Suicide et tentatives Moment de fragilité, ras-le-bol de la vie, impasse professionnelle, pathologies psychologiques, autant d'explications pour un seul fait : mettre fin à sa vie. Pourrait-on justifier un acte aussi extrême ? Pourrait-on comprendre le suicide, la décision du suicidé ? Comment vit-on cet acte ? Comment survit un suicidant après ? Comment réagit la famille, la société ?Qu'en est-il de la religion ? Considère-t-on le suicidé comme athée ou agnostique ? Comment prévenir cet acte ? Le suicide est avant tout un “mal de vivre”, que les psychologues étiquettent par des noms savants et que la société rejette dans les méandres du silence. Le suicide existe et on le sait. Vous le savez ! Les maux d'un tabou. Elle se tortillait, rampait et vomissait ses tripes. Les douleurs lui auraient arraché les cris du salut. Alertés, “les voisins de chambre” l'emmenèrent aux urgences. Intoxication alimentaire, appendicite, douleurs abdominales… ils imaginent bien des scénarii ! Que peut-il bien arriver à une femme de 35 ans, célibataire depuis toujours et vivant avec sa mère. Une femme “repoussante”, légèrement débile mentale, mais qui rend service à tout le monde. “Mina”, nommons-là ainsi, est partout dans le quartier de Sbata. Elle est connue par tout le monde. Ah, la fille de “ Flana” est bizarre. Et l'on aime bien l'enquiquiner, la faire parler, l'imiter. Elle est, à des moments, la distraction de ce petit monde. “Est-ce qu'elle a avalé quelque chose ?”, “Qu'a-t-elle pris ?” “Depuis quand est-elle dans cet état ?”. Tant de questions auxquelles le médecin soignant ne trouvera pas de réponses. “On ne sait pas !”. Les voisins commencèrent à s'inquiéter d'autant plus que la mère, femme de ménage, ne revient que le soir. On parlera de lavage d'estomac, de produits toxiques et d'empoisonnement. “Elle s'en est sortie. Elle est hors de danger pour le moment. Y a-t-il un parent ?”. Tant d'égards ! Se demandaient les présents. L'affaire est assez délicate, il s'agit d'une tentative de suicide. “Mina” aurait avalé des comprimés de tous genres, colorant capillaire, “Takaout”, une herbe toxique. Elle voulait mettre fin à deux vies : la sienne et celle de son enfant. Elle sera placée sous surveillance médicale en attendant le pronostic du psychiatre. Sa mère, une fois arrivée, prouvera avec “les papiers officiels” la fragilité mentale de sa fille. On évitera de parler du sujet, on lui adressera peu la parole, si ce n'est pour lui poser la question : “qui est le père ?” ou “qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? hein !”. “Mina” est officiellement une femme “qui s'est faite engrosser”, un “Mountif” à éviter. Voisins, proches la surveilleront de près tout en l'évitant au maximum. “Une personne qui a pensé à se tuer, qui a commis l'acte est capable du pire” raisonne-t-on. “Elle est folle” s'excuserait sa mère. Mais à quel degré ? Au point de récidiver, de tenter d'en finir une fois pour toute. Elle a pesé le pour et le contre. Quelque part, elle connaît la société et dans un moment d'extrême lucidité ou d'extrême folie a décidé d'en finir. Pour l'histoire, sa grossesse s'est bien déroulée. Elle a mis au monde un beau garçon qu'on a confié à l'orphelinat. Depuis le temps, la mort et elle ne font qu'un. Elle a tenté de se tuer une troisième fois. Ses tentatives se sont soldées par un échec. Considérant sa mère comme responsable de son état, de la perte de son enfant, elle la menace souvent de mort et en public avant de se donner elle-même la mort. Il se peut qu'elle soit “zinzin” ou “obsédée morbide”, mais bien d'autres lucides attentent à leurs vies, principalement des femmes. Elles optent pour des produits toxiques. Quant aux hommes, ils sont plus extrêmes et se tailladent les veines, souvent dans un état d'inconscience. Ils sont sauvés in extremis et l'on compte plus de tentatives de suicides que de suicide réussis. Par ailleurs, toute tentative de suicide est un appel de détresse dont le corps est l'otage. La personne suicidaire émet auparavant des signaux d'alarme. Elle en parle directement : "je veux en finir", "c'est trop dur, je n'en peux plus", "la vie n'en vaut plus la peine", "je ne m'en sortirai jamais". Ou encore indirectement : "vous serez mieux sans moi", "ma vie est inutile", "je vais mettre mes affaires en ordre..". Une personne suicidaire n'apparaît pas nécessairement comme déprimée. Sous un extérieur jovial peut se cacher une grande tristesse. Les signes changent d'une personne à l'autre. Isolement, retrait, consommation abusive d'alcool et/ou de médicaments, dons d'objets auxquels la personne tient, absence de réaction à la perte d'une personne proche, hyperactivité, extrême lenteur, perte d'énergie, désintéressement scolaire ou professionnel, sont autant de facteurs alarmants. En dehors des convictions et pratiques culturelles, 90% des suicides sont des cas pathologiques nous confie Jamal-Eddine Benazzouz, psychiatre et psychothérapeute. Certaines pathologies “à risque” peuvent entraîner le suicide telles que : la dépression nerveuse (état dépressif majeur), la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive, la personnalité psychopathique, la personnalité névrotique et hystérique. Le suicide survient à un moment de fragilité de la personne. Mais comment le détecter ? Comment prévenir cet acte ? Comment réagir face à une personne suicidaire ?. Pour ce faire, il faut dépister la pathologie ou le “mal de vivre”. Encore faut-il en parler sans gêne. Nos composantes socioculturelles réfutent cet acte, contraire à la loi de vivre. Si certains le qualifient de courage, la majorité le nomment lâcheté ! En outre, la règle d'or de toute prévention serait d'éviter de porter des jugements ou d'étiqueter la personne. Il faut seulement être à l'écoute. L'état de crise, l'ambivalence, le désir de communiquer et d'être compris font partie intégrante de la problématique suicidaire et de notre rencontre avec la personne suicidaire. Une grande part de la prévention réside dans notre capacité à être là. Elle ne tend pas à circonscrire, à éviter à tout prix, à formaliser, mais à humaniser la détresse, la comprendre. Une détresse que bien des avertis exploitent, endoctrinent. La sortie par la porte du fond devient explosive ! Pathologies à risque “En dehors des convictions et pratiques culturelles, le suicide est une problématique médicale. Il est inhérent à une pathologie médicale ”, nous explique Jamal-Eddine Benazzouz, psychiatre et psychothérapeute: ‡ La dépression nerveuse : un état dépressif majeur peut engendrer certains actes suicidaires. Un déprimé dans sa mouvance, sa maladie peut mettre fin à sa souffrance et à celle des siens en se donnant la mort. Le suicide est considéré alors comme la seule issue, la fin de ses maux. Une dépression si minime soit-elle doit être prise en compte. Il s'agit d'un problème de santé publique. Par ailleurs, les dépressions varient selon les personnalités. Une personnalité défaillante présente des risques importants. D'autres pathologies mentales sont autant de facteurs de risques à prévenir : ‡ La schizophrénie : déconnexion de l'individu par rapport à sa réalité. Il est sujet à des hallucinations. Quand il vit dans ce monde “ irréel ”, il peut adhérer à un certain nombre d'idées. Entre autres : sentiment de persécution de manière délirante. Il pourrait mettre fin à sa vie. Tout comme le psychotique qui déprime et qui parle sans cesse de la mort. ‡ La psychose maniaco-dépressive : le patient vit une euphorie, une expansion professionnelle et personnelle. Il est sujet même à une mégalomanie. Mais par moments, il se sent dévalorisé, mal dans sa peau, se sent persécuté. C'est à ce niveau que le risque est important. ‡ La personnalité psychopathique : c'est une personne au passé chargé. Elle a une carence affective. Elle est impulsive. Elle peut intenter à sa vie pour attirer l'attention. L'alcool et la toxicomanie favorisent le passage à l'acte. ‡ La personnalité névrotique et hystérique : elle atteint surtout les jeunes filles : dépression sentimentale, chagrin d'amour… le passage à l'acte se veut un message, une perche que le patient tend à son entourage. Il s'agit plus de tentatives que de suicides réussis. Mais 2 tentatives sur 10 peuvent réussir. Il faut en tenir compte. Le suicide au Maroc Depuis les années 80, le taux de suicides parmi la population marocaine est en courbe ascendante. Pendant les années 50, 60 et 70, les taux les plus élevés ont été enregistrés parmi le sexe féminin. Les raisons principales de ce phénomène sont liées à des problèmes affectifs. Alors que les cas de suicide dépressif sont rarissimes. A l'époque, le suicide était une forme de protestation sociale des individus contre l'oppression et la marginalisation. On pouvait parler ainsi d'une forme de suicide “social”. Mais, au début des années 80, jusqu'à aujourd'hui, les chiffres sur le suicide résultant de la crise sociale se sont considérablement aggravés. Surtout avec l'augmentation du taux de pauvreté, de chômage et l'exclusion sociale des couches défavorisées dans les villes. Bien plus, le suicide commence à frapper toutes les catégories sociales, hommes et femmes, mariés et célibataires. Personne n'est épargné par ce fléau. Pour des milliers de personnes démunies, le suicide est une forme d'intégrisme ou d'auto-exclusion engendrée par la paupérisation. Bien sûr, ces personnes recourent à d'autres moyens de suicide "à long terme" comme la drogue, la prostitution ou encore la consommation excessive d'alcool. Pour les amateurs de chiffres, les statistiques officielles sur les cas de suicide dans le monde sont très inquiétantes. Les pays scandinaves arrivent en tête avec 16 pour mille, suivis des Etats-unis et du Japon avec respectivement 13 et 11 pour mille. Alors que la France enregistre près de 10 cas pour mille de suicide par an. Pourtant ces chiffres n'atteignent pas les taux de suicide enregistrés au Maroc, et qui demeurent un secret de polichinelle, gardé habilement par le ministère de l'Intérieur. Ainsi, d'après des source officieuses, le taux de suicides au Maroc est parmi les plus élevés dans le monde puisqu'il dépasserait 18 pour mille. Un chiffre catastrophique, même si le nombre de suicides a considérablement diminué depuis lors, passant de 18 pour mille en 1992 à 15 pour mille en 1997.