Présent dans l'environnement, souvent utilisé dans les industries de peintures, de batteries et de produits domestiques et même dans des jouets, le plomb guette en silence. « Hautement toxique et extrêmement dangereux pour la santé humaine, c'est un métal lourd qui est classé par l'OMS parmi les dix premiers produits toxiques pour l'organisme. C'est un métal qui n'a pas de seuil. C'est-à-dire qu'il ne doit absolument pas être présent dans l'organisme humain », nous explique Dr Naima Ghalem, médecin pharmaco-toxicologue et présidente de l'Association marocaine de santé environnementale et de toxicovigilance (Asmetox). Populations vulnérables Toxique, l'impact du plomb est plus néfaste chez la femme enceinte et l'enfant, qui est particulièrement vulnérable face à ce danger silencieux. « L'intoxication au plomb ou le saturnisme peut avoir des conséquences graves pour la santé, surtout chez les femmes enceintes et les enfants. Ces derniers sont particulièrement vulnérables car leurs cerveaux et leur système nerveux sont toujours en développement. Ce qui les rend plus sensibles aux effets toxiques du plomb » affirme la toxicologue. D'après cette dernière, même de faibles niveaux d'exposition peuvent entraîner des retards de développement, des troubles de l'apprentissage et du comportement ou encore des problèmes cognitifs. Plus de 600.000 cas de retard intellectuel sont recensés chaque année. « Le plomb va se fixer au niveau des cellules nerveuses et du tissu adipeux du système nerveux et entrainera un retard mental aux pires des cas mais peut aussi causer un retard scolaire, des troubles et des comportements sociaux anormaux chez l'enfant telles l'agressivité », détaille la spécialiste. Chez les adultes, l'exposition au plomb serait à l'origine de plus de 850.000 décès annuellement. Les enfants, victimes particulièrement vulnérables au plomb Il peut entrainer des troubles cardiovasculaires, des dommages rénaux et des troubles de la reproduction. « Ou encore des troubles neurologiques qui peuvent causer des paralysies ou autres dommages irréversibles au cerveau ou au système nerveux. » alerte Dr Naima Ghalem qui a déjà réalisé, en 2017, un rapport intitulé « Le plomb dans les peintures à base de solvant pour usage domestique au Maroc ». Une étude élaborée par la spécialiste relevant alors de la Société marocaine de toxicologie clinique et analytique (SMTCA), dans le cadre du projet d'«Elimination de la Peinture au Plomb en Afrique », soutenu par le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) et exécuté par l'IPEN. Résultats alarmants Révélant des résultats surprenants et surtout inquiétants, cette étude a montré que treize des 33 peintures à base de solvants analysées (soit 39%) étaient des peintures au plomb, c'est-à-dire qu'elles contenaient des concentrations en plomb supérieures à 90 ppm (la norme nationale). Six peintures (18% des peintures) contenaient des concentrations de plomb dangereusement élevées qui ont atteint 10.000 ppm ou plus. Huit des 16 marques analysées (50% des marques de peinture) vendaient au moins une peinture à la concentration de plomb supérieure à la norme (90 ppm). En outre, 5 des 16 marques analysées (31%) vendaient au moins une peinture au plomb avec des concentrations de plomb dangereusement élevées à 10.000 ppm ou plus. Les peintures jaunes étaient les plus dangereuses avec cinq peintures sur huit (63% des jaunes) contenant des concentrations de plomb supérieures à 10 000 ppm et une peinture verte sur deux (50% des peintures vertes) contenait également des concentrations dangereusement élevées. La plus grande concentration de plomb détectée était de 140.000 ppm dans une peinture jaune vendue pour usage domestique. Inquiétant ? Certes, les différentes alertes émises par le Centre antipoison marocain l'affirment. La situation aurait-elle changé depuis 2017, la date de réalisation de cette étude ? « Il y a eu des actions qui ont été menées par l'Etat notamment l'instauration en 2020, de la norme NM 03.3.318 qui réglemente la teneur en plomb dans les peintures en la limitant à 90 ppm. C'est la norme la plus restrictive qui est recommandée par l'OMS et adoptée par la majorité des pays », explique la présidente de l'Asmetox. Contrôle Cette dernière a par ailleurs joint ses efforts à ceux du Ministère de la santé (Centre Anti Poison et de Pharmacovigilance) pour réclamer auprès du Ministère de l'Industrie, l'instauration obligatoire de cette norme dans l'industrie de la peinture au Maroc. Un arrêté du ministère a été ainsi émis en 2021 pour rendre la NM 03.3.318 obligatoire. « Selon les études scientifiques, le plomb peut exister d'une manière naturelle dans l'environnement. Il peut contaminer les peintures même s'il n'est pas délibérément utilisé par les industriels. 90 ppm est de ce fait, une quantité minime tolérable qui a été « adoptée » pour ne pas pénaliser les industriels mais sans toutefois nuire à la santé humaine », précise Dr Ghalem. « Mais ce qui nous inquiète actuellement c'est le respect effectif de cette norme et le taux de son application. Le ministère de l'Industrie devrait trouver les outils adéquats pour procéder à un contrôle multi-niveaux : Matières premières importées, production, distribution, commercialisation », énumère la toxicologue. Cette dernière insiste par ailleurs sur l'application stricte de la réglementation, la sensibilisation des citoyens et des industriels aux dangers du saturnisme et la prévention pour éliminer définitivement la peinture au plomb au Maroc et protéger les populations à risque de ce tueur silencieux.