Finissons-en avec cette ritournelle, maintenant usée jusqu'à la corde ! Que veut dire aujourd'hui la répétition de l'argument qui excipe du manque de reconnaissance de la part des Algériens, oublieux de tout ce que le Maroc, royaume (fraternelle nation), peuple et roi, a fait pour aider à l'indépendance complète du voisin de l'Est ? C'est là un argument qui relève du sentiment et de son corollaire la morale, n'ayant que peu de valeur à l'aune, nous dirons, de la «realpolitik». Il faut tourner la page et, peut-être ne plus en parler. En juillet 1962, lorsque la France gaullienne accorda l'émancipation politique à ce pays, après plus de sept ans de guerre et à l'issue de négociations s'étant étirées sur de nombreux mois, les dirigeants algériens se dépêchèrent rapidement de faire table rase de toutes leurs vagues promesses d'avant à l'endroit de leurs «frères du royaume maghrébin». Pour sacrifier à l'élégance du geste et de la parole, efforçons-nous, même après un demi-siècle, de considérer que le Maroc a été lui aussi, en quelque sorte, aidé objectivement par «la révolution algérienne». Ceci pour équilibrer et rassurer. Puisque, logiquement, si on peut penser que l'agonie au Maroc du Protectorat/colonialisme a été tellement brève et a hâté par ce faire le retour du roi exilé et sa conséquence le recouvrement de la souveraineté - seulement moins d'une dizaine d'années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire dès le dernier trimestre de 1955 - , c'est parce que la France a été confrontée totalement au drame algérien dès novembre 1954, qu'elle voulait dès lors avoir les mains libres pour se débarrasser de la rébellion en Algérie française», le joyau de l'Empire et enfin que dans cette joute atroce, l'Algérie algérienne - l'opprimée colonisée - gagna la partie face à la France française - l'oppresseuse colonisatrice. Oui, grâce, on le sait, aussi à l'aide des deux ailes du Maghreb, le Maroc et la Tunisie Ce «on est quittes», vaudrait aussi donc pour la Tunisie bien entendu, qui, à son tour quelque temps après le Maroc, obtint pour sa part autonomie puis indépendance. Fermons donc, si cela se peut, cette parenthèse pleurnicharde indigne, qui au bout du compte ne signifie pas grand-chose et ne saurait jamais déboucher sur quelque chose de tangible et d'honorable. Regardons vers l'avenir et employons-nous en duo à sortir des tunnels dans lesquels nous nous sommes coincés sans grand espoir, jusqu'à présent du moins, d'en sortir. Il est de fait, malgré tout, que de ce côté-ci de la Moulouya, on peut se flatter, et même s'enorgueillir, d'avoir toujours promu l'ouverture et la main tendue en guise d'initiative pacificatrice. De l'autre côté, nos partenaires ont trop souvent usé plutôt, pour leur part, du revers de la main, pour balayer ou brouiller le jeu, faisant revenir les choses toujours à leurs mauvais préalables. Au lieu de voir le couple algéro-marocain s'affirmer aux yeux du monde, comme le moteur du Maghreb, un ensemble dynamique et prometteur à l'instar de ce que sont la France et l'Allemagne pour l'Union européenne, il n'a été offert que le spectacle, dérisoire et lassant, de la confrontation presque permanente, fratricide. Il est sûr que dans ce face-à-face, aujourd'hui avec la césure offensante de la ligne de frontière terrestre cadenassée, personne n'y gagne ni d'un côté ni de l'autre. Il est certain aussi que cela finira bien par se terminer un jour ou l'autre. L'issue de toute cette labyrinthique itinération peu glorieuse, souvent affligeante, pour tous ceux qui y sont mêlés, englués pour le moment, ne pourrait être que satisfaisante pour l'Histoire. Car l'Histoire, il faut y songer sérieusement et peut-être tout de suite. Non pas demain, mais impérativement aujourd'hui, hic et nunc Nous parlons d'urgence urgente, parce que vraiment actuellement dans ce monde du début du troisième millénaire et de la deuxième décennie du vingt et unième siècle, il n'est plus question d'encore attendre pour nous résoudre à être enfin Un dans notre diversité maghrébine quinte. D'Alger, nous entendons dire et répéter que le «conflit du Sahara occidental est le frein principal pour la mise définitive sur les rails d'un Maghreb enfin uni réellement et solidement». Nous n'en croyons rien, ne serait-ce que parce que, tour à tour, sous Ahmed Ben Bella, Houari Boumédienne et quelques autres ectoplasmes de l'histoire récente, nous n'avons eu droit systématiquement qu'à de multiples obstacles semés par les différents dirigeants suprêmes de l'Algérie sur le chemin chaotique de l'entente souhaitée entre Alger et Rabat - et puis que valent même la période de la présidence modérée de Chadli Ben Jedid comme celle de l'instant éphémère du météore Mohamed Boudiaf ? Abdelaziz Bouteflika, lui-même, qui a porté tellement d'espoirs à son élection en 1999, après sa longue traversée du désert, n'a eu de cesse, que de distendre sciemment les liens si malmenés déjà entre son pays et celui du tout nouveau roi Mohammed VI. L'actuel homme fort de l'Algérie a pris en charge sans discuter l'héritage de tout ce que la nomenklatura de son pays a essayé de bâtir pour assouvir les déraisonnables appétits prussiens de ce pays du Maghreb central, jadis numide et naguère vassal de la sublime Porte ottomane. Abdelaziz Bouteflika a emprunté les habits de tous ceux qui avaient été ses pires ennemis (beaucoup de membres du fameux Conseil de la Révolution, constitué par le colonel Boumédienne, au lendemain du Coup d'Etat du 15 juin 1965) et qui l'ont empêché après de devenir - naturellement - le président successeur du défunt dictateur militaire. Le Président Bouteflika a prestement oublié les querelles du dauphin de Houari Boumedienne, avec une amnésie splendide assumée et exploitée à outrance, apparemment pour servir ses projets de réconciliation nationale» et de «concorde sociale». Mais son idée fixe est restée la même depuis le temps qu'il avait été le fringant ministre des Affaires étrangères de son pays dans le début des années soixante-dix. Il avait imaginé à l'époque qu'il pouvait se permettre de proposer une sorte de troc au Royaume : les provinces du sud-est marocain (Tindouf, Tidiket, Béchar, etc.) contre l'acception formelle par Alger de l'octroi au Royaume des provinces récupérées des mains des colonialistes espagnols, c'est-à-dire la Sakia Al-Hamra et le Oued Dahab Cette transaction, si peu conforme au génie marocain, n'a pas été prise en considération par Hassan II et fut rejetée sans autre forme d'examen. La formule est restée pourtant bien au chaud dans un coin du cerveau présidentiel et semble ressurgir en ces moments de pré-législation troisième du César moderne. Mais, le pire, c'est qu'aujourd'hui, l'imperator songe à lorgner vers le beurre, l'argent du beurre et aussi la crémière En clair, il voudrait le Maroc de Tindouf, le Sahara occidental par R.A.S.D. interposée et à la clef finalement l'hégémonie sur tout le Maghreb ! Un Maghreb utopiquement algérien .