Hakim Arif Il a fallu deux tours pour départager les concurrents. C'est que la bataille a été dure et que les enjeux sont d'une extrême importance. Mohamed Cheikh Biadillah, le secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM) avait promis, dans le cas où il serait élu, de revoir la place de la deuxième Chambre dans le processus législatif marocain. Sa personnalité et le parti auquel il appartient peuvent le permettre. Surtout que M. C. Biadillah a pu s'imposer à la majorité et pousser le chef de celle-ci, le Premier ministre, à faire campagne pour lui. Mais bien sûr la première victime de cette bataille politique est le président sortant lui-même. Maâti Benkaddour a été sévère dans ses commentaires envers le chef de la majorité Abbas El Fassi. Pour lui, le Premier ministre devait défendre le candidat de sa majorité. Ce qu'apparemment il n'a pas fait en incitant les conseillers de la majorité à soutenir Biadillah. Avant l'élection, Benkaddour a, dans sa plaidoirie, prévenu que si le PM et la majorité ne le soutenaient pas, «la majorité aura perdu son gouvernement». Au sein de son parti, il y en a qui pensent la même chose, mais pas tous. Ainsi, Mohamed Aujjar qualifiait l'élection de «phase de vérité» précisant que le Premier ministre «doit assumer sa responsabilité». Le RNI étant attaché à la candidature de Maâti Benkaddour. Difficile à croire d'autant plus que l'élection a nécessité tout de même un deuxième tour. Au premier, Cheikh Biadillah a obtenu 133 voix contre seulement 111 pour son rival du RNI. Or quand on est candidat de la majorité on doit être sûr du résultat. Ce qui explique bien que des voix de cette majorité se sont évanouies dans la nature alors que d'autres se sont reportées sur le candidat de l'opposition. Il y a là de quoi être étonné. C'est une expérience qui explique à l'heure actuelle qu'il n'y a ni majorité ni opposition et que le tableau n'est pas clair du tout, commente un Conseiller de la majorité. Le point de vue est plus analytique chez le politologue Nadir Moumni qui, néanmoins, pense que le scénario de Biadillah était le plus probable du fait d'un ensemble d'événements. D'abord, Maâti Benkadour était déjà au fait que certaines composantes de la majorité, dont le Mouvement populaire, n'allaient pas voter pour lui. L'entrée de cette formation au gouvernement, bien que plus significative qu'effective, a agi dans le sens que veut le PAM. Par ailleurs, ajoute N. Moumni, Le Premier ministre lui-même avait fait campagne pour Biadillah. Il n'avait d'ailleurs pas le choix, il était cerné. Le PAM a gagné à toutes les élections qui se sont déroulées depuis le 12 juin et continue à recevoir des élus d'autres partis. Ensuite, il y a le changement à la tête du RNI. Les nouveaux maîtres sont des amis du PAM qui ont largement contesté la gestion de leur parti qui a eu pour conséquence un échec aux élections du renouvellement du tiers de la deuxième Chambre. Résultat, une nouvelle donne. Le problème se pose quand on veut savoir si la configuration actuelle à la deuxième Chambre est transposable à la première. On ne peut concevoir que les alliés de la première soient les ennemis de la deuxième. Selon Nadir Moumni, cela n'est pas automatique. M. C. Biadillah a bénéficié d'une alliance ad hoc qui peut ne pas se retrouver lors des votes sur des projets de lois présentés au parlement. En tout cas, rien n'est à présent sûr. Il faut surtout attendre pour voir. Car théoriquement, le gouvernement de Abbas El Fassi ne devrait pas durer. A moins qu'il y ait une entente avec le PAM et dont le premier terme a été respecté par une partie puisque la majorité a voté pour le PAM. Le second terme serait que le PAM laisse le gouvernement en paix jusqu'à la fin de son mandat en 2012. Il se peut qu'une certaine cohabitation s'installe. Nous sommes, mathématiquement parlant, en présence d'une cohabitation particulière. Le gouvernement n'a plus qu'un pied, mais il sait que même celui qui lui reste ne peut bouger sans l'accord du PAM. Abbas El Fassi La fin est-elle proche ? Mohamed Semlali Quand l'opposition prend le pouvoir au Parlement, le gouvernement est purement et simplement renversé. C'est l'un des principes basiques dans les sciences politiques modernes. Ce principe semble ne pas être pris en considération par l'actuel chef de gouvernement que la prise de la Chambre des Conseillers par l'opposition n'inquiète pas outre mesure. L'un des dirigeants du parti de l'Istiqlal, Saâd Alami qui est également ministre chargé des Relations avec le Parlement, a loué en direct à la télévision les qualités intrinsèques du secrétaire général du PAM et affirmé qu'il était sûr que celui-ci allait réussir la mission qui était la sienne. Le parti de l'Istiqlal aurait-t-il oublié que le PAM justement est le principal parti d'opposition au gouvernement que dirige Abbas El Fassi, son secrétaire général ? Etait-il conscient de la symbolique de la victoire de Biadillah ? Connaît-il vraiment létendue des pouvoirs de la deuxième Chambre qui sont pratiquement ceux de la Chambre des Représentants ? A priori, on peut répondre par l'affirmative à toutes ces questions, puisque tout dans le comportement du parti de l'Istiqlal, qui constitue la colonne vertébrale de l'équipe gouvernementale, confirme que ses dirigeants ne sont conscients ni de la gravité de la situation ni de la crise dans laquelle se trouve empêtré le gouvernement. On peut rappeler quelques évidences d'abord. Dans l'échafaudage constitutionnel marocain, la Chambre des Conseillers occupe une place quasi similaire à celle de la Chambre des Représentant. Ce qui veut dire par exemple que si la prochaine loi de finances se trouve bloquée dans l'hémicycle que préside Biadillah, le Maroc serait projeté de facto dans une crise inextricable, d'autant plus que la deuxième Chambre a dans ses attributions le pouvoir de voter une motion de censure et donc de faire tomber le gouvernement. Cela revient à dire que si l'opposition contrôle la deuxième Chambre (ce qui est le cas aujourd'hui), c'en est fini du gouvernement. Donc, et afin de respecter l'ordre des choses, Abbas El Fassi devrait remettre son tablier pour éviter une éventuelle paralysie des institutions du pays. Le problème se pose aussi pour le PAM qui, s'il veut être fidèle à sa position de juin dernier, devrait tout tenter pour faire tomber l'équipe d'El Fassi, d'autant plus qu'il en a aujourd'hui les moyens. Les dirigeants du PAM, quand ils ont promis au gouvernement damnation et enfer à la veille des élections communales du 12 juin, les Marocains les ont crus et ont du coup voté pour eux. Maintenant qu'ils en ont les moyens, on peut s'attendre à du changement. L'acte de décès des partis Rajae Oumalek A la sortie de la réunion des partis de la majorité, seul Benkaddour, président sortant de la deuxième chambre et candidat à sa propre succession, voulait bien continuer à y croire. Assez rapidement l'unanimité s'est dégagée pour soutenir sa candidature au nom de la majorité, ce qui aurait réglé le problème, puisque la coalition gouvernementale est majoritaire au sein de la Chambre haute. Mais tous les partis ont annoncé qu'ils avaient des difficultés pour «tenir» leurs élus et que donc des voix manqueraient à l'appel. Et effectivement dès le premier tour, dans les 131 voix qui se sont portées sur Mohamed Cheikh Biadillah, la moitié appartenait aux partis de la majorité. Une dizaine d'autres voleront au secours de la victoire lors du second tour. La messe est dite ! La deuxième Chambre sera donc dirigée par un parti d'opposition. C'est un cas de figure prévu par les Institutions, cette cohabitation ayant déjà eu lieu lors des deux premières années du gouvernement Youssoufi. Cela changera-t-il quelque chose ? Pas nécessairement. L'on sait que la pratique institutionnelle au Maroc veut que l'initiative des changements de coalitions gouvernementales appartienne au Palais et non au Parlement. Seulement, le PAM constituera un opposant-partenaire de choix qui fructifiera sa position pour mieux préparer 2012. Il négociera son appui aux projets de loi les plus importants par le biais d'amendements multiples. C'est à la limite, une bonne nouvelle pour le travail parlementaire que la deuxième Chambre soit plus animée. Les partis constituant la majorité, l'Istiqlal en tête, sortent totalement discrédités par cette élection. Ils reconnaissent officiellement qu'ils n'ont aucune emprise sur ceux qui se sont présentés en leur nom. Pourtant, il s'agit là de «sage», c'est-à-dire d'élus à travers tout un marathon et qui ont, en principe, un réel enracinement partisan. La démonstration est faite que si le PAM voulait vider ces partis de leurs élus, il le ferait sans encombre. En abdiquant devant les notables, les structures partisanes ont vidé la politique de sa substance : l'engagement. C'est leur drame et celui du débat public et, in fine, celui de la construction démocratique. Sans engagement, la politique n'est plus qu'un commerce de mercenaires. Le PAM réussira-t-il à relever le défi ?