La crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 a fini par plomber le moral des Marocains. Certains passent carrément à l'acte. Les chiffres sont alarmants : Le nombre des suicides dans notre pays a enregistré une hausse de 300% par rapport aux années précédentes... Par Hayat Kamal Idrissi
Face à la pandémie et à ses retombées catastrophiques, certaines personnes préfèrent en finir une fois pour toute, en se donnant la mort. Le phénomène n'est pas juste local. Partout dans le monde, les taux de suicide montent en flèche. Les séquelles d'un confinement et d'un reconfinement mal vécus, l'isolement, l'activité économique paralysée, les relations et la vie sociales profondément affectées par cette épreuve inhabituelle... sont autant de facteurs ayant eu raison de la résistance des gens ici et ailleurs. Le constat Au Maroc, on est loin d'être épargnés. Les derniers chiffres des services de la Protection civile de la région Casablanca-Settat sont alarmants. Chaque jour, on enregistre un nouveau cas et parfois plusieurs cas de suicide. Pire, selon les statistiques, le taux de suicide aurait enregistré une évolution inquiétante de l'ordre de 300% par rapport aux années précédentes. Des chiffres que les fais divers et les pages des différents médias confirment en relatant chaque jour de nouveaux suicides dans les différentes villes du royaume. Rien qu'hier, dimanche 29 novembre, le journaliste tangérois Younes Maimouni, lance une alerte : « L'hémorragie continue au nord du pays : Trois suicides en une journée ! ». Un phénomène qui s'amplifie depuis le début de la pandémie en élargissant son impact pour toucher plusieurs catégories sociales. On se rappelle tous de la vague de suicides enregistrée durant l'été 2020. Au bout de longs mois de confinement, certains ont préféré mettre fin à leur calvaire en se suicidant. Les médias ont largement partagé des récits de suicides parmi les rangs des enseignants, des jeunes filles, des pères de famille en chômage et d'autres gens sans ressources en cette période de crise.
L'explication ? « Qui dit confinement dit isolement. Ce dernier a des effets nocifs sur le psychisme et sur l'humeur », analyse Dr Mostafa Massid, psychologue clinicien. D'après le spécialiste, les contacts sociaux limités, voire absents, risquent d'entrainer des conséquences somatiques et psychologiques graves. « Le repli sur soi, l'humeur dépressive, l'anxiété, les ruminations, les troubles du sommeil et d'appétit sans oublier les réactions hostiles envers soi et envers autrui » énumère le praticien. Pour Soukaina Zerradi, psychologue clinicienne, les professionnels de la santé mentale ont pu constater auparavant les retombées du confinement qu'elles soient psychiques ou relationnelles. « Si la pandémie a mis mal en point l'économie, conjuguée au confinement, elle a plombé le moral des citoyens », assure-t-elle. D'après Zerradi, le citoyen est cerné. Au-delà de la crainte de la maladie, beaucoup de personnes ont perdu leurs emplois ou ont vu leurs revenus réduits. « L'isolement, le sentiment d'insécurité financière, le manque d'invisibilité par rapport à l'avenir et le sentiment d'impuissance peuvent approfondir le mal être de plusieurs personnes », analyse la clinicienne. « Les idées suicidaires ne seront pas loin avec même des passages à l'acte dans les cas extrêmes », met en garde la spécialiste.
Le challenge de la survie D'après Dr Mohcine Benzakour, psychosociologue, deux facteurs essentiels peuvent expliquer ce passage à l'acte. « Un individu peut mettre fin à ses jours sous l'impact d'une hystérie totale qui peut être provoquée et aggravée par exemple par la consommation de drogues. Mais il peut aussi attenter à sa vie sous l'emprise des idées noires », nous explique le praticien. En rapport étroit avec un déséquilibre social, ces idées peuvent résulter d'une déchirure familiale, de la pauvreté, du chômage, d'un divorce violent ou la perte de son emploi... « Il y a d'autres facteurs aussi cruciaux tels la prédisposition génétique de certaines personnes au suicide et la fragilité psychique », note toutefois Dr Benzakour. D'après ce dernier, ces personnes ne sont pas prémunies contre les attaques sociales que représentent les épreuves de la vie. La crise sanitaire liée à la pandémie représente en effet une « épreuve inédite hors normes », un véritable challenge de survie. « N'ayant pas acquis cette immunité psychique résultant du cumul d'expériences et permettant d'affronter de telles crises, souvent ces personnes en finissent avec la vie en se représentant la mort comme une issue leur permettant une fuite à leur mal être », analyse le spécialiste.
Les chiffres Selon l'OMS, près de 3000 cas de suicide sont recensés chaque jour dans le monde. Au Maroc, chaque jour, un Marocain met fin à ses jours en milieu rural. Les statistiques de la gendarmerie royale glacent le sang : Pas moins de 594 tentatives de suicide ont provoqué 416 morts l'année 2017, 178 cas ayant été sauvés. Ne concernant que le milieu rural, ces mêmes statistiques révèlent le chiffre alarmant de 2.894 tentatives de suicide enregistrées durant les cinq dernières années. 2.134 ont causé la mort de leurs auteurs. Une étude, la seule, a d'ailleurs été menée en 2007 sur un échantillon de 5.600 personnes par le ministère de la Santé et le CHU Ibn Rochd est assez révélatrice. Résultats : 16% des Marocains ont des tendances suicidaires à cause notamment des difficultés socio-économiques, des différentes frustrations et autres déceptions. Il ressort également de cette étude que les femmes (21%) sont plus suicidaires que leurs congénères masculins (12%). Autres malchanceux qui seraient prédisposés au passage à l'acte ultime : les célibataires, les couples n'ayant pas d'enfants et les personnes souffrant de troubles psychiques. L'étude révèle qu'entre 40 à 70% des cas de suicide concernent des personnes ayant présentés antérieurement des signes dépressifs.