Entre le Maroc et la France, il n'y a pas de quête de rente mémorielle, le protectorat n'ayant duré que 50 ans, alors que les relations entre les deux pays sont séculaires. Nos deux pays ont en commun des relations historiques, culturelles, humaines, économiques, politiques, d'une densité extraordinaire. Les difficultés actuelles, importantes, mais qu'on espère passagères, ne peuvent induire ni désintérêt, ni, pire, réjouissance de notre part vis-à-vis de ce qui se passe en France. Les émeutes sont traumatisantes, préjudiciables, regrettables, la mort d'un mineur au cours de ces émeutes est grave. La France a raté, de manière gravissime, sa politique migratoire, c'est un fait indéniable. Il y a bien sûr l'approche économiciste qui consiste à mettre en avant le taux de chômage, la pauvreté, la violence, en milieu d'origine immigrée. Tout cela est vrai, mais si la politique de la ville a échoué, malgré les milliards dépensés, c'est parce que le problème est plus profond, il concerne ce que l'on met derrière le mot assimilation. Devenir Français devrait signifier abjurer son identité, adopter tous les codes d'une société française fantasmée, car elle est de fait multiculturelle. C'est juste impossible, d'autant plus que la politique du logement a ghettoïsé les Français issus de l'immigration. C'est une contradiction énorme que d'assigner les gens, socialement, en fonction de leur identité et de leur demander de l'abandonner pour s'assimiler à la France. Il faut le rappeler encore, il s'agit bien de Français nés en France, grandis en France, qui ont fait l'école française. Attaquer les gens sur leur identité, les ramener à celle-ci est le meilleur moyen de les radicaliser dans la revendication de cette identité. Les Anglo-Saxons ont une démarche beaucoup plus réaliste. Certains intellectuels français fustigent même cette approche en la traitant de communautariste. Les USA ont été construits par des populations européennes et américaines très diverses, autour d'un rêve commun et sont devenus la puissance que l'on connaît. Les Irlandais ont gardé leur musique, les Allemands leur rigueur luthérienne, etc. Le cadre fixé est légal, il impose des règles de droit, pas des injonctions culturelles. Au lieu des discours discriminants sur l'aspect vestimentaire, il vaut mieux s'attacher à un deal permanent qui consisterait en une phrase : le pays t'offre des opportunités, à toi de les saisir pour produire, créer, t'émanciper par ton travail, ton talent; pour le reste tu es libre. En refusant cette logique, la France a créé, de manière artificielle, un drame identitaire et s'y embourbe. Les débats sur l'Islam sont inconvenants, souvent ridiculement ignorants, mais n'ont surtout aucune portée opératoire. C'est un Français, Albert Camus, qui a écrit : «Entre la justice et ma mère, j'ai choisi ma mère». Attaquer les gens sur leur identité, les ramener à celle-ci est le meilleur moyen de les radicaliser dans la revendication de cette identité. Cette option prive un pays de talents qui peuvent lui apporter beaucoup s'ils en avaient l'opportunité et s'ils étaient débarrassés d'une quête identitaire qui n'a pas lieu d'être. Pour être Français, il faut respecter les lois, payer ses impôts, point barre. Une fois que les politiques françaises se rallient à cet axiome, il n'y aura pas d'émeutes ethnicisées.