La reine Sofia est une grande amie du Maroc. Ou du moins c'est ce que Sa Majesté nous faisait croire. A chaque fois qu'elle nous rendait visite, elle était souriante, à l'aise, pour ne pas dire pratiquement chez elle. A chaque fois qu'elle recevait nos Rois, elle était avenante, accueillante, pratiquement fraternelle. Et nous autres, on l'aimait, on la respectait. N'est-ce pas elle qui a été à côté de son mari, le roi Juan Carlos 1er, quand il a restauré la démocratie en 1975. On ne lui a jamais connu d'avis sur une question donnée ni de position sur quoi que se soit, excepté ce que le gouvernement espagnol lui disait de dire ou de penser. Et cela était loin de nous offusquer. Pour nous, la reine du Royaume d'Espagne était toujours le modèle exemplaire d'un monarque respectant l'obligation de réserve dans un régime monarchique comme celui de l'Espagne. Ingérence Mais aujourd'hui, ce rôle ne lui plaît guère, semble-t-il, et c'est compréhensible. Du haut de ses 70 ans, n'importe quel être humain ressent le besoin de s'épancher sur sa vie, ses convictions et ses angoisses, dautant plus s'il a été muselé sa vie durant tour à tour par la dictature et par la démocratie. A plus forte raison quand il s'agit d'une reine, fille de Roi et épouse d'un Roi, et qui n'a côtoyé dans l'exercice de ses fonctions, protocolaires certes, que des têtes couronnées et des grands de ce monde. C'est rageant que d'assister à des moments qui ont marqué l'histoire de l'humanité et qui vous ont par la même occasion marqué, et ne pas pouvoir en partager l'émotion avec les communs des mortels. Alors, du coup, la reine Sofia, qui a tout à fait le droit d'avoir des opinions et de les émettre publiquement, nous a gratifiés d'un livre fort intéressant dans lequel elle pourfend le mariage gay, vilipende l'avortement, dit tout le mal qu'elle pense de l'euthanasie et fustige la laïcité. Des positions aux antipodes des choix du gouvernement socialiste de Zapatero qui représente tout de même la majorité des Espagnols que la reine incarne symboliquement. En disant haut et fort ce qu'elle pense de sujets fortement polémiques et sensibles, la reine quitte la neutralité et s'engage politiquement en choisissant un bord politique plutôt qu'un autre. Cette sortie inopinée de la reine a créé un véritable malaise dont le premier bénéficiaire n'est que le front républicain qui dénonce l'ingérence politique d'une monarchie vieillotte et en décalage avec la société. Paranoïa Mais cela n'est pas l'unique décalage. La reine Sofia démontre, à travers les propos qu'elle a tenus sur le Maroc, qu'elle est également en décalage par rapport à l'histoire et aux réalités du moment. Des inepties telles que «Hassan II avait peur d'être empoisonné par le Roi d'Espagne» ou qu'il tentait de le piéger politiquement en l'invitant à Sebta et Mellilia, villes occupées militairement par l'Espagne sont des plaisanteries de mauvais goût. Soutenir que les Marocains faisaient exprès de faire manger de la viande à la reine, elle qui l'avait en horreur, relève de la paranoïa atavique. Là où on attendait que la reine d'Espagne fasse preuve d'esprit et de mesure, elle a versé dans la polémique stérile et l'anti marocanisme primaire, digne des milieux franquistes Navrant.