays. Localisés dans les facultés de médecine de Casablanca, Rabat, Fès et Marrakech, ces comités consultatifs jouent un rôle déterminant dans l'obtention de l'autorisation du ministère de la Santé pour lancer la recherche. Depuis la décision de février 2010, tout ce beau monde se trouve en chômage technique. La crainte des abus justifie-t-elle de suspendre la recherche clinique ? Où est passé le projet de loi ? «Le ministère pense que nous utilisons les malades comme des cobayes, c'est faux», précise Farid Hakkou, professeur de pharmacologie à la faculté de médecine de Casablanca et fondateur du comité d'éthique pour la recherche biomédicale. «La recherche effectuée au Maroc doit suivre une réglementation internationale, les résultats sont étudiés sévèrement par les autorités des autres pays où le médicament sera commercialisé, le tout pour garantir l'éthique médical», ajoute-t-il. Dans le cas des essais de médicaments, la recherche au Maroc se fait en parallèle avec une trentaine de pays. Le royaume faisait partie des 20 premiers pays à être choisi pour ce type d'expériences. «Mais plus maintenant. La décision ministérielle nous a écartés des listes des pays susceptibles de recevoir ces recherches», soutient le Pr. Hakkou. Selon ce dernier, toute recherche prend en compte les risques sur le patient, l'intérêt thérapeutique de cette recherche, et «le patient doit obligatoirement donner son consentement et peut se retirer à tout moment», assure ce scientifique. Or faute de loi régissant les pratiques de recherche cliniques, ces engagements ne suffisent pas aux yeux du ministère de tutelle. En 2005, Mohamed Cheikh Biadiallah, le ministre de la Santé de l'époque, avait réuni les différents départements ministériels concernés par cette question (enseignement, justice, etc.), pour leur proposer un projet de loi. Sur des périodes discontinues, ce texte sera discuté mais jamais il n'empruntera le chemin législatif. «On nous dit qu'il est peut-être au niveau du Secrétariat général du gouvernement. Rien n'est moins sûr», tempère Pr. Hakkou. Contacté par L'Observateur du Maroc, le ministère s'est contenté d'un silence radio sur la question. Ce manque de visibilité n'arrange pas les projets de recherches des scientifiques marocains. Or «les acquis dans la recherche clinique se consolident de plus en plus en termes de ressources humaines qualifiées ou d'infrastructures sanitaires spécialisées. La mise en application d'une réglementation nationale, qui est en cours de validation, ne manquera pas de lui donner un nouvel élan», espère pour sa part le Pr Hassan Errihani, président de l'Association marocaine de formation et de recherche en oncologie médicale (AMFROM). Ce retard bloque aussi le développement de ce segment du côté de l'industrie pharmaceutique. Le modèle suédois «L'administration est consciente de la nécessité de mettre en place, dans les meilleurs délais, cette réglementation. Le tout pour permettre aux opérateurs marocains d'offrir leur savoir à leurs partenaires internationaux», espère Ali Sedrati, PDG d'un laboratoire pharmaceutique marocain et président d'honneur de l'Association marocaine de l'industrie pharmaceutique (AMIP). Ce vieux routier du secteur et qui a occupé le poste de secrétaire général du ministère de la Santé reste optimiste quand à la sortie de cette loi. «Le ministère travaille de manière très assidue et intensive sur cette question», révèle-t-il. La mise en place du cadre législatif sera un pas de plus pour mettre en oeuvre, la stratégie conçue par le Business consulting group (BCG) pour le développement du secteur, et qui a été commandée par le ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies en 2009. “Nous avons toutes les conditions nécessaires pour passer au stade des expérimentations et essais cliniques. Le Maroc dispose d'une industrie pharmaceutique très développée, de CHU et de ressources humaines (biologistes, scientifiques, médecins, pharmaciens) capables de travailler dans ce domaine. La recherche et développement au Maroc n'est pas chose impossible», estime A. Sedrati. Pour un autre membre de l'industrie pharmaceutique, le potentiel marocain est indéniable mais demeure “incomplet”. Selon ce dirigenat d'une mulitionale du secteur, “faire de la recherche clinique demande un cadre universitaire solide, des chercheurs compétents. Peu de publications se font à partir des universités marocaines. C'est un critère qui doit être amélioré». «En travaillant dans ce domaine, il faut toujours garder à l'esprit que la recherche, ce n'est pas du marketing, c'est un investissement à long terme», poursuit ce dirigeant. Face à la concurrence des pays développés, le Maroc comme pays émergent peut se faire une place au soleil, aux côtés de la Chine, de Singapour ou de la Turquie. Le cas suédois confirme que, pour être leader dans la recherche clinique, il n'est pas toujours nécessaire d'être un pays où la consommation de médicaments est élevée comme c'est le cas aux Etats-Unis. Malgré une consommation très faible en médicaments, la Suède arrive à occuper la 1re place en termes d'investissements dans le domaine de la recherche et développement et représente 5% de la part du marché mondiale de la recherche clinique. Pour suivre les pas de ce pays, il est urgent que le processus législatif s'intéresse à la réglementation de la recherche clinique, ce qui sera bénéfique aux citoyens comme aux chercheurs.