Nous n'arrivons décidément que difficilement à clore cette série d'articles formant « les Actuelles » et centrée autour du thème de la question de la Palestine, peut-être parce que le problème lui-même, ce qu'on appelle dans les chancelleries et les instances le Proche-Orient, ne finit pas de finir. Bientôt 2010 et rien de concret ni de sérieux ne se profile à l'horizon. Tout reste bloqué, même si de plus en plus partout on veut parler de la solution idéale qui serait l'instauration du fameux système de deux Etats sur le territoire de la Palestine, c'est-à-dire en gros celui légué par la Grande Bretagne qui avait été puissance mandataire dans la région jusqu'en 1947. Avec une distribution des terres très différente. Il est superfétatoire de reprendre ici toutes les phases de l'évolution de la carte depuis l'abandon du plan de partage de la Palestine entre Juifs et Arabes, par la partie arabe, avec la proclamation unilatérale de l'Etat d'Israël le 14 mai 1948. Depuis cette période désastreuse, le monde arabe n'a cessé d'accumuler les défaites, aussi cinglantes les unes que les autres - même en ce qui concerne la guerre menée par le Président égyptien Anouar Sadate en octobre 1973. A chaque fois, une véritable bérézina en remplaçait une autre pour, en définitive, malmener très sérieusement le moral et le mental de l'opinion publique au sein des plus larges masses populaires arabes. Les élites politiques et intellectuelles n'étaient pas exemptes, pour leur part, de sentiments de désarroi, confinant souvent à l'atroce défaitisme démobilisateur. Les Arabes, on dira à partir du début de la décennie soixante-dix, de plus en plus «les Palestiniens» - étaient à terre, mais n'étaient pas encore tout à fait anéantis. Dans une position diplomatiquement fragile et précaire, les Etats arabes ont essayé à chaque fois de sauver les meubles par armistices successifs puis par négociations internationales diverses, de faire en sorte de récupérer les larges territoires conquis par Tsahal, acronyme de mots hébreux signifiant tout simplement «force de défense d'Israël», expression servant à idéaliser l'instrument coercitif militaire, qui en gros ressemble à ce que possèdent tous les pays du monde, à une exception près. Le tournant décisif dans le conflit a été pris lorsque le chef de l'Etat égyptien Anouar Sadate prit la décision spectaculaire de se rendre solennellement à Jérusalem, à la Knesset, pour dire que pour le Caire au moins la donne avait complètement changé. Les accords entre Israël et l'Egypte conclus, sous l'il encourageant des Américains, à Camp David en 1978, puis par le Traité de paix signé à Washington une année plus tard, rendirent les choses irréversibles, ouvrant un chapitre nouveau dans le conflit du Proche-Orient. Cela malgré quelques résistances qui donnaient l'allure d'escarmouches d'arrière-garde, notamment de la part de la Syrie L'U.R.S.S. ayant implosé et le camp socialiste s'étant désintégré, la «cause arabe» se trouva subitement démunie de son soutien historique traditionnel pour ne plus placer tous ses espoirs qu'en des Etats-Unis toujours aussi partiaux par principe puisqu'ils faisaient dogme de leur inconditionnalité dans le soutien à l'Etat sioniste. Les Etats arabes, chacun en propre et collectivement par le truchement de la fantomatique Ligue revenue siéger au Caire après l'intermède tunisois, se résolurent au fil des années à ne plus rien attendre des Nations-Unies où se succédaient en vain résolutions après résolutions sans impact ni effet. En désespoir de cause en quelque sorte et parce que le rapprochement entre l'Egypte et la Jordanie d'une part et Israël d'autre part, est apparu comme ayant été essentiellement le fait de Washington, les Arabes se tournèrent vers les Etats-Unis donnant à croire, franchement ou moins clairement que les clefs de l'issue étaient entre les mains de la Maison blanche, du Congrès et du Département d'Etat outre-Atlantique. Avec la tentation grande de mettre tous leurs ufs dans le même panier - sans trop d'inquiétude du danger d'imprudence ! Nous avons, il y a quelques semaines, dit notre défiance à l'égard de cette stratégie unilatérale tendant à accorder une confiance excessive et abusive à celui qui demeure l'ami déterminé et l'allié résolu de l'Etat hébreu, d'autant qu'aujourd'hui il apparaît que le gouvernement de droite Natanyahou-Lieberman ne fait que marquer des points face au Président Barack Obama et à sa collaboratrice Hillary Clinton. Qu'on songe que la position américaine à propos de l'élargissement des colonies de peuplement en Cisjordanie a fléchi singulièrement cette dernière semaine, puisque nous avons assisté à plus qu'une inflexion de la part des Américains qui ont abandonné leurs conditions premières tout en s'exprimant dans l'équivoque trouble, mais qui reflète au bout du compte leur volonté aujourd'hui d'appuyer leurs amis juifs et de se tenir «vigilants » à l'égard des Palestiniens de l'Autorité. Madame Clinton a beau faire dans la nuance sémantique et rhétorique, à Marrakech ou au Caire, il n'en est pas moins vrai que Washington a prêté l'oreille (indulgente) au rigorisme israélien sur le point crucial des colonies de peuplements israéliennes, tout en appelant avec outrecuidance à la reprise « sans condition » des négociations de paix. Dans le même temps, bien sûr, on s'ingénie à réitérer que l'objectif de l'Administration Obama est, à terme, l'instauration de deux Etats l'un à côté de l'autre en une coexistence pacifique. Ce qui pousse une voix arabe autorisée et responsable (celle de Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe) à saluer «l'approche du président Obama : il a adopté une position logique, constructive et équitabl». Peut-être est-ce là un hommage forcé et un peu trop aimable à l'endroit du concepteur d'une politique pour le moins déséquilibrée à l'égard des deux protagonistes du conflit proche-oriental. En tout cas, il est sûr que le tout dernier «rétropédalage de l'Amérique», selon l'expression d'un leader palestinien, qui est le résultat de l'intransigeance israélienne, est une fort mauvaise nouvelle pour les négociations dont la reprise devient plus que jamais compromise. Les Américains ne comptent pas pour beaucoup les réactions que pourrait véritablement avoir une Autorité palestinienne considérée comme docile in fine et à laquelle on permet par commisération quelques phrases polies même si crispées de dépit et de désappointement. Fondamentalement, le plus important serait qu'Israël puisse considérer que son intérêt immédiat reste sauvegardé et que son objectif final soit garanti - as usual Les Palestiniens finiront toujours, ainsi qu'ils le font depuis trente années, par s'incliner devant la réalité définie par l'inflexibilité des dirigeants israéliens, autant de gauche que de droite. Le dialogue entre les deux parties ne peut tout compte fait que se résumer en une simple formule : accompagner Israël sur la voie de la réussite totale du plan imaginé naguère par Theodore Herzl et peaufiné par les épigones du sionisme. Le rêve caressé par les gouvernants actuels à Jérusalem est de pouvoir jouer les finisseurs et couronner le grand uvre dans les délais les plus brefs en gravant dans le marbre l'édifice de l'Etat souverain israélien. Ce projet ne peut trouver à l'évidence son achèvement ultime qu'en ayant eu raison de «la difficulté palestinienne», d'une manière ou d'une autre. Amère conclusion, mais qu'y faire ? Le tropisme israélien des Etats-Unis est trop bien installé, malheureusement et sûrement, pour encore longtemps. Les promesses de Barack Obama resteront lénifiantes et senza avenire pour longtemps encore - en tout cas, il ne faut rien espérer avant la fin du premier mandat et même peut-être du second, s'il pouvait y en avoir un. Alors, que faire ?!