À l'école, dans la rue, sur la route…La violence gagne du terrain… Sommes-nous violents ? D'où vient toute cette agressivité qui cherche à exploser à tout moment ? Qu'est devenu ce Marocain pacifique qui préférait la voie de la négociation à celle de la confrontation ? Tant de questions existentielles qui se sont posées au lendemain des événements, pour le moins violents, du désormais tristement mémorable jeudi noir. Les images de supporters rbatis du FAR saccageant tout sur leur passage avec une incroyable rage ont provoqué l'émoi de la société. Qu'il s'agisse d'articles de presse, de commentaires sur les radios, de reportage télé, ou encore d'échanges sur la toile, sur les réseaux sociaux ou à travers les discussions de salons, c'est partout la même indignation, la même incrédulité et la même condamnation. « Ça ne nous nous ressemble pas ! » répétait-on de toutes parts, encore sous l'emprise de la surprise provoquée par ce qui s'est pourtant passé dans notre pays et dont les protagonistes n'étaient autres que nos propres concitoyens. Une position de déni provoquée non seulement par le choc, mais par ce refus délibéré de voir la réalité en face. Il faudrait vraiment que l'on souffre collectivement d'une amnésie non encore diagnostiquée pour tenter de contenir la violence dans la sphère des hooligans et autres casseurs liés aux milieux sportifs. La réalité est autre. La violence se manifeste partout. Ses fondements se trouvent dans l'Histoire même du Maroc qui a été jalonnée d'événements sanglants révélant les pulsions violentes d'un peuple qui n'échappe pas à sa condition humaine, à l'instar des autres peuples à travers le monde. « Nous avons tendance à idéaliser notre société en faisant abstraction de tout de ce qui peut troubler son image », explique à L'Observateur du Maroc le sociologue Khalid Hanefioui. Un constat que son confrère Yasser Mezouari partage entièrement. Ce dernier va plus loin : « La violence n'est pas nouvelle chez les Marocains, tout comme chez les autres peuples à travers l'Histoire de l'humanité quoi qu'elle est devenue alarmante depuis une décennie. Le vécu quotidien stressant, les disparités sociales, les conditions économiques, le chômage, les besoins grandissants de tout un chacun... tout cela semble être à l'origine d'un comportement agressif prononcé ». Une explication qui nous renvoie vers des images de la vie quotidienne, des illustrations éloquentes d'une agressivité mal contenue qui cherche à s'exprimer par tous les moyens : verbal, physique, moral et même cybernétique. La violence made in Morocco est bricoleuse. Elle trouve toujours une issue. Si en privé, elle prend les allures d'un mal être partagé en famille avec une prévalence pour les femmes en tant que victimes, la violence n'en est pas moins partagée en public. Qui d'entre nous n'a pas été parfois victime ou simple témoin d'une querelle musclée entre deux automobilistes dans un rond point giratoire, avec tout ce qui va avec comme empoignades et insultes. Un simple dépassement dans une queue à l'arrondissement du quartier peut rapidement virer à un échange injurieux. Un petit différent d'écoliers à propos d'un simple jouet se transforme en une rixe sanglante entre des chérubins pas plus hauts que trois pommes, mais déjà arrivés à maturité en matière de violences verbale et physique. Un débat à la faculté entre étudiants de différents courants idéologiques peut s'avérer mortel et générer son lot de cadavres de part et d'autres. Un simple reproche proféré par une femme à l'encontre de son mari dégénère en un combat inégal où souvent la tendre moitié sort perdante en en portant les stigmates sur son corps et dans son âme. Un match de foot qui est sensé être un événement convivial générateur de plaisir se transforme en cauchemar pour la population. Ceci sans parler des agressions criminelles quotidiennes, des meurtres abominables, des mutilations à l'acide ou à l'arme blanche... des scènes tristes dont notre société est le grand théâtre et dont nous sommes à la fois acteurs et spectateurs qui préfèrent porter leurs yeux ailleurs que sur cette frappante réalité. Les chiffres relatés par les différents rapports laissent perplexes quant à l'ampleur du phénomène. D'après Bassima Hakaoui, ministre de la Famille, une femme sur trois serait victime de violence. Un chiffre qui ne fait pas l'unanimité parmi les associations féminines qui revoient les estimations officielles à la hausse. Ainsi, ce ne sont pas moins de 80% des femmes marocaines qui seraient victimes de violences conjugales. Un chiffre que les résultats d'un rapport du Réseau national des centres d'écoute des femmes victimes de violence au Maroc (Anaruz), publié le 5 septembre 2012, confirme ou presque (74%). Des chiffres qui viennent s'ajouter à ceux de la violence scolaire, aussi importants et aussi alarmants. Ainsi le ministère de l'Education nationale fait état d'environ 2.800 cas de violence scolaire enregistrés en milieu urbain entre le 12 septembre 2011 et le 24 juin 2012. Ces cas incluent le trafic et la consommation de stupéfiants, le vol et le port d'arme blanche en milieu scolaire. Des données qui ne laissent aucun doute quant à l'aspect critique de la situation dans un milieu sensé inculquer les valeurs d'une cohabitation sociétale aux hommes et aux femmes de demain. C'est à se poser des questions quant à l'avenir d'une société qui s'enorgueillit sans cesse de ses valeurs solidaires imbues de tolérance et d'acceptation d'autrui. Yasser Mezouari sonne l'alarme quant à la banalisation de la violence : « A force de subir ou de côtoyer la violence de façon quotidienne, les gens finissent par la considérer comme un comportement normal, habituel avec lequel on doit coexister. On devient alors de plus en plus isolés, méfiants (des fois sans raison). Les valeurs telles que la cohésion sociale, la solidarité, la pitié, l'amour... disparaissent au profit d'un pragmatisme parfois inhumain ». Triste perspective que Khalid Hanefioui modère en évoquant « une société en pleine mutation qui est en train de développer de nouveaux mécanismes de canalisation et de contrôle de violence », insiste le chercheur pour qui « cela demande du temps ». En attendant, espérons que les Marocains trouveront d'autres exutoires moins anti-sociaux et plus zen à leurs pulsions violentes !z Paru dans L'Observateur du Maroc n°213