Par : Vincent Hervouët L'année 2013 a commencé sur les chapeaux de roues. Les roues des pick-up des Touaregs lancés à la conquête de Konna, puis décidés à pousser leur avantage, à gagner Mopti et à déferler ensuite sur Bamako. Un vrai dérapage, qui a mis au fossé toutes les palabres régionales et enterré aussi le projet gigogne qui prévoyait la reconstruction de l'armée malienne, la constitution d'une force interafricaine, avec le soutien en coulisse des occidentaux. Les Mirages français venus de N'Djamena et les hélicoptères d'assaut arrivés du Burkina ont stoppé net la course à l'abîme d'Ansar Dine. On aurait pu imaginer que l'histoire s'arrête là. Que chacun revienne sur ses lignes. Les djihadistes dans l'émirat qu'ils se sont taillés au nord. L'armée malienne au sud du fleuve, attendant septembre et l'arrivée de la cavalerie promise par les voisins. Autant remettre le dentifrice dans le tube ! Les guerres ont leur logique propre. Les armées sont de lourdes machines. Une fois lancées, elles semblent aussi difficiles à arrêter qu'un navire en perdition dans la tempête. Les Chasseurs français sont allés bombarder au nord les camps d'entrainement, les réserves d'essence, les dépôts d'armes, tout ce qui ressemble à une infrastructure terroriste. Comme un état-major entier peut se cacher sous une tente de bédouin, l'objectif affiché est bien ambitieux et les risques de bavures inhérents à la guerre aérienne considérables ! Emportés par le même élan, les blindés Sagaie débarqués en urgence à Bamako pour sécuriser la population de la capitale ont poursuivi leur route, gagnant la ville de Diabali à l'Est qu'une autre colonne de djihadistes venue de la frontière mauritanienne avait investie. Les forces spéciales qui servaient théoriquement d'appui à l'armée malienne se sont donc retrouvés en première ligne. En trois jours, le coup d'arrêt est ainsi devenu une opération coup de poing. Le raid aérien du vendredi s'est transformé en campagne de bombardement dès le lendemain. Le front s'étant élargi, il a fallu faire appel aux troupes au sol. Le dimanche, on parlait encore d'un coup de pied dans la fourmilière terroriste. Le mercredi, les forces spéciales en étaient au corps à corps avec l'ennemi. Rarement, on aura vu un conflit muer et s'étendre aussi vite. Comme un incendie de savane poussé par l'harmattan. Et dans cette tempête, les buts de guerre annoncés sont aussi variés que les perspectives sont floues. Les capacités des djihadistes bien équipés, surarmés, mettant en œuvre des stratégies coordonnées sur le champs de bataille justifient cet engagement total. Il était temps de casser l'alliance criminelle forgée par AQMI, le Mujao, Boko Haram, Ansar Dine, les mercenaires et trafiquants en tout genre. A vrai dire, il n'y avait sans doute pas le choix. L'attaque meurtrière menée à revers contre la raffinerie algérienne d'In Amenas montre la dangerosité de bandes terroristes qui menacent toute la région depuis le nord Mali. Il est remarquable qu'une intervention limitée à la ligne de démarcation entre le Pays touareg et le Mali utile ait si rapidement allumé des foyers partout dans la zone. Il y aurait beaucoup à dire sur l'effet d'aubaine que cette crise représente pour François Hollande. La guerre des sables a fait disparaitre comme par miracle l'interminable cortège des manifestants qui conspuaient le jour même son projet de mariage pour les homosexuels. Une manifestation comme les Français en font tous les quarts de siècle (1968, 1984, 2013) et qui n'aura pas eu plus d'impact que n'importe quel défilé syndical... Le Président ayant l'œil rivé sur les dunes guerrières, l'insurrection de la France conservatrice a été passée par profits et pertes par les médias globalement favorables à cette révolution des familles. Hollande chef de guerre ! Qui l'eut cru ? Tous ceux qui critiquent depuis des mois l'indécision du nouveau chef de l'Etat, ses réflexes de politicien, son goût de l'esquive ont été saisis par sa métamorphose. La presse est comme une femme sans tête : elle admire le Président dans ses habits de chef des armées. Elle adule les traineurs de sabres. En cela les Français ressemblent désormais aux Américains. Toutes les guerres commencent dans l'enthousiasme général et l'union nationale. Mais comme elles ont tendance à durer, le doute finit par s'insinuer. A quoi bon mourir pour Tombouctou ? Quel coût, quelle durée, quels objectifs pour cette guerre des sables ? L'intégrité des frontières du Mali mérite-t-elle d'abandonner les otages des terroristes à leur sort tragique ? Entendre François Hollande expliquer que la France n'intervient pas pour défendre ses intérêts mais pour établir la démocratie met mal à l'aise. La France aurait-elle soudain l'ambition de mener la réforme agraire au Sahel, de prendre en compte l'irrédentisme touareg ou de se préoccuper de la gestion de l'eau ? Que le président français parle de la « guerre au terrorisme », qu'il explique que l'armée est sur place pour « détruire » les terroristes rappelle les errances des néo-conservateurs américains. Il a fallu sept ans à Washington pour comprendre que son action antiterroriste en Irak avait conduit le pays à la ruine. Après douze ans de guerre, la communauté internationale s'apprête à abandonner l'Afghanistan au Afghans en priant les Talibans de bien vouloir revenir à la table du conseil des ministres... Ces précédents méritent qu'on en tire des leçons. La guerre qui vient de commencer au Sahel durera longtemps. Cela mérite de freiner les déclarations martiales et de réfléchir à la suite. A George Bush qui le pressait de lever son véto à la guerre en Irak et qui lui expliquait que l'élimination de Saddam Hussein serait une affaire facile à régler « comme sur des roulettes », Jacques Chirac avait répondu que les roulettes n'aimaient pas le sable. La guerre qui vient de commencer au Sahel durera longtemps. Et s'il s'agit d'une « guerre au terrorisme », on peut être sûr qu'elle s'enlisera.