Un pas décisif vers cette autonomie a été franchi le 13 juillet : la signature très médiatique de l'accord pour la construction de Nabucco, un gazoduc de plus de 3000 kms pouvant transporter 30.000 mètres cubes de gaz par an depuis la mer Caspienne sans passer par les gazoducs russes. La Russie, qui fournit 25% des besoins européens en gaz et dont le pouvoir actuel réside précisément dans les exportations d'hydrocarbures et d'armements, a parfaitement compris l'enjeu de Nabucco : le géant russe Gazprom a immédiatement menacé de vendre son gaz à «d'autres », tandis que les stratèges du Kremlin étudient les conflits militaires que des gazoducs concurrents pourraient provoquer à la frontière sud de la Russie. Le conflit avec l'Ukraine, pays où passe l'un des grands gazoducs russes et auquel Moscou a coupé le gaz au cur des hivers 2006 et 2009 , montre que ces menaces ne sont pas seulement verbales. Et que l'arme du gaz est désormais plus efficace pour faire pression sur les Européens que les fusées de la guerre froide. C'est ce contexte qui est à l'origine d'une quadruple volonté européenne: construire Nabucco, qui traversera la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l'Autriche ; augmenter les achats de gaz algérien ; diversifier les sources d'approvisionnement en regardant vers le gaz liquéfié du Qatar et, pourquoi pas, envisager à terme un gazoduc transaharien susceptible de transporter le gaz du Nigéria vers l'Europe. La Russie n'a pas répliqué qu'avec des menaces verbales à cette concurrence. Soucieuse d'augmenter plus encore la dépendance énergétique des Européens en augmentant ses exportations d'un tiers, elle travaille à deux projets concurrents de nouveaux gazoducs pour approvisionner l'Europe. L'un, présidé par l'ex-chancelier allemand Gerard Schroeder, reliera la Mer Baltique à l'Allemagne ; l'autre - dont la réalisation est moins avancée- passera par la Mer Noire et la Bulgarie, avec deux embranchements, un vers la Serbie, la Hongrie et l'Autriche, le second vers la Grèce et l'Italie. Autant dire que la capacité de Moscou à trouver deux alliés de choix dans ce nouveau bras de fer gazier l'Italie et l'Allemagne, ainsi que la Grèce et la Serbie a permis une fois de plus au Kremlin de diviser les Européens. Et donc d'empêcher ces derniers de mener une politique extèrieure indépendante de la Russie qui interdirait de plus au Kremlin de reconstituer la zone d'influence qui fut celle de l'Union Soviétique et de faire pression sur ses anciens pays satellites. Seul point positif : la construction de Nabucco - dont l'ambassadeur» n'est autre que Joshka Fischer, l'ex-ministre des Affaires étrangères du très russophile Gerard Schroeder ! - permettra une authentique diversification des sources d'approvisionnement européennes, à défaut de remplacer l'irremplaçable gaz russe. Et cela ne peut, évidemment, que renforcer les Européens dans leurs négociations gazières avec les Russes.