L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Il y a quelques jours, les prix des carburants ont augmenté encore, au moment où on s'attendait à une baisse. Comment expliquer cette situation ? Mostafa Labrak : Les prix des carburants ont connu une hausse cette semaine en raison de l'augmentation du prix du baril sur le marché mondial. La baisse constatée lors des deux dernières semaines, était due, quant à elle, à l'apaisement du marché à l'international, le prix du baril a baissé puis s'est stabilisé avant de repartir à la hausse. Le Maroc importe ses besoins pétroliers et donc subit l'évolution de la tendance mondiale. La reprise a été annoncée depuis un certain temps et le prix du baril n'a pas baissé au dessous de la barre des 100 dollars. Nous vivons actuellement la même situation vécue il y a près d'un mois. Cette flambée est normale vu les changements que connait le secteur et cette tendance va s'accentuer encore plus dans le futur. D'un autre côté, l'Europe importe 20% du pétrole russe. Un embargo progressif de l'Union européenne sur le pétrole et les produits pétroliers russes pourrait faire augmenter les prix des carburants avec le changement des sources d'approvisionnement. De quoi renforcer l'incertitude et les tensions sur des marchés où le Maroc s'approvisionne aussi. Une demande plus importante chez les fournisseurs implique donc un renchérissement très important des cours. Mais, l'inquiétude réside dans le fait de rentrer dans une période de récession marquée par une forte inflation qui pourrait être dévastatrice pour certaines économies avec des fermetures d'usines et pertes d'emplois. En gros, j'estime que 2023 sera pire que 2022. Autre facteur à ne pas négliger : les américains ont augmenté leur taux d'intérêt de 0,5%. Résultat : le dollar va être plus cher. Et le Maroc achète à un dollar qui dépasse les 10 DH et se retrouve alors entre le marteau et l'enclume. Face à une demande plus importante, pourquoi, a votre avis, les membres du groupe de producteurs de pétrole Opec+ n'augmentent-ils pas l'offre sur le marché pour faire baisser les prix? La menace d'un embargo sur le pétrole russe pourrait entraîner une forte compression de l'offre. Et les principaux exportateurs de pétrole du monde ont certes le pouvoir de faire baisser les prix en mettant davantage de pétrole sur le marché. S'ils ne le font pas aujourd'hui c'est pour deux raisons principales. D'abord, les producteurs veulent tirer profit de la situation actuelle pour compenser les pertes subies au cours des deux dernières années en raison de la crise sanitaire et l'effondrement de la demande. La reprise de la demande a été très forte. Et certains pays producteurs n'ont pas repris la production tels que le Libye, l'Iran...Ensuite, a mon avis, il y a un problème de capacités de production. Je pense que les grands exportateurs mondiaux du pétrole sont à bout de leurs capacités parce qu'ils n'ont pas investi suffisamment pour mettre en place de nouvelles installations pétrolières capables de répondre à une demande de plus en plus croissante. Investir, requiert du temps et de l'argent. Et aujourd'hui, on se rend compte que les capacités actuelles sont insuffisantes. Pensez-vous que la réduction des taxes sur les carburants pourrait être une solution ? Je pense qu'une baisse des taxes sur les carburants n'est pas envisageable pour le moment. Un soutien a été octroyé aux transporteurs pour alléger les effets de la hausse des prix des carburants. Mais, il faut dire que le gouvernement fait face à une conjoncture très difficile. S'il opte pour une révision à la baisse des taxes, les pertes pour l'Etat seront significatives. De plus, un tel sacrifice pourrait être mal perçu à l'international. Le pays est bien noté par les agences de notation internationales. S'il baisse les taxes, il aura du mal à emprunter pour ses projets d'investissements. A moins qu'il y a un conflit social ingérable, le gouvernement préfère actuellement ne pas aller dans ce sens. Les pétroliers e pourraient-ils pas réduire leurs marges? Cette question est très problématique. Les pétroliers achètent à l'international le gasoil à 1230 dollars la tonne avec un dollar estimé à près de 10 DH, soit l'équivalent de plus de 12 DH le litre sans ajouter le coût du fret et les autres charges. Donc, si on ajoute 2,4 DH de la TIC, le prix atteint déjà 14,4 DH le litre. Aujourd'hui, si le prix affiché avoisine les 14,1 DH, c'est parce que les pétroliers mélangent le stock actuel avec celui de la quinzaine d'avant acheté moins cher. Seules les taxes représentent entre 3,7 et 4 DH des prix actuels. Nous sommes alors dans une situation où les pétroliers perdent de l'argent d'une quinzaine à l'autre au moment où le secteur emploie plus de 100.000 personnes et les acteurs font face à des charges fixes et variables très importantes. Si les prix ont été augmentés cette semaine de 50 à 60 centimes, c'est que les professionnels n'en peuvent plus. Il faut comprendre que les temps sont durs aujourd'hui pour les pétroliers, et on continue à les accuser à tort d'engranger des profits de la situation actuelle. Bio Mostafa Labrak: Labrak compte à son actif plus de 30 ans d'expérience dans le secteur de l'énergie et des carburants. Avant de créer son propre cabinet de consulting, Inergysium, il était directeur des opérations au sein de Libya Oil Maroc. En avril dernier, il a été nommé secrétaire général de la fédération marocaine de l'énergie.