Entre les menaces de grève et les débrayages d'avertissement dans l'Education, la santé et les chemins de fer, le front social ne décolère pas en Algérie. La chute vertigineuse du pouvoir d'achat est au cœur de cette protestation devenue le seul moyen aux mains des travailleurs pour pousser les pouvoirs publics à la table des négociations. Et plus que jamais dans ce contexte, ce sont les syndicats autonomes qui sont la bête noire des autorités qui font tout pour les infiltrer afin de mieux les marginaliser et les casser. C'est décisif pour Alger au moment où l'UGTA, la très officielle centrale syndicale ne contrôle plus grand chose et apparaît avant tout comme une courroie de transmission de l'Etat. L'offensive contre les syndicats autonomes s'est en tout cas nettement durcie le 12 mai dernier avec une décision administrative de fermeture de la Maison des Syndicats à Alger. Prétexte avancé par le wali qui a fait immédiatement mettre la salle sous scellé : «occupation régulière» de ce local privé par les syndicats autonomes, «troubles de l'ordre public» et «transformation du local en un lieu de rencontre des jeunes filles et jeunes hommes venus de différentes régions du pays» ! 18 ans d'état d'urgence ! Coïncidence fâcheuse: cette fermeture a eu lieu à la veille d'une réunion du «Forum syndical maghrébin» à laquelle devaient participer plusieurs organisations syndicales venues du Maroc, de Tunisie, de Mauritanie, d'Egypte, du Sénégal, de France et d'Italie. Pendant ce temps, une rencontre des syndicats africains organisée par l'UGTA se tenait tranquillement dans un grand hôtel de la capitale ! Le Forum appelé par les syndicats autonomes a cependant pu avoir lieu dans les locaux du Front des Forces Socialistes (FFS, principal parti d'opposition). Mais la décision du wali revient à priver les syndicats libres et les organisations indépendantes de la société d'un endroit pour se rencontrer alors que les pouvoirs publics refusent systématiquement les autorisations pour organiser des réunions dans des lieux publics... Ces «actes d'intimidation» ont été dénoncés et condamnés par les organisations syndicales internationales qui ont réclamé à la fois la levée de la fermeture des locaux et celle de l'état d'urgence. Proclamé au début de la guerre civile de la décennie 90, ce dernier est en effet toujours en vigueur depuis. Et ses dispositions privent les syndicats et autres associations autonomes du droit de se rassembler et de manifester. «Le pouvoir veut fermer tous les espaces de liberté. Ce rétrécissement des espaces de liberté peut conduire à une situation de chaos», résume Mohand Sadali, secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l'éducation et de la formation (SATEF). Vaines décisions de justice Les syndicalistes ont une autre (double) épée de Damoclès au-dessus de la tête : le licenciement et le refus des employeurs de les réintégrer en dépit de décisions de justice leur donnant gain de cause souvent depuis plusieurs années et/ou après plusieurs procédures dont le résultat leur étaient pourtant favorables! L'adoption en 1996 de la loi sur la flexibilité du travail aidant, des centaines de travailleurs ou de cadres sont aujourd'hui dans ce cas : ceux qui ont tenté de créer une section syndicale ou de dénoncer une mauvaise gestion. Et beaucoup ne peuvent, faute d'argent, faire un recours en justice…dont la décision ne sera de toute façon pas appliquée si elle est favorable au plaignant! C'est encore pire s'agissant des personnes employées par des entreprises étrangères, surtout dans les bases pétrolières du sud, où des travailleurs récalcitrants sont traînés en justice sous n'importe quel prétexte. «La protestation se nourrit de l'impasse politique qui règne dans le pays, remarque Adel Abderazak, un ancien syndicaliste cité par le quotidien El Watan. Le président est complètement décalé du réel. Il tient un Conseil des ministres une fois tous les six mois. A côté, il y a un gouvernement qui continue à tourner le dos aux revendications tout en s'efforçant de donner une «illusion patriotique» à travers différentes mesures visant le secteur économique. Et il y a un Parlement soucieux des privilèges de ses députés». Cette volonté de casser l'élan de protestation sociale survient alors que des émeutes brèves mais violentes, continuent à secouer le pays. Une situation que dénonce le «Comité onusien sur les droits économiques, sociaux et culturels». S'interrogeant sur «le maintien de l'état d'urgence depuis 18 ans», notant que «la corruption reste très répandue», demandant à l'Algérie de «rétablir l'Agence nationale contre la corruption», cette instance dénonce en outre le «refus du dialogue social et des libertés syndicales, et les interférences administratives, policières et judiciaires» vis-à-vis des syndicats autonomes du secteur public.