Ce n'est pas l'homme qui a changé, ce sont les circonstances. Quand le Parlement libanais a élu Najib Mikati, milliardaire sunnite, au poste de Premier ministre, le 26 janvier, il ne mettait pas un novice à la tête du prochain gouvernement. Mikati, député du nord du pays, avait déjà occupé ce poste pendant six mois après l'assassinat du Premier ministre Rafik Hariri en février 2005. Il avait supervisé le départ de l'armée syrienne et les élections législatives qui allaient donner au Liban une majorité conduite par Saad Hariri et le Mouvement du 14 Mars, pro-occidental. Le retour de Mikati marque la fin de la coalition menée par Saad Hariri. L'histoire commence le 12 janvier, lorsque les onze ministres de l'opposition, dont ceux du Hezbollah, démissionnent du gouvernement d'union nationale de Saad Hariri. Puis, mardi, Walid Joumblatt, le leader druze jusqu'alors allié à Hariri, retourne sa veste et annonce qu'il soutiendra le candidat du parti chiite et de la Syrie à la tête du nouveau gouvernement. Ce candidat est Mikati, annonce Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah. Cette fois, il ne s'agit pas d'une banale péripétie d'une vie politique libanaise compliquée et fertile en rebondissements. Pour la première fois, le Premier ministre du Liban, libanais, un sunnite selon la constitution (celle-ci, basée sur le système communautaire, prévoit que le Président de la république est un chrétien et le Président du Parlement, un chiite), a été choisi par le Hezbollah. La cause apparente de cette mini révolution ? La question du Tribunal spécial pour le Liban, le TSL. Le Hezbollah est persuadé que certains de ses membres vont être impliqués dans l'assassinat de Rafik Hariri. Le parti de Dieu l'exclut, quitte à relancer la violence dans le pays. Il demande donc que le prochain gouvernement récuse l'accord de coopération signé avec le TSL, en retire les magistrats libanais et cesse de financer l'institution. Saad Hariri a refusé de céder sur ces différents points. Le Hezbollah a donc décidé de son départ. Officiellement, le nouveau Premier ministre Najib Mikati n'a pas annoncé ce qu'il allait faire. Plier aux injonctions du Hezbollah ? S'y refuser ? Cette solution semble exclue. S'il rompt avec le TSL, il risque de mettre le Liban en porte-à-faux avec les Occidentaux et de raviver les querelles internes. Une situation qui aura des effets certains sur les relations du pays avec les Etats du Golfe et l'Arabie Saoudite qui le finance largement. A Beyrouth, le découragement est visible chez les sunnites et les partisans du 14 Mars qui après le départ des forces syriennes en 2005 avaient cru que le Liban renaîtrait de ses cendres. C'était faire preuve de trop d'optimiste. Dans cette poudrière proche orientale - les comptes de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah ne sont soldés ni d'un côté ni de l'autre – le Liban sert une nouvelle fois d'arène pour des intérêts étrangers. Derrière le Hezbollah se profile la place de l'Iran dans cette partie de l'est de la Méditerranée. Et avec elle, la confrontation entre Téhéran d'un côté, Washington et Tel Aviv, de l'autre.