Le mutisme des islamistes marocains sur certains scandales, dont celui provoqué par Ahmed Mansour, pose de nombreuses interrogations... A l'approche de l'échéance électorale et sur fond de tensions sociales ravivées par le regain de conservatisme propre au mois de ramadan, les islamistes marocains multiplient les démonstrations de force. Parmi eux, le parti de la lanterne et ses leaders, qui, en plus d'être fustigés pour leur bilan économique et social contesté, s'attirent les foudres de leurs adversaires politiques. Ceux-ci les soupçonnent de placer leurs alliances idéologiques au-dessus des intérêts suprêmes de la Nation. S'il est logique que tout parti tente de concrétiser son idéal une fois au pouvoir, jamais une formation gouvernante n'a paru aussi ambigüe dans ses desseins que le PJD. Ahmed Mansour, un ami dérangeant La dernière affaire qui a fait couler beaucoup d'encre à ce sujet est celle d'Ahmed Mansour, accusé par le quotidien arabophone Assabah d'avoir contracté le 21 août 2012 à Salé un mariage coutumier avec une fonctionnaire marocaine, Karima F. par le truchement et avec le témoignage d'un membre du secrétariat général du PJD, en l'occurrence Abdelali Hamieddine. Le célèbre présentateur égyptien d'Al Jazira s'est défendu de ces assertions, non par un droit de réponse comme le veut la déontologie du métier ou une plainte devant la justice comme l'autorise le législateur, mais par un flot d'injures et d'insultes. Il a ainsi qualifié en substance les patrons de presse et les journalistes marocains de « prostitués, proxénètes, mercenaires, usurpateurs, pédérastes et esclaves à la solde de leurs maîtres » et autres « insectes et parasites vivant dans les poubelles et les marécages et ne méritant que d'être écrasés.. ». L'animateur de l'émission « Bila houdoud » (Sans frontières) s'en est également pris avec la même virulence obscène aux politiciens marocains. Dépeint par de nombreux journalistes comme un ogre sexuel ayant contracté plus de 17 « zawaj orfi » (dont 2 fois avec des Marocaines) alors qu'il est déjà marié légalement à une Egyptienne, réputé pour sa grande proximité avec la Confrérie des Frères Musulmans, Ahmed Mansour, 52 ans, traine un lourd passif derrière lui. Arrêté le 20 juin dernier à l'aéroport de Berlin à la demande des autorités égyptiennes, avant d'être libéré 3 jours plus tard, il avait été condamné en 2014 par contumace par la justice égyptienne à 15 ans de réclusion pour avoir torturé un avocat sur la place Tahrir en 2011 mais aussi pour vol, viol, enlèvement. L'animateur-vedette de la chaine qatarie est également connu comme un proche ami de la direction du PJD. Celle-ci l'avait reçu avec les honneurs en juillet 2012 à son 7ème congrès, en même temps que Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas palestinien. Est-ce cette amitié qui a poussé Attajdid, l'organe de presse proche de la formation d'Abdelilah Benkirane, à reprendre les propos insultants d'Ahmed Mansour sur son site avant de les supprimer quelques heures plus tard ? Des connivences troubles ? Quoiqu'il en soit, le mutisme du PJD sur ce scandale (si l'on excepte les dénégations d'A. Hamieddine) pose de nombreuses interrogations, d'autant plus que les propos diffamatoires et injurieux dudit animateur d'Al Jazira ont été condamnés vigoureusement et unanimement par la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) et le Syndicat National de la Presse Marocaine (SNPM). Quatre jours après les faits, l'aprèsmidi du lundi 6 juillet, Ahmed Mansour publiait des excuses sur sa page facebook. Mais le mal était déjà fait et le patriotisme de la formation islamiste de nouveau mis en question. Les islamistes marocains mettent-ils effectivement les intérêts de la Jamaâ au-dessus de ceux de la Patrie ? Abdelilah Benkirane a en tout cas toujours nié pour sa part tout lien idéologique ou matériel avec la confrérie d'Hassan El Bana ou encore l'AKP de Recep Tayyib Erdogan. Une affirmation qui ne convainc pas ses adversaires, eu égard aux nombreuses rencontres officielles ou privées, au Maroc et à l'étranger, entre les dirigeants du parti de la lanterne et ceux des formations islamistes égyptienne, turque ou encore tunisienne et palestinienne. A l'actif des détracteurs du PJD, qui n'a jamais caché son admiration pour son homologue turc, la signature fin mai 2011 d'un accord de coopération entre sa jeunesse et celle de l'AKP. Idem sur le plan des affaires, la coopération économique et les échanges commerciaux entre le Maroc et la Turquie n'ont jamais été aussi forts que sous le gouvernement actuel. Abdelilah Benkirane n'a-t-il pas reçu le 3 juin 2013 à Rabat Recep Tayyip Erdogan, accompagné d'une délégation ministérielle et de 300 hommes d'affaires ? Plus récemment, en mai 2015, la jeunesse adliste et le Forum Al Karama (sous la houlette d'A. Hameddine) condamnaient avec virulence les peines capitales prononcées par « la dictature » de Sissi contre le président déchu Mohamed Morsi, le théologien Youssef Qaradaoui et les autres cadres de la confrérie. Et, voilà quelques jours à peine, les quotidiens arabophones faisaient leurs choux gras de l'amitié entre le chef du gouvernement marocain et Waleed Tabtabaie. Cet ancien député koweïtien âgé de 51 ans et diplômé en charia, qui a rejoint les rangs du jihad en Syrie en 2013, avait été arrêté le 1er juillet dernier pour son implication présumée dans l'attentat sanglant contre la mosquée chiite Imam al Sadeq le 26 juin 2015 à Koweït City, attaque revendiquée par l'Etat islamique et qui a fait 27 morts et plus de 200 blessés. Une amitié dont se serait bien passé A. Benkirane qui, pour sa défense, rappelle qu'il a reçu W. Tabtabaie « en sa qualité d'homme politique » dans le cadre d'une visite de députés islamistes étrangers au parlement marocain en juillet 2012. Il n'en demeure pas moins que les positions misogynes et intégristes de cet ex-parlementaire salafiste sont connues de tous... Les inquiétudes des modernistes Et c'est probablement cette proximité avec les tenants d'idéologies importées, étrangères à notre Islam sunnite de rite malékite, ouvert, populaire et tolérant, qui inquiète les critiques des islamistes marocains. Un parti au pouvoir n'est-il pas censé faire primer les intérêts du pays et faire appliquer ses lois avant toute allégeance partisane ou obédience doctrinale ? Le PJD, miné par un bilan économique mitigé et cherchant à reconquérir ses bases à la veille des prochaines élections, aurait-il du mal à respecter ce pilier démocratique ? Une chose est sûre : les déclarations de Mustapha Ramid quant au très controversé avant-projet de Code pénal ou aux affaires liées aux libertés individuelles qui ont émaillé ce mois de ramadan (affaire dite des jupes d'Inezgane, lynchage d'un prétendu homosexuel à Fez, affiches anti-bikini à Agadir, etc.) ne rassurent pas les modernistes. Ceux-ci craignent en effet que le parti islamiste ne cherche à maintenir voire introduire des lois liberticides en accord avec son idéologie, mais en contradiction avec la Constitution avant-gardiste plébiscitée par le peuple marocain en juillet 2011. En conclusion, ces dernières affaires auront au moins eu le mérite de réveiller les consciences des citoyens marocains et le débat public autour d'une question essentielle : Quel projet de société voulons-nous pour le Maroc de demain ? D'ores et déjà, ils sont des milliers d'anciens abstentionnistes et autres blasés de la chose politique à avoir annoncé sur les réseaux sociaux leur intention de s'inscrire sur les listes électorales. Mustapha Ramid : Superstar sans minbar Le verbe populiste et le sourire carnassier, ses sorties médiatiques, reprises à l'envi sur les réseaux sociaux, choquent, font rire, enrager mais ne laissent jamais indifférent. Il faut dire que le ministre de la Justice et des Libertés répond souvent aux sollicitations des rédactions des journaux, des radios comme des télévisions publiques qui ne demandent qu'à réaliser de l'audience en ces temps de vaches maigres médiatiques. Ainsi, le 29 juin dernier, invité à un ftour-débat de l'Economiste autour de l'avant-projet de Code pénal, Mustapha Ramid (par ailleurs polygame) a menacé de démissionner si les relations sexuelles hors mariage venaient à être légalisées. Autre « ligne rouge » infranchissable selon le ministre islamiste, l'abolition de la peine de mort ou encore la rupture du jeûne en public pendant Ramadan. Son argument massue ? Le texte de loi sur cette question précise étant à portée sociale et non religieuse, «la majorité ne peut pas céder aux revendications d'une minorité au nom du progrès». Ailleurs, sur les ondes de Chada Fm, le 7 juillet dernier, interrogé sur la dépénalisation des relations homosexuelles, Mustapha Ramid a suggéré à tout homme «qui a une voix grave-masculine mais se sent intimement femme et a des agissements féminins (...) de faire une opération pour changer de sexe» plutôt que de demeurer dans le péché et l'illégalité. Une «alternative» qui n'est pas sans rappeler la loi en vigueur dans l'Iran chiite, qui autorise la transsexualité et prend même en charge les frais médicaux inhérents au changement de sexe, mais n'hésite pas à pendre les homosexuels sur la place publique. De quoi alimenter les pires craintes des progressistes... Mezouar VS MANSOUR : Pour la défense de la dignité des Marocains Les injures du journaliste d'Al Jazeera, Ahmed Mansour, proférées contre des médias et des politiques marocains ont fait sortir Salaheddine Mezouar de ses gonds. Même après les excuses du journaliste, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération a souligné dans un communiqué, que «porter atteinte de cette façon, dangereuse, contre des citoyens marocains qui assument d'importants rôles» équivaut à «une atteinte contre le Maroc». Le chef de la diplomatie marocaine attribue les accusations du membre des Frères musulmans à la «culture de réduction au silence» à laquelle appartient Mansour. Le président du RNI appelle à une mobilisation pour la défense de «la dignité du Maroc et des Marocains contre cette décadence morale».Mezouar est le premier homme politique et membre du gouvernement à dénoncer les propos de Mansour.