L'Observateur du Maroc : Que vous inspire la mise en examen de Nicolas Sarkozy ? Gilles-William Goldnadel : Ce n'est pas la première fois que j'assiste à une mise en examen qui ne me paraisse pas forcément tenir la route. Cela ne me choque pas. En revanche, l'incrimination, elle, me paraît, même si je n'ai pas vu le dossier, un peu légère. Là où je suis davantage dans l'émotion, c'est lorsque cette mise en examen intervient dans un contexte médiatique assourdissant, avec de surcroît une inflation de commentaires. Je me méfie beaucoup de ce mariage obscène entre la justice et les médias. Sur le fond, je suis estomaqué qu'une juge (Claire Thépaut), membre du syndicat de la magistrature, ne se soit pas, dans le contexte du « murs de cons », retirée du dossier. Un juge ne doit pas être soupçonnable. Vous avez le droit de ne pas être satisfait de tomber sur un juge qui n'a pas hésité à afficher sa pensée idéologique. L'idéologie n'a rien à voir avec l'impartialité de la justice. De ce point de vue-là, il est fondé pour Nicolas Sarkozy de se défendre avec des arguments qui sont loin d'êtres échevelés. En tant que justiciable comme un autre, il a le droit de dire ce qu'il pense de l'affaire. Nicolas Sarkozy crie à l'instrumentalisation de la Justice, êtes-vous de son avis ? Bien entendu. La justice est instrumentalisée de façon idéologique. Néanmoins, je ne suis pas d'accord avec sa critique de la garde à vue. Nicolas Sarkozy n'est pas le seul à faire les frais d'une garde à vue qui ne s'imposait pas. Même si ses remarques sont fortes et indiscutables sur la magistrature, Nicolas Sarkozy ne peut pas espérer faire pleurer dans les chaumières. D'une certaine manière, il donne le flanc à la critique. Ce qui reste indéniable en revanche, c'est la part d'idéologie dans les poursuites contre lui. Il dispose d'un boulevard pour le prouver. La juge Thépaut a pris sa décision dans des conditions extravagantes, celles d'écoutes téléphoniques qui ont duré un an. L'accusé fait entendre qu'il est victime d'une vengeance de la part d'une minorité syndiquée dans le corps de la magistrature, faudrait-il que ce corps soit non syndiqué et non politisé pour préserver sa neutralité ? Ce n'est pas une bonne idée qu'un corps comme celui des magistrats soit syndiqué. L'exercice du syndicalisme par le syndicat de la magistrature représente le dévoiement le plus total du syndicalisme, pire encore que ce que fait la CGT. Cela va au-delà au niveau des imbrications idéologiques. C'est une posture totalement invraisemblable. C'est une exception française. Le système judiciaire français est-il en panne ? Il n'est pas douteux de dire que la justice française est totalement paralysée, aussi bien la justice pénale que civile. Avec l'idéologie, on assiste à une judiciarisation et une pénalisation à outrance, ce qui ne fait qu'aggraver le cas de la justice. Est-ce qu'elle est plus mal exercée qu'ailleurs ? J'ai la faiblesse de penser que c'est encore pire en France en raison de l'aspect très idéologique des choses. Cela étant, cela vaut bien mieux qu'une justice totalement corrompue. La corruption chez les magistrats est quelque chose d'extrêmement marginale. Mais ne rêvons pas, la justice est humaine, elle est faillible. Je ne rêve pas d'une justice idéale, mais je suis sûr qu'elle serait perfectible en France si on y mettait moins d'idéologie et si on revenait à une plus stricte application de la règle de droit et de l'équité. Ce mélange entre Justice et politique ne risqueil pas d'entamer la confiance qu'a le citoyen français en la justice et, plus généralement, l'image de la Justice française dans le monde ? Evidemment que oui ! Les Français ont une piètre opinion de leur personnel politique, mais la réalité, c'est qu'ils ont la même piètre opinion de leur personnel judiciaire. C'est sur l'ensemble du système français aujourd'hui qu'un éclairage glauque est porté. Je pointe encore une fois l'idéologie. Si la justice, et la presse par la même occasion, étaient moins idéologiques, forcément nous aurions un personnel politique plus digne de ce nom. Il y a eu une sorte de nivellement par le bas. Par idéologie, je fais référence à une sorte de bouillon un peu insipide hérité de mai 1968. Une sorte de gauchisme dont on a à peine confiance, héritée d'une trentaine d'années d'intoxication. Ce constat fait, quels seraient les remèdes pour faire repartir le système judiciaire français ? Le système judiciaire français s'est encore aggravé lorsqu'on a supprimé le système d'avancement par notation. Maintenant le système marche à l'ancienneté. Auparavant, le meilleur moyen d'être bien noté, c'était d'appliquer la règle de droit. Maintenant juges et magistrats n'ont que faire de ce que pense le corps supérieur. Si on revenait au système de notation, l'idéologie pèserait moins dans la décision de justice. Vous êtes connu pour votre opposition à la réforme Taubira, pour quelles raisons ? Avec la réforme Taubira, on marche sur la tête. La contrainte pénale a remplacé la prison pour les délits allant jusqu'à deux ans d'incarcération. Les tribunaux correctionnels pour mineurs ont été supprimés, ce qui est une pure folie. Je vous promets des lendemains qui pleurent pour les victimes, dans une France où les nombres d'incarcération et d'exécution des décisions de justice sont parmi les plus faibles d'Europe. Je vous assure que la prison a un caractère très dissuasif. C'est quelque chose que ses détracteurs ont du mal à considérer ❚