« Nous exprimons notre totale incompréhension par rapport à la décision d'imposer un «pass vaccinal» sans aucun préavis ou délai raisonnable, ni débat national sur la question », c'est en ces termes qu'un collectif citoyen de plusieurs personnalités marocaines a exprimé son rejet de la nouvelle mesure annoncée par le gouvernement. Une décision qui dès son annonce a provoqué un large mouvement de protestation sur les réseaux sociaux. Appliquée dès ce jeudi 21 octobre, l'imposition du pass vaccinal pour accéder à tous les lieux fermés et pour tous déplacements entre provinces, a suscité en effet une grande colère parmi les citoyens pris de court. Des publications indignées aux réclamations d'annulation de cette décision en passant par les argumentaires légaux et constitutionnels, la toile est en émoi. En parallèle avec le lancement de la pétition « Non au « pass vaccinal » au Maroc sans débat national » par le géopolitologue et chroniqueur radio Rachid Achachi, d'autres voix se sont élevées pour remettre en question la légitimité d'une telle mesure mais surtout son « applicabilité » sur le terrain. Moratoire Au moment où nous mettons sous presse, cette pétition a déjà recueilli plus de 20.000 signatures. Un énorme engouement qui en dit long sur le degré de mécontentement populaire par rapport à cette mesure jugée « irréfléchie et hâtive » par les pétitionnaires. Appelant le gouvernement à se rétracter et à réviser sa décision, le collectif réclame l'instauration d'un « délai de préavis ou un moratoire de deux mois » avant l'imposition définitive du pass pour accéder aux lieux publics. S'adressant « à tous les citoyennes et citoyens, vaccinés ou non », les pétitionnaires font valoir leur droit d'être « informés à temps de décisions les concernant ». « Une manière improvisée » de gérer une situation déjà assez délicate, qui aggrave davantage les choses en « imposant le pass sans aucun préavis ou délai raisonnable, ni débat national sur la question », ajoute-t-on auprès du collectif initiateur de la pétition. Rappelons que ce dernier est constitué de plusieurs personnalités connues tels l'écrivaine Mouna Hachim, l'épidémiologiste et spécialiste des maladies infectieuses Pr. Jaafar Heikel, le secrétaire général du PPS Nabil Benabdallah, la parlementaire et Secrétaire générale du PSU Nabila Mounib, le co-fondateur du mouvement MAAN Zakaria Garti et le réalisateur Mohcine Besri. Communication et respect Ne mâchant pas leurs mots, les pétitionnaires dénoncent d'ailleurs « le flagrant manque de communication et le non respect des craintes ou contraintes de certains citoyens de la part du gouvernement ». Une démarche, qui selon le collectif, va paralyser la vie de millions de Marocains en les empêchant d'accéder aux lieux de leur travail, aux administrations, aux transports en commun ou encore de jouir d'autres droits plus élémentaires. Soulevant un point crucial, le collectif note le risque inévitable de « bousculades devant les centres de vaccination dès ce jeudi et qui pourrait donner lieu à l'effet contraire, voire à des risques sanitaires », met-on en garde dans cette pétition. Poussant leur argumentaire plus loin, les pétitionnaires rappellent le caractère « volontaire » du vaccin sur lequel insistaient auparavant les campagnes de communication autour de la vaccination. Pourtant « Des citoyens seront privés d'un droit de circulation ou d'accéder aux lieux publics pour avoir fait un choix libre », ajoute le texte en démontrant l'aspect paradoxal de la nouvelle décision. Surtout lorsqu'il s'agit de personnes privées de la vaccination pour des causes médicales (allergies, contre-indications...). Insistant sur le fait qu'il est nullement antivax, le collectif reconnait cependant l'intérêt de la vaccination pour couper le chemin au virus et à ses différents variants. « Nous ne sommes pas contre le « pass vaccinal » dès lors qu'il répond à des impératifs épidémiologiques et/ou sociaux et/ou économiques », explique-t-on auprès du collectif. « Mais il faut prendre le temps de faire de la pédagogie pour convaincre ceux qui n'ont pas encore été vaccinés, ou accompagner ceux qui ne le peuvent pas. », reviennent à la charge les pétitionnaires mécontents. Un débat dépassionné Du temps, un préavis et un délai qui permettra selon le collectif, de mener « un débat national serein et dépassionné sur la gestion de la crise sanitaire notamment au niveau du parlement ... tout en évaluant la légitimité juridique, la conformité constitutionnelle, et surtout le risque pesant sur les libertés des citoyens et leurs droits les plus élémentaires », conclue le collectif. Rappelons que de nombreux défenseurs des droits humains ont exprimé leur refus et leur inquiétude par rapport à cette nouvelle décision. « Nous nous attendions à ce que le nouveau gouvernement revoit la manière de gérer la situation sous l'Etat d'urgence sanitaire. Si l'article 3 permet au gouvernement d'émettre des décrets officiels et administratifs pour limiter la propagation de la pandémie, ce dernier est toutefois tenu de respecter le texte constitutionnel. La Constitution reste une ligne rouge à ne pas franchir », note Dr Aziz Ghali, Président de l'Association Marocaine pour les Droits Humains. Légitimité D'après l'activiste, le gouvernement devrait faire appel au parlement en tant qu'institution législative pour décréter de telles décisions. « Le parlement a la légitimité nécessaire pour imposer de telles mesures touchant à la vie des citoyens et à leur liberté », explique-t-il. Ce dernier note à son tour l'aspect contradictoire de l'imposition du pass vaccinal tandis que le gouvernement n'a eu de cesse d'insister sur le libre choix de la vaccination. « L'article 6 de la constitution protège les citoyens de tels revirements légaux », soutient le défenseur des droits humains qui note l'application difficile de cette nouvelle mesure. « Comment va-t-on procéder ? Le pass vaccinal comporte des données et informations purement personnelles qui devraient être protégées et que seuls les ayant droits tels les autorités, les forces de l'ordre ou les médecins ont la possibilité de voir. Or en imposant le pass, n'importe qui : Un serveur de café, un agent de sécurité, un contrôleur de bus ou un gérant de bain maure vont les consulter alors qu'ils n'y ont pas droit », analyse Aziz Ghali. Ce dernier soulève d'ailleurs la grande problématique de la falsification des pass vaccinaux. « Qui connaitra certainement des jours prospères avec la nouvelle décision. Pour les antivax ou pour ceux ayant des empêchements médicaux, cette méthode illégale sera une alternative pour accéder librement aux lieux publics », met en garde l'activiste.