Tout commence par une vocation, motivée par un sentiment altruiste mais aussi par une littérature faisant de l'un ou l'autre de ces métiers, les pourvoyeurs d'un réconfort à la chaîne et d'un travail de fond. Fiction ou réalité ? La question subsiste et se pose avec certainement plus d'acuité ici qu'ailleurs. Et pour cause, l'idée générale veut que l'on aille chez le «psy» non pas pour parler avec quelqu'un de neutre et d'objectif, mais plutôt parce que l'on commence à divaguer. Un cliché cinglant auquel se heurtent jusqu'à présent patients et professionnels. «Bien que cela n'ait absolument rien à voir, les personnes ont toujours tendance à assimiler les troubles psychiques à une forme de folie» nous dit Mohssine Benzakour, enseignant en psychologie sociale à l'université d'El Jadida. Une telle comparaison donne forcément lieu à des complexes freinant par la suite toute velléité de confier ses maux ou ses troubles à un individu pourtant tout désigné pour les entendre. Même si quelques changements tendent à se préciser, on est encore bien loin d'un scénario social où les individus pourraient consulter selon leur bon vouloir et sans encourir les airs condescendants de leurs proches. Un métier à part «Aller voir un psychologue ou un psychanalyste n'est pas vraiment intégré par l'acceptation collective dans la mesure où nous restons fortement concurrencés par tout ce qui est thérapeutes traditionnels (fkihs, voyants, exorcistes ). En raison de certaines croyances fondamentales et autres représentations symboliques, il est plus fréquent de faire appel à un marabout qu'à un professionnel. C'est là une manière de lier son mal être à des causes surnaturelles et donc forcément indépendantes de soi» explique Hakima Lebbar, psychanalyste. Mettre tous ses problèmes sur le compte d'un esprit «malfaisant» est beaucoup plus aisé, voire concevable, que de reconnaître sa part de responsabilité ou celle de ses proches. Indépendamment des réticences qu'elles occasionnent, ces professions font l'objet de nombreux clichés de la part du public. «On entend très souvent dire que mis à part poser des questions, les psychologues ne servent à rien, où encore qu'ils se contentent d'écouter sans réellement apporter de solutions aux patients qui viennent les voir» rapporte M. Benzakour. Autant de conceptions erronées qui minent leur travail et alimentent les avis négatifs des uns et des autres. «Les gens ont tendance à oublier que le rôle d'un psychologue n'est pas de donner des solutions, mais de soutenir son patient et de l'accompagner dans son épreuve jusqu'à ce qu'il la surmonte, et là encore les résultats ne peuvent pas toujours être garantis de manière absolue, dans la mesure où chaque être humain diffère de l'autre par son caractère, ses expériences et son environnement» précise Si Mostafa Ettajami, psychologue clinicien. Encore un autre aspect des choses qui fait office de repoussoir aux yeux du profane. Celui-ci ne comprend pas comment il peut y avoir rétablissement sans médicaments, conseils, ni même incantations religieuses! Tout est une question d'écoute justement et de ce que l'on nomme dans le jargon «la neutralité bienveillante», une attitude qui consiste à instaurer un rapport de confiance avec la personne atteinte de trouble et à ne formuler aucun jugement susceptible de la bloquer dans son élan ou de la gêner dans ses confessions. «Le praticien ne doit rien montrer, ne doit pas donner son avis personnel sur les propos de son client, il doit uniquement l'aider à mettre le doigt sur ce qui ne va pas, et le conduire progressivement vers le chemin de la guérison grâce à des méthodes spécifiques» précise Hakima Lebbar. Questions de moyens La vie d'un «médecin de l'âme» au Maroc diverge fortement de celle de son homologue européen ou américain. Les trois disposent du même divan, ont usés leurs yeux sur les mêmes ouvrages, mais entretiennent des rapports différents avec la société. Là où le premier essaie encore de justifier l'intérêt de ses méthodes, les deux derniers ne prêchent eux que de fervents convaincus Résultats : des revenus sensiblement différents d'une rive à l'autre de l'océan. «Ceux d'entre nous qui travaillent dans des hôpitaux publics voient leurs salaires soumis à un système de quotas, pour les autres tout dépend de la réputation qu'ils ont réussi à bâtir» dit Mohamed Benzakour. Dépendant de leurs spécialités, certains seront en mesure de gagner leur pain correctement tandis qu'un bon nombre accusera de sérieux déficis et un manque de clientèle. Tout le monde n'est pas enclin à débourser entre 250DH et 7ooDH la séance surtout lorsqu'à côté un charlatan offre ses «services» moyennant quelques dizaines de dirhams. Le choix est parfois vite fait pour certains Qui s'occupe des psys ? Gérer au quotidien le stress, les angoisses et le mal être des gens n'est pas sans risque pour celui qui le fait. Difficile de ne pas se laisser submerger par les différents cas d'espèce et d'afficher un détachement permanent. Psychologues et psychanalystes apprennent dans le cadre de leurs formations à «encaisser» ce genre de choses, seulement personne ne peut être sûr de ne jamais flancher à un moment donné. «Certes nos études peuvent nous prémunir contre certains aspects de notre métier mais nous restons avant tout des êtres humains susceptibles de déprimer, ou de craquer». A côté des gestes habituels visant à relaxer et évacuer les tensions, il existe ce que l'on appelle des contrôles. Selon Hakima Lebbar, ces thérapies de groupe sont un moyen pour chacun d'exprimer ce qu'il vit avec ses patients, de parler de ses propres doutes et de lui-même et recueillir le soutien de ses pairs au cours de rencontres périodiques. Cela peut sembler paradoxal d'entendre qu'un spécialiste puisse lui-même avoir besoin de cette «neutralité bienveillante» de la part d'un autre, mais pour reprendre les termes cités plus haut, ils restent avant tout des êtres humains