L'affaire a éclaté après la saisie d'une cinquantaine de comprimés abortifs interdits, trouvés en possession d'une femme. Cette découverte a aussitôt déclenché une enquête approfondie, menée par les services de police de Fès, et qui a permis l'identification et l'arrestation de huit suspects. Parmi eux, une infirmière opérant dans un centre de santé local, accusée d'avoir utilisé ces substances pour effectuer des avortements, ainsi qu'un herboriste qui était en possession de produits prohibés. La perquisition effectuée au domicile de la première prévenue a révélé des preuves accablantes : matériel gynécologique, certificats médicaux, échographies, des sommes d'argent soupçonnées de provenir de ces activités illicites en plus des comprimés qu'elle fournissait à l'infirmière et à l'herboriste. Présentés au parquet, deux des suspects ont été placés en détention provisoire tandis que les six autres sont poursuivis en liberté conditionnelle, dans l'attente des résultats de l'enquête. Toujours en cours, cette dernière vise à démanteler l'ensemble du réseau et à identifier d'autres éventuels complices. 800 avortements par jour Cette nouvelle affaire relance le débat sur le droit à l'avortement et dépénalisation pour couper le chemin aux réseaux d'avortement clandestin. Les enjeux sanitaires, sociaux et juridiques illustrent les limites d'un cadre légal incriminant qui pousse de nombreuses femmes à recourir à des pratiques clandestines hautement risquées. Pour rappel, au Maroc, entre 500 et 800 avortements sont pratiquées tous les jours dans l'illégalité. Une situation qui met en danger la vie de milliers de filles et de femmes obligées de se faire avorter dans la clandestinité et dans des conditions désastreuses. Le responsable de ce drame qui se renouvelle au quotidien ? Les activistes féministes pointent du doigt une interdiction légale anachronique qui ne suit nullement l'évolution de la société marocaine. « Si l'avortement médicalisé est réglementé, nous allons éviter de générer des phénomènes sociaux annexes tels les mères célibataires, les enfants de la rue, les bébés abandonnés, les bébés vendus ou jetés dans les poubelles. Maintenir ce type de loi en flagrant décalage avec la réalité sociale est une manière de se voiler la face », déplore Bouchra Abdou directrice de l'ATEC (Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté) en défendant le droit de disposer de son corps. Un droit qui devrait sauver les vies fauchées par un trafic inhumain profitant de leur vulnérabilité. Tragédies Sans autre recours, de nombreuses femmes et filles se tournent vers des prestataires clandestins pour mettre fin à une grossesse non désirée dans des conditions désastreuses. Meriem, 14 ans et morte lors d'un avortement clandestin à Midelt en 2023. Quelques mois après, une autre jeune femme succombe à Inezgane Ait Melloul, entre les mains d'une guérisseuse. Des cas parmi des centaines de femmes confrontées, sans défense, à une loi incriminante et une société sans tolérance pour les mères célibataires. « La fille d'Inezgane et avant elle Meriem et bien d'autres femmes ont perdu leur vie, ont souffert de graves séquelles suite à des avortements clandestins à cause d'une loi inadaptée et incapable de suivre l'évolution de la société marocaine », dénonce la Fédération des ligues des droits des femmes dans un communiqué réclamant le droit et la liberté de choix des femmes. « Des drames qui sont pourtant évitables si la loi marocaine n'incrimine pas l'avortement », s'insurge la FLDF. La fédération rappelle que la décision d'avorter est une affaire personnelle qui peut être motivée par plusieurs raisons mais qui peut sauver des vies et éviter des destins tragiques si toutefois l'avortement est pratiqué « en toute légalité et dans des conditions médicales convenables et dans le respect du libre arbitre des femmes concernant leur corps », insiste la fédération. Article 490, encore et toujours Au-delà du droit à un avortement médicalisé sécurisé, les activistes féministes remontent à « la source du mal » et renouvellent leurs doléances par rapport au respect des libertés individuelles. « Une réforme du Code pénal s'impose en urgence avec une reconsidération des libertés individuelles, la dépénalisation des relations hors mariage tout en garantissant l'égalité entre les sexes et le respect de la dignité des femmes », renchérit Bouchra Abdou. Un débat épineux qui met l'article 490 du code pénal au centre de la problématique. Incriminant les relations hors mariage, il constitue l'un des obstacles majeurs à la légalisation de l'avortement. «On n'arrête pas de réclamer par tous les moyens légaux possibles l'abolition des ces lois moyenâgeuses », proclame Narjiss Benaazzou, présidente du Collectif 490, au lendemain de la mort de Meriem. Le collectif Hors la loi dénonce par ailleurs des lois limitant l'accès à la justice. « Elles sont nombreuses les victimes qui n'osent pas dénoncer leurs violeurs. Selon l'article 490, la victime d'un viol risque elle-même d'être poursuivie en justice pour relations sexuelles hors mariage », déplore la présidente du collectif 490. L'article controversé stipule en effet que sont passibles «d'emprisonnement d'un mois à un an toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles». Le collectif Hors la loi, a déjà adressé une lettre ouverte, fin 2021, au ministre de la justice Abdellatif Ouahbi pour l'abrogation définitive de cet article « pour mettre fin à l'hypocrisie régnante, fruit du décalage entre la société marocaine actuelle et la justice qui la régit » réclame le collectif. Changement au ralenti Exprimant sa frustration face à la lenteur du changement législatif, le mouvement HIYA s'insurge, de son côté, contre les conséquences dramatiques des lois restrictives sur la santé des femmes. « En particulier la pratique généralisée des avortements clandestins et dangereux, qui coûtent des milliers de vies chaque année », note le mouvement Hiya qui regroupe plusieurs associations des droits des femmes et de l'Homme. Se joignant aux autres activistes féministes, HIYA réclame de mettre fin en urgence à la « discrimination légale et promouvoir l'égalité pour tous les citoyens, indépendamment du genre » en appelant à l'abrogation de l'article 490. Nullement satisfait des « progrès réalisés », comme l'examen par le gouvernement d'une nouvelle loi autorisant l'avortement dans certaines circonstances, les activistes De Hiya estiment que cette réforme est insuffisante et appellent à des changements plus larges, plus profonds et plus inclusifs pour protéger les droits des femmes. Pour l'ATEC, la loi doit impérativement respecter le droit à l'avortement et le libre choix des femmes pour arrêter l'hémorragie. « Ceci doit être valable que ça soit dans le cadre de relations officielles ou celles hors mariage, dans une approche profondément humaine. L'important c'est de préserver la santé de la femme qu'elle soit physique ou mentale tout en protégeant son droit à la vie », conclut Bouchra Abdou.