Politique L'AKP, notamment après les 58% de voix récoltées lors du référendum du 12 septembre sur la réforme de la Constitution, est destiné à rester encore des années au pouvoir. «Le PJD turc a tiré grand avantage du passage d'Erdogan à la mairie d'Istanbul. Une popularité que l'AKP a fortement exploitée pour séduire les Turcs et en particulier les milieux d'affaires. Plusieurs des fortunes du pays ont été des candidats du parti lors des élections de 2002 et 2007», reconnaît Abdelali Hamieddine. mohamed jaabouk Les liens qui unissent le Maroc et la Turquie sont multiples. Politiquement, les deux pays ont deux formations politiques qui portent la même appellation : PJD. Le Turc est au pouvoir depuis 2002 alors que le Marocain se complaît dans l'opposition et depuis 1997. L'AKP, notamment après les 58% de voix récoltées lors du référendum du 12 septembre sur la réforme de la Constitution, est destiné à rester encore des années au pouvoir. Le PJD marocain, avec un certain Abdelilah Benkirane à sa tête, s'achemine à occuper des années encore les bancs de l'opposition au Parlement marocain. Et pourtant, la tâche devant les responsables de l'AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) ne s'annonçait guère comme une sinécure. Fondé le 14 août 2001 par des anciens membres du parti Refah de l'ancien Premier ministre Erbakan, ils ont pu convaincre les gardiens de la laïcité, réunis sous la coupole militaire, et les magistrats de la cour constitutionnelle, de leur total respect de la laïcité. Il a réussi là où le Refah et la Fadhilah avaient échoué. Depuis cette date, l'AKP est aux anges. En 2002, il est consacré en tant que première force politique du pays. Abdellah Gul accède provisoirement à la primature, le temps que Erdogan se défasse d'un écueil juridique pour devenir, en 2003, le Premier ministre de la Turquie. Par ailleurs, Erdogan a complètement écarté certaines initiatives d'Erbakan, comme le G8 des pays islamiques ou encore sa défense du dinar islamique. Des gages donnés aux gardiens de la laïcité afin de se conformer à leurs exigences. En 2009, l'AKP récidive et sort vainqueur des élections législatives anticipées de juillet 2007 avec un score de 46,47%. La même année, Abdellah Gul est investi président du pays, faisant de lui le premier président de la Turquie issu d'un parti islamiste. C'est là, justement, le seul point commun entre l'AKP et le PJD de Benkirane. «Le PJD turc a tiré grand avantage du passage d'Erdogan à la mairie d'Istanbul. Une popularité que l'AKP a fortement exploitée pour séduire les Turcs et en particulier les milieux d'affaires. Plusieurs des fortunes du pays ont été des candidats du parti lors des élections de 2002 et 2007», reconnaît Abdelali Hamieddine, membre du secrétariat général du PJD. Des investisseurs qui appartenaient aux deux partis de Shiller et Yalmaz, deux ex-Premiers ministres. Au lendemain des législatives de 2007, la bourse turque a fortement salué la victoire des islamistes avec des indices au vert. Le PJD marocain pourra-t-il réussir le même exploit ? Saâd-Eddine El Othamni, l'ancien SG des islamistes marocains, avait en effet tenté, à la veille du scrutin législatif de 2007, de sceller une alliance balbutiante avec les milieux d'affaires que l'élection de Abdelilah Benkirane avait rendue caduque. Abdelali Hamieddine ne reconnaît pas cette approche, soulignant que «c'est faux. Des messages ont été adressés aux hommes d'affaires de s'éloigner du parti, notamment après la défaite de Lahjouji, le président du parti Forces Citoyennes aux législatives de 2007. Le capital marocain est encore poltron». Outre la question «des messages», notre interlocuteur attribue le succès de l'AKP auprès des hommes d'affaires au règlement interne de la formation turque. «C'est la désignation des candidats du parti par le bureau politique de l'AKP et non pas par les bases du parti. Ce qui n'est pas le cas pour le PJD marocain», déclare Hamieddine. En bon PJDiste, il a omis d'évoquer l'influence du Mouvement unicité et réforme (MUR), que des anciens membres de ce parti qualifient de véritable mur devant l'ouverture du PJD aux hommes d'affaires. Culture Figure du féminisme turc et pionnière de la caricature dans son pays, Ramize Erer, croque depuis plus de dix an s ses contemporains, femmes et hommes dans la complexité de leurs rapports. Caricaturiste vedette du quotidien généraliste stambouliote Radikal, elle signe chaque jour un strip intitulé La mauvaise fille, l'ayant rendu très populaire. Portrait sans détours. Approcher Ramize Erer, revient à renouer avec la lignée des frondeuses : écrivaines, chanteuses, peintres, actrices, réalisatrices, sorties des sentiers battus et qui n'ont pas hésité à s'affranchir de codes moraux dictés par la bienséance de leur époque, de leur pays, de leur société. Chacune de ses caricatures est un effet coup de poing, résumant souvent le poids de la tradition, le machisme ambiant, la somme d'infimes aspects placardés sur la pancarte femme, objet de bien des fantasmes enfouis dans l'inconscient mâle. Il y a en Ramize Erer, une part de Françoise Giroud, journaliste française d'origine turque, fille mère, fondatrice avec Hélène Lazareff, américaine d'origine russe du premier féminin, Elle, dans la France d'après guerre. Une Madonna électrisée, extatique, en robe de mariée qui chantait dans l'Amérique puritaine des années 80 le titre planétaire, «Like a virgin». Une Simone de Beauvoir qui signait en 1949, «Le Deuxième Sexe». Une Djamila Boupacha sûrement, sans conteste, une Virgine Despente lorsqu'elle claque à la face du lecteur, «J'écris du côté des folles, des grosses…» Ramize Erer collabore à ses débuts avec Radikal, quotidien national turc à grand tirage, 65 000 exemplaires, fondé à Istanbul en 1996. Elle y travaille durant douze ans et pensait être renvoyée, suite à la parution de son premier dessin, particulièrement osé, à propos d'une femme. «Un tel dessin, si audacieux, aurait été destiné à un magazine humoristique, je n'aurais imaginé qu'il puisse être publié dans une publication si sérieuse ! Il s'agissait d'une femme que je dessinais les jambes écartées, elle a d'emblée suscité l'intérêt des lecteurs…» Ironie du sort, le dessin en question, s'impose sans mal dans le paysage de la presse turque. «La mauvaise fille», est ensuite publié sous forme de série dans l'hebdomadaire satirique Leman. «Actuellement, l'un des rédacteurs en chef de Radikal, me dit souvent, il faut lui resserrer les jambes, cette image me dérange» (sic). «C'est pourtant un homme intelligent, mais qui préfère voir une image de pureté à travers la femme», lâche-t-elle sans ambages. Rome, décembre 2008. La très irrévérencieuse Ramize est à l'université de la Sapienza, aux côtés des plus talentueux dessinateurs de presse, Plantu (France), Ann Telnaes (Etats-Unis), Dilem (Algérie), Khalil Abu Arafeh (Palestines), Kichka (Israël), Chapatte (Suisse), Stravo (Liban) qui souhaitent mettre en valeur le travail journalistique du dessinateur de presse et favoriser le débat sur les conditions d'exercice et la défense de sa liberté d'expression, dans le cadre de la Fondation Cartooning for Peace. A la voir avec son look de secrétaire à l'issue de la conférence, on aurait presque du mal à croire qu'elle est la caricaturiste au trait incisif : «Les lecteurs m'imaginent entièrement habillée de cuir, et m'associe à une apparence très rock'n'roll, précisément à cause de mes dessins à propos de La mauvaise fille. Ils ne m'imaginent pas avec mes lunettes et mon carré strict et lorsqu'ils me rencontrent pour la première fois, ils me disent très surpris, ah ! C'est toi, Ramize Erer (sic). Contrairement à certaines lectrices, qui affichent la même image que moi, à l'air sage, et qui me déclarent, mais c'est moi que vous avez dessinez !» (sic). Le succès aidant, la caricaturiste turque ne s'arrête pas là, sensible à l'air du temps et aux stambouliotes qui vivent à ses côtés dans la métropole, elle signe ensuite une autre série intitulée «Liaisons dangereuse». Fascination pour la femme ? Besoin d'expression lié à celles qui l'entourent ? Sa démarche est le fruit d'un cheminement. «Quelques temps avant, je dessinais une femme de façon différente, une femme soumise que j'avais appelée, Madame la soumise. Cependant, le personnage principal était l'amie de cette femme, une autre femme très moderne. Madame la soumise, battue par son mari, allait alors en pleurs chercher écoute et réconfort auprès de cette femme moderne. Et à force de demander conseil à son amie, le personnage de Madame la soumise a pris le dessus au sien de cette caricature. Les gens ont manifesté un vif engouement pour les peines de cette femme qui souffrait tant moralement que physiquement. La caricature de La mauvaise fille vivant aux côtés de la femme plus traditionnelle, la série Liaisons dangereuses renvoyaient aux questionnements et aux difficultés auxquels ces femmes étaient confrontées autour de leur mari, leurs enfants, leurs relations avec les hommes pour celle qui n'étaient pas mariées». Soutenue par les rédactions Leman et Radikal, Ramize Erer, jouit d'une incroyable liberté de ton. Tous ces dessins passent quand elles croquent sans complaisance les travers masculins. Pour elle, ce phénomène s'apparente à la consommation et la culture du rire en Turquie : «Les Turcs adorent rirent. Ils se ruinent en magazines satiriques et comiques. Je ne suis pas animée par l'envie de diriger mes coups de crayon contre les hommes, l'acte de dessiner va plus loin pour moi. La caricature a été libératrice, elle m'a appris que je pouvais tout dire à travers mes dessins». Au-delà du rire, une caricature révèle-t-elle indéniablement une vérité ? «Oui, une caricature peut être très violente. A chaque fois que le célèbre caricaturiste turc Cem Yilmaz brocarde les infirmières, le syndicat des infirmières en Turquie lui intente un procès ! Une caricature croque les gens dans leur nudité, sous leur véritable nature. Je détesterais être caricaturée. Quand les colonnes d'un canard adoucissent l'essentiel, la caricature le résume en deux coups de crayon». Elle s'arrête un bref instant et poursuit, en laissant éclater un rire franc : «J'ai d'ailleurs perdu une amie à cause d'une caricature. J'avais dessiné une femme, qui disait à une amie que son mari, qui s'appelait Leman, la trompait dès qu'elle avait le dos tourné. A cette époque mon meilleur ami, qui portait le prénom Leman, en a été, très vexé mais c'est sa femme qui a vraiment été furieuse, elle m'a téléphoné me disant, mais la femme que tu as dessinée, c'est moi ! (sic) Je pense qu'inconsciemment, la personnalité de mon ami m'a inspiré pour ce dessin… ». Echanges commerciaux mohamed mounjid Avec un profil industriel qui donne le tournis, la Turquie est entrée dans la cour des poids lourds par la grande porte. Le pays d'Atatürk, c'est près de 1,5% du PIB mondial. Mieux encore, ses ambitions sont sans limites. A l'horizon 2030, il envisage déjà de s'assurer une place dans le top 10 des grandes puissances économiques mondiales. A voir ces données, une question vient à l'esprit : comment expliquer que le Maroc a-t-il accepté de signer un accord de libre-échange avec ce pays dont le commerce extérieur constitue plus de la moitié du PIB ? «On a misé sur l'espace euro-méditerranéen. D'ailleurs, l'avenir est à l'intégration régionale», nous explique un haut cadre du département du Commerce extérieur. A l'épreuve de la mondialisation, il n y aura plus de place pour ceux qui ne prennent pas son train. D'autant plus que les menaces de la concurrence asiatique, surtout chinoise, sont très sérieuses. Dans ces conditions, l'accord de libre-échange avec la Turquie «facilitera l'entrée des produits marocains sur les marchés de l'Union européenne à travers le mécanisme pan-euroméditerranéen de cumul des règles d'origine», explique-t-on. Ce système d'identification de l'origine des produits échangés est indispensable pour bénéficier d'avantages tarifaires (réduction ou exonération des droits de douane). Objectif : renforcer l'intégration économique entre pays de la même zone préférentielle. Toutefois, on peut se demander dans quels secteurs l'économie turque pourrait nous être bénéfique. Selon le département du Commerce extérieur, la Turquie représente une plateforme stratégique pour le sourcing textile-habillement. Ce pays s'est taillé une position de choix dans tous les sous-secteurs de l'industrie textile de l'amont à l'aval «grâce à une politique de remontée de la filière», selon les experts. «Ainsi, nous pouvons importer du tissu à bon marché en franchise douanière pour le transformer ensuite avant de l'écouler sur le marché européen», nous précise-t-on. Au vu de ces constats, fort est donc de constater que ce pays de haute civilisation possède des avantages plus compétitifs que le Maroc. Le pire, c'est que la configuration industrielle des deux partenaires affiche une grande similarité. Voilà que nous rejoignons notre première interrogation. Résultat : déficit de la balance commerciale. Selon les derniers chiffres fournis par l'Office des changes, les exportations marocaines vers la turquie se sont chiffrées à plus de 121,6 millions de dirhams à fin juillet 2010, au moment où les achats du Maroc en provenance de ce pays se sont établis à 458 millions de dirhams. Pour l'année 2009, les livraisons du Maroc ont porté sur une valeur de 1,4 milliard de dirhams, alors que nos importations se sont élevées à plus de 5,7 milliards de dirhams. En somme, on se retrouve avec un solde déficitaire de l'ordre de 4,3 milliards de dirhams. A noter que nos importations sont constituées essentiellement de fer et d'acier en blooms et ébauches, de fils, de tissus de coton, de fibres synthétiques et artificiels, de réfrigérateurs domestiques, de voitures industrielles et de tracteurs agricoles… Parallèlement, nos ventes portent principalement sur des produits chimiques (acide phosphorique notamment), sur la ferraille, les déchets, les débris de fonte, fer et acier, sur la pâte à papier, sur les tôles et sur les phosphates. Tout cela fait de la Turquie notre 11e fournisseur et 13e client.