Un grand messe pour un enterrement en petite pompe. Ce mot du Parti socialiste est cruel. Mais il résume parfaitement la situation à cinq semaines des élections régionales en France. Il était urgentissime pour Nicolas Sarkozy de calmer le jeu en trouvant une porte de sortie honorable à un débat calamiteux devenu défouloir des pires instincts et menaçant de faire perdre des voix à la majorité présidentielle. Trois mois après son lancement par le ministre de lImmigration Eric Besson, le débat sur lidentité nationale a donc été enterré le 8 janvier par François Fillon, un Premier ministre dautant plus appelé à jouer les pompiers quil na lui-même jamais cru à ce débat. Premier acte de ces funérailles : le grand colloque final en présence de Nicolas Sarkozy sest transformé en «séminaire gouvernemental» dune heure et demie à lhôtel Matignon. La réunion fut moins calme que prévu, une poignée de ministres critiquant Besson sans ménagement. Une trentaine de ministres y assistaient. Quelques uns avaient une bonne excuse pour sen dispenser, tels Martin Hirsch, le haut-commissaire aux Solidarités actives, heureux quun déplacement au Pérou lui permette de continuer à marquer ses distances avec cette affaire! Deuxième acte : noyer léchec dEric Besson sous un tombereau de satisfecit, un grand classique de la langue de bois politique. «Succès populaire», sest auto-congratulé le principal intéressé. Mettant en avant les 350 débats organisés à travers la France et les 750.000 connexions sur le site officiel consacré au sujet, il a juré «tout assumer» dune démarche quil se dit «fier et heureux d'avoir portée». Le Premier ministre a surenchéri, affirmant que «la question de lidentité de la France nétait plus taboue». Calmer le jeu Troisième acte : le même François Fillon a égrené pendant vingt minutes devant la presse une série de mesures symboliques, dont certaines assez désuètes et prêtant à sourire à lheure où les frontières sestompent au profit des grands ensembles régionaux. Elles concernent pour lessentiel lécole où seront «replacés les symboles de la République» (drapeaux hissés, déclaration des droits de lHomme affichée dans les classes, Marseillaise chantée «au moins une fois dans l'année»), où le civisme sera exalté et lautorité des professeurs renforcée (on ignore comment!). Une commission dhistoriens, sociologues, intellectuels et élus sera mise en place auprès dEric Besson - qui a arraché de haute lutte de garder la main sur le sujet - pour suivre l'application de ces mesures. Dans le cadre du contrat d'intégration que les étrangers signent en arrivant en France, l'enseignement du français sera par ailleurs renforcé et légalité hommes-femmes présentée comme une valeur fondamentale Après trois mois de polémique et damalgames parfois nauséabonds, Fillon a donc à la fois calmé le jeu (les débats dans les préfectures sont stoppés, les mesures retenues sont très en deçà des desiderata dEric Besson et celles sujettes à controverse parmi les professeurs, comme l'enseignement des religions à l'école, ont été repoussées) et signifié quil ne cède pas sur le fond, puisque le débat «se poursuivra tout au long du quinquennat». Manuvre électorale Plus grave pour lElysée : cette affaire a marqué un échec politique de Nicolas Sarkozy dont le double calcul sest révélé faux. Alors quil pensait que ce débat allait vampiriser les voix du Front National, il na fait quouvrir la boîte de Pandore des dérapages anti-immigrés et anti-musulmans. Le président français croyait en outre que la gauche éclaterait sur ce problème. Or si celui-ci a parfois mis les socialistes mal à laise, ces derniers ont bien résisté et ne se sont pas divisés, contrairement aux prévisions dEric Besson. Ce nest pas le cas de la majorité : celle-ci sest déchirée, les critiques les plus violentes venant des rangs de lUMP, parfois même du gouvernement. Et de nombreux élus de la majorité redoutent que ce débat ne coûte des voix au camp présidentiel lors des régionales de mars Certes, cette question de «lidentité de la France» relève dune très vieille angoisse française remontant au moins au XIXe siècle. Crise économique aidant, elle est devenue une peur de lextérieur. Mais la manière dont ce débat a été préparé ne pouvait que mener au fiasco actuel. Il na pas seulement été imposé par le haut. Il a été mal préparé, mal organisé, sans finalités précises, sans la moindre rigueur scientifique et sans consultation de ceux, historiens, sociologues, démographes, qui travaillent depuis des années sur le sujet. Nicolas Sarkozy a bien compris quil était urgent de le mettre entre parenthèses. Il évoquera donc le sujet. Mais après les régionales.