« Lorsque j'ai accepté de reconnaitre mon fils et de le prendre en charge j'étais loin d'imaginer la réaction de ma famille. J'ai tout imaginé sauf qu'ils nous rejettent de cette manière mon enfant et moi. J'étais en relation avec une fille et elle est tombée enceinte. Lorsqu'elle me l'a annoncé c'était trop tard pour penser à avorter. A son accouchement, elle quitte la ville en me laissant l'enfant entre les bras. Je me suis attaché à ce bébé dès le premier regard et c'était impossible pour moi de l'abandonner », raconte H. El. La trentaine, simple ouvrier dans une manufacture au quartier industriel de Moulay Rachid à Casablanca, le jeune père n'avait d'autre choix que de raconter ce qui s'est passé à sa famille. Sans famille « Mes parents, mes sœurs et mes frères même mes tantes et ma grand-mère... tout le monde était contre le fait de garder l'enfant et encore moins d'en prendre soin. Sans pitié, ils l'ont traité de bâtard et moi de cocu qui s'est fait avoir par une fille de petite vertu qui m'a collé au dos l'enfant d'un autre », ajoute le jeune père, la mort dans l'âme. Malgré ses affirmations que l'enfant est bien le sien, la famille de H. El ne voulait rien entendre et encore moins garder l'enfant à la maison. « Ils m'ont jeté à la rue avec un bébé de quelques jours entre les bras. Je n'avais pas où aller et ne savais pas quoi faire. J'étais sous le choc et dans un état lamentable. J'étais comme dans un mauvais rêve mais qui ne prenait jamais fin. Un ami m'a hébergé le temps de trouver une chambre. Je n'avais personne à qui confier mon bébé pour aller travailler. Soudain je me suis retrouvé seul au monde sans personne, sans rien ! », décrit le jeune père meurtri. Un récit triste qui ressemble trop aux récits assez nombreux de jeunes mères célibataires affrontant seule le mépris et le rejet de la famille et de la société. « Nous accueillons souvent des filles vivant ce type de situations douloureuses. Nous étions assez surpris de voir arriver ce jeune homme en pleurs complètement effondré. Abandonné par les siens, ils lui reprochaient de reconnaitre son enfant et d'assumer ses responsabilités ! Une attitude surprenante et choquante de la part de cette famille », commente Bouchra Abdou, directrice de l'association Tahadi pour la citoyenneté et l'égalité. L'activiste déplore d'ailleurs une profonde hypocrisie sociale par rapport à une situation assez récurrente. « Le comportement de cette famille est intolérable. Ils auraient préféré que leur fils abandonne sa copine et son enfant au lieu d'assumer sa responsabilité. Un comportement contradictoire et qui va à l'encontre des valeurs humaines mais qui préserve et protège leur image devant leur entourage », regrette Abdou qui est en contact permanent avec des jeunes filles livrées à leur triste destin après avoir tombé enceintes en dehors du mariage. Codes sociaux « Dans le cas de ce jeune homme, et qui est assez rare dans notre société, nous pouvons retrouver le même schéma de rejet et de stigmatisation activé par la société et la famille contre les mères célibataires. Ne respectant pas les règles sociales « en vigueur », ce jeune a été immédiatement éloigné du cercle familial. Avec son attachement à son fils né hors mariage, il a transgressé les codes sociaux et a été automatiquement éjecté du cocon familial », nous explique Meriem Aghbalou, chercheuse en sociologie à l'Université Hassan II. En faisant fi des règles sociales, ce père courage s'est finalement retrouvé seul avec un bébé entre les bras, une situation assez rare dans notre société. « C'est profondément ancré dans les mentalités et les esprits que les femmes sont les seules détentrices de l'éducation d'un enfant. Malgré tout, une mère qui s'occupe seule de ses enfants est une image beaucoup plus « tolérée » et acceptée qu'un père solitaire. Divorce, deuil ou abandon, un homme qui a le double rôle de père et de mère trouve beaucoup de mal à être « crédible » aux yeux des autres. Et c'est encore pire, lorsqu'il s'agit d'un enfant né hors mariage. C'est un double fardeau psychique et social pour le père célibataire », analyse la chercheuse sociologue. Prévalence Elever son enfant seul contre vent et marrée alors que les préjugés et autre stigmatisation guettent, ce n'est pas une situation de tout repos. Selon les résultats d'une étude canadienne réalisée en 2018 et publié par la prestigieuse revue scientifique britannique « The Lancet », les pères célibataires auraient un taux de mortalité de 5,8‰ contre 1,9‰ pour ceux en couple. « Notre étude souligne que les pères célibataires ont une mortalité plus élevée et démontre la nécessité de politiques de santé publique pour contribuer à identifier et soutenir ces hommes », affirme alors Maria Chiu, chercheuse en santé publique à l'université de Toronto et principale auteure de cette étude. Ainsi selon les données, issues de questionnaires de santé posés à 40.500 personnes entre 2000 et 2012, le taux de mortalité atteignait 5,8‰, chez les 871 pères sans compagne déclarée. Chez les mères célibataires, il n'était que de 1,7‰ et chez les pères en couple de 1,9‰. Les facteurs de cette « prévalence mortelle » ? Les chercheurs soupçonnent le stress et les modes de vie peu sains. En tête de liste, beaucoup de stress, une alimentation peu équilibrée, un manque d'exercice physique et une plus forte consommation d'alcool. Aussi, ces hommes, même dans un pays développé tel le Canada, ont moins souvent un réseau social, une assistance sociale ou un soutien dans l'éducation de leurs enfants que les mères célibataires. Inutile de faire une comparaison pour imaginer la gravité de la situation pour les pères célibataires au Maroc. L'exemple de H.El qui est arrivé, en détresse, à l'association Tahadi pour réclamer de l'aide est plus qu'éloquent...