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L'Etat se trompe-t-il d'interlocuteur ?
Publié dans L'observateur du Maroc le 26 - 11 - 2010

En cas d'événements graves comme ceux du 8 Novembre 2010, une telle approche fait partie des urgences. Seulement encore faut-il savoir qui est représentatif, qui a la confiance des populations.
Dès la récupération de nos provinces du Sud, les autorités marocaines se sont appuyées sur les structures tribales avec ce qu'elles comportent comme difficultés. Les Chioukhs sont devenus l'interlocuteur privilégié, auxquels ont été adjoints les élus. Les structures tribales sont hiérarchisées et les conflits de prééminence sont permanents.
Ce choix est battu en brèche. Les événements démontrent que ces représentants n'ont aucun contrôle sur les populations. Pire le fait qu'ils soient gavés par l'Etat alors que les citoyens de base vivent des problèmes sociaux réels, à l'instar des autres marocains, a crée un climat de suspicion, de défiance. Les jeunes sahraouis, urbanisés, instruits, sont en conflit ouvert avec le carcan des structures tribales, sa hiérarchie approchant le système de caste. La société civile émergente est la meilleure preuve de cette tendance qui traverse en profondeur la population Sahraouie.
La rente, l'économie de rente a constitué un accélérateur de cette tendance, plus les intermédiaires s'enrichissaient moins leur pouvoir de contrôle, d'influence, leur représentativité avaient de contenu. Le système s'ouvrait lui-même les veines, sciait la branche sur laquelle il s'appuyait à chaque fois qu'il accédait aux demandes de ses personnes. Il a beaucoup concédé, elles sont richissimes, mais ne servent plus à grand-chose.
Il n'est pas utile de faire la critique d'un système, perverti par le temps, mais qui avait sa logique il y a 30 ans. Il serait suicidaire de le maintenir alors qu'il est à bout de souffle et à l'évidence extrêmement contre-productif. Le cas Gajmoula illustre à lui seul l'inanité du système. On peut y ajouter le comportement des chioukhs et des élus, qui n'ont rien fait pour aider au démantèlement du camp, et qui aujourd'hui réclament la libération des fauteurs de troubles, y compris ceux impliqués dans les assassinats. Incapables d'éviter l'instrumentalisation, l'OPA des milices sur une contestation sociale, qu'ils ont soutenue, les chioukhs veulent s'attirer les bonnes grâces de la rue en réclamant l'impunité pour les milices !
L'une des idées qui circulent est de faire des élus les uniques intermédiaires. C'est l'exemple même de la bonne fausse-idée. En effet en démocratie ce sont les élus qui représentent, en premier lieu, la population. Mais les choses sont beaucoup plus complexes qu'un simple axiome livresque.
Le corps des élus à Laâyoune est totalement imbriqué dans le système féodalo-Tribal, pire il en grossit tous les défauts. Les couleurs politiques sont là bas plus factices qu'ailleurs et les luttes électorales sont celles de clans, gavés à l'économie de rente et qui se disputent les responsabilités en vue d'accroitre leurs richesses.
Les méthodes utilisées sont l'achat de voix et les comportements mafieux. Cette réalité attestée par tous, leur enlève toute réelle crédibilité. La jeunesse Sahraouie est née dans les villes, n'a pas connu le nomadisme et a des aspirations semblables à celles des autres jeunes du monde entier.
L'urbanisation à pas forcés a créé ses propres élites qui cherchent une place au soleil à tous les niveaux. Matériellement elle voudrait un soutien pour garantir une vie décente, institutionnellement elle voudrait être représentée autrement que par ceux qui parlent en son nom aujourd'hui. Le nombre d'associations reflète cette vitalité. Bien évidement nous sommes dans un contexte convulsif où les tendances s'entrechoquent, le mort saisissant le vif, la tradition tentant d'étouffer le changement. Nous sommes aussi en présence d'une population qui a pour habitude de débattre tout le temps, et essentiellement de politique.
Les autorités doivent prendre en compte la complexité de cette situation et revoir son système d'intermédiation en conséquence. Ce n'est pas une tâche simple, car prendre en considération l'importance des nouvelles élites ne signifie pas s'attirer l'inimitée des anciennes qui ont une capacité de nuisance relative.
La rénovation du CORCAS, annoncée par le discours Royal à l'occasion de la marche verte, est une occasion pour initier et fixer le cadre de cette politique. Sa composition doit refléter la diversité des élites Sahraouies telle qu'elle existe socialement, y compris avec ses contradictions. Les missions du CORCAS doivent être revues, mais c'est prévu.
Le plus important est de rompre avec le système rentier pour permettre aux élites d'asseoir leur représentativité autrement que par les prébendes.
«Les notables sahraouis et leur société ont rompu depuis des décennies.»
Naïmi Mustapha Professeur universitaire, spécialiste du Sahara et auteur de La dynamique des alliances ouest-saharienne. De l'espace géographique à l'espace social, éditions de la Maison des Sciences de l'Homme (Paris), 2004.
Entretien réalisé par Salaheddine Lemaizi
L'Observateur du Maroc Suite aux incidents de Laâyoune, la logique des notables menée par l'Etat au Sahara a-t-elle prouvé ses limites ?
Naïmi Mustapha. La rupture entre les notables et les tissus sociaux locaux est consommée depuis des décennies. Ayant cumulé tout les avantages de leur fonction de notables au service de l'administration centrale au long de leur parcours après 1975, leur parcours est doublé d'une succession d'échecs. Pourtant, rien ne semble empêcher la pression notabilaire de servir de support à leurs tribus, à une autre relation de soutien aux autres milieux politiques et sociaux. Pas une seule fois ils n'ont manifesté la volonté d'utiliser leur poids afin d'exprimer quelques revendications politiques, sociales ou autres. Les liens et les réseaux dont ils bénéficient restent attachés à des causes bien plus triviales liées au moindre coût tant de la vie politique, que de la mobilisation anti séparatiste.
À quel degré les luttes de clans à Laâyoune ont-ils été à l'origine de l'édification du camp de Gdeim Izik ?
Ce ne sont pas les luttes de clans, mais bien les revendications sociales de gens ayant pour unique objectif de protester en affichant une solidarité collective. Les édificateurs du camp dans un but purement social ont tenu à vivre une expérience marquante, tout en accomplissant une œuvre utile, politique, sociale revendicative. Cette option n'émane pas d'une logique purement tribale, mais bien d'une accumulation de frustration de groupes, certes tribaux, mais qui subissent les aléas de la politique poursuivie depuis des décennies. Contrairement à ce qu'on veut véhiculer ici ou là, il n'y a pas de comparaison en matière du seuil de pauvreté entre les provinces sahariennes et le reste du Maroc. Là où le nomadisme pastoral est détruit par les méfaits du conflit du Sahara depuis 1975, il n'y a pas d'infrastructures similaires à celles qui équipent le reste du Maroc. Les groupes, jadis pastoraux, ne comptent aujourd'hui que sur l'informel pour assurer leur subsistance. L'idée revendicative finit ainsi par se faire lors d'un « break », d'une « mise au vert », d'un dégagement, susceptibles non seulement de provoquer une rupture dans la spirale des échecs. Plusieurs ressorts vont alors être utilisés au sein du camp. Le premier d'entre eux est celui de la revendication juste, ensuite celui de la négociation et enfin celui de la sensibilisation de l'opinion publique locale et internationale. A ce moment précis, ils ne sont pas loin de ces rites de passage initiatiques des sociétés civiles qui accompagnent et conditionnent l'accès à l'âge adulte, l'âge la société civique.
Voulez-vous dire que l'ethnicité n'a pas joué un rôle dans la composition du Camp ?
L'hégémonie de l'ethnicité est si absolue que les décideurs croient encore pouvoir affirmer imperturbablement que les revendications sont adaptées aux groupes du camp du fait de la non exacerbation des clivages ethniques que les mots d'ordres auraient pu induire. On aurait tort de ne voir dans cette préoccupation collective a pour souci majeur de refléter jusque là non pas la caricature, mais une « certaine idée » de l'ensemble tribal sahraoui. Certes la majorité des gens viennent du nord de Tah et contiennent la particularité d'être les plus pauvres et les plus marginalisés, mais ils ne sont pas les seuls et nous n'avons noté de revendications séparées, le primitivisme de l'approche étant laissé à ceux qui multiplient les déclarations pour mieux accuser les nordiques du Sahara.
La fin de non recevoir affichée par les organisateurs du camp aux chefs tribaux de la région signifie-t-elle le renversement de la donne tribale ?
La donne tribale émane des siècles, c'est une donnée anthropologique dont l'intérêt est de témoigner de l'attachement aujourd'hui pour la problématique de l'ethnicité. Longtemps confinée aux sociétés « exotiques » et relevant donc des études dites d'«aires culturelles hassani». Ce qui frappe d'emblée dans la pratique administrative y compris celle du Ministère de la culture, c'est son caractère idéologique et polémique ; il n'est que de voir, pour s'en convaincre, la floraison de prises de position publiques suscitées par les camps de Gdaym Izik et les anathèmes croisés auxquelles elles ont donné lieu de la part des politiciens dont beaucoup n'y comprennent pas plus que le commun des mortels, c'est-à-dire pas grand-chose... A l'évidence, pour bon nombre de ces décideurs, l'implosion des camps renvoie au modèle de revendication susceptibles d'émaner d'une société tribale en devenir. La gestion du pluralisme identitaire constitue un prétexte pour le défendre ou le critiquer.
Comment se positionne la jeunesse sahraouie aujourd'hui par rapport à la tribu ?
Comment les jeunes peuvent-ils s'en désintéresser alors que tout les y renvoie constamment. Du moindre problème familial qu'ils subissent, les jeunes sont les cadets de leurs aînés, qui subissent les mêmes conditions familiales en passant par les problèmes civiles et intertribales. Le politique est décodé au moyen exclusif de la grille tribale, supposée tout expliquer, et qui donc n'explique rien. Mais qu'importe puisqu'il est acquis une fois pour toutes que la tribu est la catégorie classificatoire des sociétés du wad Nun, la Sagya al-Hamra et le Rio de Oro et qu'elle résume toutes les autres appartenances : hors de l'ethnie, point d'explication aux problèmes qui se posent aux sociétés africaines. Les gens du camp n'ont pas les mêmes états d'âme vis-à-vis de l'ethnicité, même s'il faut manifester quelque réticence à l'appréhender comme catégorie analytique pertinente et même si le traitement de la question ethnique n'a pas toujours été, et n'est pas, exempt de toute préoccupation instrumentale et politique.
Quels sont les facteurs qui structurent l'identité sahraouie aujourd'hui ?
La notion-clé qui détermine l'identité sahraouie aujourd'hui est sa connotation en tant qu'entité homogène et cohérente, dotée d'une existence propre au sein d'un Sahara divers et pluriel. Aussi l'idée centrale qui caractérise le propre de l'identité sahraouie est cette volonté à vouloir sans cesse privilégier l'interaction entre sahraouis comme unité d'observation : c'est là que se jouent les divers processus d'attribution et d'identification qui construisent les cultures et les identités.
Sommes-nous en train d'assister à l'émergence d'une nouvelle élite politique, loin de l'encadrement des partis ?
La notion d'élite dans le milieu sahraoui d'aujourd'hui paraît quelque peu figée. L'identité ethnique produit des classes d'âge cadettes dès lors que ses aînés demeurent une catégorie dynamique, dont le sens s'élabore par rapport aux autres identités dans le jeu constant d'inclusion/exclusion qui s'effectue sur la frontière ethnique. Ce qui rend difficile l'apparition d'une nouvelle élite. La diversité tribale de la société pose encore problème, alors que l'analyse des frontières ethniques entre fonds ethnique local et résidents fait du Sahara une société polyethnique. Avec le temps, la Constitution doit permettre l'émergence des partis régionalistes qui semblent néanmoins en harmonie avec la problématique des frontières identitaires.
Selon vous, LA chose à retenir des tristes événements de Laâyoune ?
L'échec total de la politique poursuivie, la stratégie d'anéantissement de l'identité sahraoui nordique, trop bien représenté au sein du camp Gdaym Izik, réduit à de réelles revendications, sociales mais porteuses de messages et d'espoir ; indicatives de le voie à suivre si l'on veut réellement mettre un terme à l'annexionnisme poursuivi depuis 1975. L'état des lieux en matière d'avancée relative des droits de l'homme est en décalage avec l'état d'avancement de la politique de transparence et des droits de la presse à couvrir le fait quotidien dans sa singularité. Les décideurs continuent à croire que le Maroc a bien des choses à craindre. Or c'est faux : laissons les médias faire leur travail et nous verrons que seule la transparence et la détermination de la base résidentielle, sahraouie comme les autres, trancheront ce débat, le Maroc pourra alors prouver la véracité de sa thèse.
Matriarcat réel ou pouvoir de façade ?
Mouna Izddine
Le double jeu de Gajmoula
Quelle mouche a bien pu piquer Gajmoula Bent Ebbi ? Depuis sa fuite de Tindouf en 1991, et son entrée sous la coupole à Rabat voilà 8 ans déjà, on pensait la virulente opposante d'Abdelaziz définitivement acquise à la cause du Sahara marocain. Surprise. Commentant le fameux «lundi noir» de Laâyoune, la députée du PPS (Parti du Progrès et du Socialisme) paraît de nouveau céder aux sirènes de la propagande séparatiste. Ainsi, dans une interview accordée par l'ancienne présidente de l'Union des Femmes du Polisario au jeune quotidien espagnol de centre-gauche «Publico», intitulée «Rabat a trompé les leaders sahraouis du campement», la parlementaire sahraouie accuse ouvertement le ministre de l'Intérieur marocain d'avoir «dîné avec ceux qu'il nomme aujourd'hui terroristes». Le dîner en question entre Taïeb Cherkaoui et les 8 jeunes concernés, représentants du campement contestataire de Gdim Izik, aurait eu lieu dans la maison du wali de Laâyoune Mohamed Guelmouss le 4 novembre 2010. Soit 4 jours avant le démantèlement dudit campement. D'après la députée, ces jeunes leaders ont été « floués » car ils n'auraient pas obtenu en échange ce que leur aurait promis Taïeb Cherkaoui. En l'occurrence «un travail, un logement et un terrain pour les 20 000 protestataires, en sus d'une allocation mensuelle de 1600 dirhams pour les Sahraouis chômeurs et les sans revenus». Gajmoula affirme que ces jeunes sont aujourd'hui recherchés par les autorités marocaines. Avant d'ajouter qu'elle s'est sentie personnellement «trahie et humiliée» par ces dernières car celles-ci lui avaient assuré «qu'il n'y aurait aucune intervention violente dans le campement». Enfonçant le clou, Bent Ebbi soutient que la police marocaine «entrait dans les maisons et emmenait tous les hommes de plus de 12 ans», et juge «crédible» le chiffre de 400 à 800 arrestations avancé par le Centro Nacional de Inteligencia (CNI), les services de renseignement espagnols. Des allégations vivement démenties par le ministère de l'Intérieur marocain, dont les vidéos (filmées notamment par les hélicoptères de la gendarmerie royale) ont d'ailleurs clairement montré la sauvagerie criminelle d'émeutiers vêtus des tenues militaires de l'organisation séparatiste, lynchant et égorgeant de sang-froid des éléments des forces de l'ordre, à la manière des groupuscules terroristes du no man's land sahélien. Sans oublier toute la crédibilité professionnelle perdue par les médias ibères (EFE et Antena 3) après que ceux-ci aient tenté de faire passer des photos d'enfants de Gaza blessés et d'un homicide familial à Sidi Moumen, pour des «crimes de l'armée marocaine occupante contre le peule sahraoui de El Aiun». Mais alors, à quoi joue donc la fille d'Ebbi Ould Mohamed El Mehdi Ould Elbou, celle-là même qui clame haut et fort que «personne ne l'a achetée» et qu'elle est «muée par ses seules et uniques convictions»? Certains disent que la fière et rebelle mère de 6 enfants agit par orgueil blessé, n'ayant pas admis d'être écartée du jour au lendemain de la commission de médiation entre les autorités locales et les campeurs de Gdim Izik. D'autres affirment quant à eux que la députée PPS cherche par tous les moyens à se faire remarquer, dans l'espoir de faire partie dans un proche avenir des négociateurs qui comptent à Manhasset. Coup marketing savamment calculé ou simple boutade d'un ego surdimensionné?
Sahraouies omniprésentes…
Quoiqu'il en soit, cette saillie de la parlementaire native de Smara, en dehors de tout débat politique, est une attestation supplémentaire de l'omniprésence de la femme sahraouie dans les provinces du Sud et de son caractère trempé. Engagée, versatile et opportuniste parfois, mais suffisamment intelligente pour ne pas se laisser béatement instrumentaliser. Pleinement consciente de ses choix en somme. Et décidée à être partout, usant à l'envi de sa liberté de parole et de mouvement et de son statut privilégié. On la voit d'ailleurs sur toutes les scènes. Sur les podiums des partis politiques, dans les organisations non gouvernementales, dans les administrations publiques, dans les entreprises étatiques comme dans les commerces privés, menant d'une main de fer gantée de velours les missions qui lui sont confiées. Et si les émules de Aminatou Haïdar, égérie des médias algériens et espagnols, peinent à percer auprès d'une opinion et de gouvernements internationaux plus que jamais convaincus de la viabilité de la proposition marocaine, les ambassadrices sahraouies d'un Maroc uni et indivisible se font elles de plus en plus entendre: de Hajbouha Zoubeir, présidente de l'Association marocaine des Femmes Entrepreneurs pour le développement(AMFED) à la chanteuse hassanie faiseuse de tubes Saida Charaf en passant par la sociologue et ex-déportée à Cuba Saâdani Malainine. Ou encore la ralliée Keltouma El Khyat, de la tribu des Izerguyine, ancienne chargée des relations extérieures de l'Union féminine du Polisario, présentée par PED (Parti de l'environnement et du développement) pour diriger sa liste nationale lors des législatives de 2007. Pour ne citer qu'elles. Influentes, et émancipées. Ainsi, à Rabat, Casablanca ou Agadir, les habitantes du «dakhil» les voient déambuler nonchalamment dans leurs «melhfa» bariolées avec une curiosité mâtinée d'une pointe d'envie, pour toutes celles qui n'ont pas le privilège comme leurs concitoyennes méridionales de sortir et voyager librement, de s'habiller et de se maquiller à leur guise, ou de fumer sur les terrasses des cafés sans être inquiétées du qu'en dira-t-on et des regards réprobateurs.
…Sahraouies omnipotentes ?
Mais jusqu'où va le pouvoir des «Sahraouiates»?: «Il s'agit d'un pouvoir quasi-absolu, sinon déterminant, conféré par une société profondément et séculairement matriarcale. Non sans raison. Malgré la sédentarisation, les Sahraouis ont gardé les traditions et l'organisation des tribus nomades. Les hommes étant souvent absents pour de longues durées (besognes pastorales, commerces lointains, recherche de nouveaux points d'eau, etc), toutes les responsabilités ayant trait à l'entretien du foyer, l'éducation des enfants et la vie de la tribu étaient confiées aux femmes. Et aucune décision touchant à la tribu ou à ses relations avec les autres tribus n'était tranchée par les chioukhs (sages) sans la consultation des femmes», explique Brahim Laghzal, chercheur en sciences sociales et membre du CORCAS. Aujourd'hui encore, considérées comme le pilier de la «khayma», ancrage immuable autour duquel gravite toute la vie de la tribu et qui assure à cette dernière logis, nourriture et repos salutaire, les femmes sahraouies sont cajolées de l'enfance jusqu'au troisième âge. Pour épouser une Sahraouie, il faut donner une dot très élevée, entre bijoux, argent, bétail et autres biens. L'époux est tenu d'entretenir sa moitié, de la couvrir de présents et d'attentions sans jamais la vexer, et les violences physiques ne demeurent jamais impunies. Le divorce est tout aussi coûteux pour le mari, et la polygamie inimaginable : «le coût des noces et les exigences élevées des femmes sahraouies ne sont pas étrangers au taux élevé de célibat dans les provinces du Sud, qui enregistrent par ailleurs le plus grand nombre de divorces à la demande des épouses », analyse B. Laghzal. La place de faveur allouée par leur entourage aux femmes sahraouies est telle que ces dernières ne cachent pas leur désintérêt pour le nouveau code de la famille, entré en vigueur en 2003, étant donné qu'elles s'estiment suffisamment protégées par les coutumes claniques: «En dépit de la sédentarisation, la famille sahraouie reste une famille élargie, éloignée du modèle nucléaire répandu dans les autres régions du Maroc. Ici, ce sont les institutions des chioukhs qui priment, on règle les affaires sociales et familiales bien avant, en interne et à l'amiable, le tribunal étatique n'étant qu'une formalité administrative. Et, dans tous les cas, la femme est certaine d'obtenir gain de cause pour elle et son éventuelle progéniture», souligne notre chercheur. Ceci étant, la modernisation, combinée à la récession économique, posent aujourd'hui de nouvelles contraintes aux femmes sahraouies actives, essentiellement au niveau de l'alphabétisation ou encore de la santé, le surpoids, modèle esthétique tenace dans les normes sahraouies, constituant un véritable fléau chez les femmes de la région : «Mais les Sahraouies ont de la volonté et de la persévérance. Les jeunes filles font du sport, prennent soin de leur santé, bousculent les normes pour mieux s'adapter aux exigences du Maroc actuel», rassure Brahim Laghzal. Déterminées à se défaire du cliché de la Sahraouie fainéante, alourdie par ses chairs opulentes et reposant sur ses lauriers de déesse du désert, les jeunes générations de femmes du Sud mincissent, étudient longuement et travaillent dur, égalant et surpassant même leurs hommes. Pas question pour elles de manquer le coche inéluctable du progrès social et économique des provinces du Sud. Difficile dès lors de concevoir l'avenir politique du Sahara sans ces dames de fer...


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