Toute abstention massive relativise les analyses sur le sens d'un scrutin et conduit à s'interroger sur le poids d'euro-députés si mal élus. C'est le cas des élections européennes du 7 juin qui ont le triste privilège d'obtenir la palme de l'abstention : plus de 70% dans six pays de l'UE et près de 59% en France. Au total, seuls 43,55% des 375 millions d'électeurs appelés aux urnes se sont déplacés. Ce désintérêt a de multiples raisons: la politique européenne est la grande oubliée des médias, la campagne électorale a commencé une semaine seulement avant le scrutin, la perception d'une Union construite «d'en haut» a créé le désenchantement et les problèmes nationaux sont passés au premier plan, très avant les enjeux politiques européens. Nécessité incontournable Cette «nationalisation» des enjeux a interféré dans le vote d'électeurs préoccupés avant tout par le maintien ou non de leur emploi en ces temps de crise. Du coup, le rapport entre leurs inquiétudes face à l'avenir et la politique européenne leur est apparu particulièrement ténu. Une considération éminemment politique a aussi contribué à cette désaffection: l'Europe étant un sujet qui divise, la tendance aura été de l'esquiver le plus possible. Le scrutin révèle néanmoins un paradoxe surprenant. Alors que l'abstention consacre le peu de confiance des opinions envers l'Europe, le succès surprise des listes vertes, seules à avoir mené campagne sur ce thème, montre que l'Union est vécue aussi comme une nécessité incontournable, surtout face à une crise économique et financière mondiale. Les résultats du scrutin sont-ils indirectement liés à cette crise? La droite et l'écologie politique en sont les gagnants, les socialistes les grands perdants. Le contexte de crise n'a pas en effet pénalisé la droite ou le centre droit qui gouverne dans 21 des 27 états membres, comme si ces derniers incarnaient la sécurité. Du coup, ils maintiennent ou améliorent leurs positions un peu partout et le PPE (Parti populaire européen - conservateur) va dominer le prochain parlement européen avec 267 députés sur 736 (37% des sièges). Poussée de la droite radicale, effondrement des socialistes Un peu partout aussi la droite radicale, ses eurosceptiques et ses nationalistes, grignotent du terrain (150 élus contre une centaine dans le Parlement sortant). La montée aux extrêmes est certes un phénomène habituel en période de crise. Il n'en est pas moins inquiétant de voir les europhobes britanniques de l'UKIP; les italiens de la Ligue du Nord; l'extrême droite roumaine et hongroise; l'islamophobe néerlandais Geert Wilders ou l'eurosceptique autrichien Hans-Peter Martin s'installer dans le paysage politique institutionnel européen. La victoire de la droite n'est cependant pas à porter à son seul crédit. Elle s'explique au moins autant par l'effondrement des socialistes qui n'ont, paradoxalement, tiré aucun profit de la crise actuelle du capitalisme. Ces derniers, il est vrai, ont été incapables de présenter une alternative crédible à un modèle économique et sociétal qui a implosé. Avec seulement 159 élus, le PSE (Parti socialiste européen qui comptait 217 élus) accuse au final un recul spectaculaire, passant de 27, 5% à 22% des eurodéputés. Cette défaite est patente en France où le PS, empêtré dans ses querelles internes et en rupture avec son électorat, a subi un revers tel que même Benoît Hamon, «étoile montante» de la jeune génération, n'a pas été élu. En Allemagne, les sociaux-démocrates du SPD enregistrent leur plus mauvais résultat avec 20,8 % des voix. Idem aux Pays-Bas et en Grande Bretagne, où le Labour essuie une défaite historique (15% de voix, loin derrière les conservateurs et les europhobes de l'UKIP, qui remportent respectivement 29% et 17%). Seuls la Grèce et le Danemark échappent à cette débâcle. La gauche radicale ne fait pas non plus de percée sensible, notamment en France et en Allemagne. Succès surprise des Verts Le deuxième vainqueur de ce scrutin est l'écologie politique, incarnée en France par la liste Europe Ecologie qui s'y est imposée comme la troisième formation politique. Dirigée par le charismatique Daniel Cohn Bendit, europhile convaincu et leader étudiant de mai 1968, cette liste affichait en outre un duo de choc avec Eva Joly, la célèbre juge anti-corruption et le leader paysan José Bové. Avec 51 eurodéputés, les «écolos» gagnent 8 sièges, et obtiennent en France 14 eurodéputés, autant que le PS. Ce résultat montre qu'une partie des électeurs de gauche, notamment dans les classes moyennes, a préféré voter pour les listes «écolo». En réalité, le vote «utile» à gauche a été aussi défaillant que le vote sanction contre les gouvernements de droite ou de centre droit. Le succès de ces listes témoigne en fait que pour tout le monde aujourd'hui, la réponse à la crise doit être aussi écologique. Ce qui n'était pas le cas il y a dix ans. Partout en effet, l'intérêt pour l'environnement grandit. L'immense audience sur France 2 de Home, le film-manifeste de Yann Arthus Bertrand pour la sauvegarde de la planète, projeté deux jours avant le scrutin, l'a confirmé et a aussi sans doute pesé sur ses résultats. Barroso, premier test des Verts Le succès des Verts constitue en outre une bonne nouvelle pour l'idéal européen. Alors que les autres partis faisaient avant tout de la politique intérieure, Europe Ecologie en général, et Daniel Cohn Bendit en particulier, ont été les seuls à mener une campagne européenne basée sur un projet de société écologique et sociale. Fort de sa longue expérience du Parlement de Strasbourg, Cohn-Bendit a su donner un sens à la politique et au fonctionnement des institutions européennes. Reste à savoir ce que les listes vertes, devenues une force incontournable, un parti charnière, feront de leur progression. Si comme l'a noté Daniel Cohn Bendit, le PS va «devoir s'habituer à ne plus être hégémonique à gauche», les «verts» auront aussi à apprendre à dépasser leurs querelles internes et le conservatisme d'une écologie «bucolique». En attendant la session inaugurale du Parlement le 13 juillet à Strasbourg, les tractations autour de la reconduction de José Manuel Durao Barroso, l'actuel président de la Commission européenne, battent leur plein. Apparemment, la victoire de la droite conforte son avantage, même si le front du «non à Barroso» s'est renforcé avec le succès de Daniel Cohn Bendit. Cette affaire sera notamment un premier test de la capacité des Verts à jouer le rôle d'une opposition crédible face à la grande marée bleue de la droite européenne.